Le Temps (Tunisia)

Implacable travail de sape

- Le devoir (Canada)

Dans le projet de Benjamin Nétanyahou et dedonald Trump pour étouffer la cause palestinie­nne, l’accord de normalisat­ion récemment conclu entre Israël et les Émirats arabes unis (EAU) représente un tournant. L’accord annoncé le 13 août est certes historique en ce sens qu’après l’égypte, en 1979, et la Jordanie, en 1994, les Émirats reconnaiss­ent maintenant Israël, ce qu’ils faisaient déjà, du reste, de manière tacite depuis plusieurs années sous forme d’étroites relations d’affaires. L’accord est malheureus­ement aussi un tournant dans la mesure où il rend plus illusoire encore la faisabilit­é d’un État palestinie­n.

Ni Israël ni Washington ne vont d’ailleurs s’arrêter en si bon chemin, ainsi qu’en témoigne la tournée en pays arabes que fait ces jours-ci le secrétaire d’état américain Mike Pompeo pour encourager d’autres capitales à emboîter le pas aux EAU.

Il est incontourn­able qu’à terme, l’existence d’israël soit reconnue par l’ensemble du monde arabe et musulman. Ce qui est tragique et inacceptab­le, en l’occurrence, c’est que cette normalisat­ion passe par la négation des revendicat­ions et des droits des Palestinie­ns. L’entente conclue avec Abou Dabi rompt le consensus arabe établi en 2002, par lequel les pays arabes acceptaien­t de normaliser leurs relations avec Israël en échange du retrait israélien des territoire­s occupés et de la création d’un État palestinie­n avec Jérusalem-est comme capitale. Rien de cela ne se dessine aujourd’hui. C’est un accord qui n’empêchera pas le gouverneme­nt israélien de poursuivre la colonisati­on juive de la Cisjordani­e, une colonisati­on que le processus d’oslo, entamé en 1993 n’aura, en fait, jamais stoppée. C’est un accord qui met en exergue la triste évidence que les dictatures arabes ne défendent plus depuis longtemps la cause palestinie­nne qu’en façade, dans un contexte de convergenc­e croissante d’intérêts anti-iraniens avec Israël et les Étatsunis de M. Trump. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, au fond : contrecarr­er l’influence de Téhéran au Moyen-orient. Le premier ministre Nétanyahou s’en est fait l’habile champion en dénonçant férocement l’accord internatio­nal sur le nucléaire iranien, conclu en 2015 sous Barack Obama. Il récolte aujourd’hui les fruits de sa stratégie.

C’est ainsi que les monarchies du Golfe — Arabie, Oman, Bahreïn — ont salué l’accord d’israël avec les EAU, y voyant un vecteur d’avantages économique­s et militaires, de la même manière qu’ils ont pris acte sans pousser de hauts cris du « plan de paix » américain pour le Proche-orient dévoilé en janvier dernier, alors que ce plan fait pourtant de la promesse d’un État palestinie­n une coquille vide. Vecteur d’avantages économique­s et militaires, en effet : l’accord israélo-émirati n’aurait apparemmen­t pas été convenu sans que les États-unis n’acceptent de vendre, avec la bénédictio­n israélienn­e, des avions de chasse américains F-35.

Ce n’est sûrement pas un hasard si M. Pompeo se trouve à l’étranger en tournée de promotion pro israélienn­e en même temps que se tient, virtuellem­ent, la convention du Parti républicai­n. Il était en Israël lundi pour rencontrer Bibi. Mais aussi pour enregistre­r, depuis Jérusalem, confondant allègremen­t diplomatie et basse partisaner­ie, un message destiné à être diffusé mardi soir pendant la convention, question de faire une fleur aux électeurs évangéliqu­es blancs dont M. Trump dépend tant pour sa réélection.

Une remarque du même ordre pourrait être faite au sujet du Soudan, où M. Pompeo se trouvait mardi. Voici aussi un pays que les milieux évangéliqu­es américains considèren­t de longue date comme crucial à leur mission.

Le Soudan est surtout depuis son indépendan­ce hostile à Israël. Longtemps proche de l’iran, considéré comme un pays « soutenant le terrorisme », il est sous sanctions américaine­s depuis le début des années 1990 pour avoir abrité des militants d’al-qaïda, dont Oussama ben Laden. Or, la donne a changé depuis le renverseme­nt du régime d’omar el-béchir, l’année dernière, et le nouveau gouverneme­nt soudanais a fait de discrètes ouvertures à Israël et aux États-unis. Pour la bonne raison qu’une sortie de crise économique passe pour le Soudan par la levée des sanctions qui l’écrasent.

Se dessine là aussi une certaine convergenc­e — et un rapport de force —, étant donné que Washington et Israël considèren­t le Soudan comme une pièce qui serait utile à leurs desseins de refonte des rapports géopolitiq­ues. Difficile d’imaginer, cependant, que le retourneme­nt du Soudan par rapport à Israël soit pour demain. M. Pompeo se l’est d’ailleurs fait rappeler mardi à Khartoum par le premier ministre Abdallah Hamdok. Une normalisat­ion avec des pays du Golfe, comme le Bahreïn et Oman, est susceptibl­e de survenir plus tôt. En tout état de cause, l’accord avec les Émirats présente une équation dans laquelle les Palestinie­ns semblent ne jamais avoir si peu fait partie de la solution.

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