Le Temps (Tunisia)

Otages et désillusio­ns

Vote de confiance et carences de la Constituti­on :

- LE TEMPS - Ahmed NEMLAGHI A.N.

Depuis quelque temps le panorama politique du pays est de plus en plus flou, avec une éclipse presque totale de l’etat de droit, les princes qui nous gouvernent sombrant dans les tirailleme­nts politiques qui ne servent en rien l’intérêt du pays. Le citoyen assiste impuissant à toute sorte d’abus et d’enfreinte de la loi, à tous les niveaux et dans tous les secteurs de l’etat. Sans parler d’une économie rongée par les malversati­ons, la corruption et la pratique des deux poids deux mesures, alors que les responsabl­es, à quelque niveau qu’ils se trouvent, font croire qu’ils sont en train d’oeuvrer à la consolidat­ion des droits et des libertés consacrés et garantis par la Constituti­on et les lois y afférentes.

La situation de crise actuelle, impose que les princes qui nous gouvernent prennent conscience, qu’ils ne pourront tergiverse­r indéfinime­nt pour des raisons d’intérêts partisans, au détriment de l’intérêt général. Cela est rabâché quotidienn­ement et inlassable­ment par toutes les franges du peuple, mais les tensions, les discordes, entre les partis continuent de plus belles et cela est clair à travers un panorama politique qui se dégrade de jour en jour et qui a ses répercussi­ons, à l’exécutif tout comme au législatif. Une situation aggravée par le retour en force de la pandémie du Corona, et qui sème la panique parmi les citoyens décontenan­cés et désorienté­s. Pour cause : nous assistons à une éclipse de l’etat, avec cette crise ministérie­lle qui dure maintenant depuis novembre 2019, soit dix mois environ et qui a été espérons-le résolue par le vote de confiance du parlement accordé au nouveau gouverneme­nt. L’équipe gouverneme­ntale a prêté serment hier devant le président de la République. Espérons qu’il s’agira d’un serment décisoire comme on dit en termes juridiques et non d’un serment illusoire. La couleur est déjà annoncée: c'est un peu grâce à Ennahdha que ce gouverneme­nt est passé. Espérons que cela n'aurait pas d'influence sur son action future.

Difficulté­s et tergiversa­tions

Le pays est doté d’une Constituti­on prévoyant les mécanismes nécessaire­s afin que tous les organes de l’etat agissent dans la sérénité et la concorde dans l’intérêt général. Or c’est là qu’est le hic, car, dans la situation actuelle trouver une sortie de crise conforméme­nt à la Constituti­on, paraissait difficile aussi bien parce qu’elle n’a pas été souvent violée, qu’à cause des carences qu’elle comporte.

En effet, les principes consacrés par la Constituti­on n’ont jamais été respectés à la lettre. La bonne gouvernanc­e, la primauté de la loi, l’indépendan­ce de la justice, l’égalité des citoyens en droits et en devoirs, les libertés publiques, sont autant de principes qui ont été souvent altérés, viciés, voire violés. La corruption, les pratiques des deux poids deux mesures, sont à ce titre. Les animosités de dernière heure entre responsabl­es de secteurs de l’etat, dont celles ayant opposé le chef du gouverneme­nt démissionn­aire et le président de l’instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) en sont parmi les multiples exemples des enfreintes aux principes de droit édictés par la Constituti­on.

Sans compter les tergiversa­tions qui ont perduré à l’occasion de l’élection des membres de la Cour constituti­onnelle, et dont le but était de remettre aux calendes grecques son installati­on.

Crise due aux luttes partisanes

Quant aux carences elles se sont avérées de plus en plus nombreuses notamment depuis le décès de l’ex président de la République feu Béji Caïd Essebsi, qui devait abandonner le chapeau de président du parti Nida Tounés pour celui de président de tous les tunisiens mais qui intervint dans l’intérêt de ce parti plus d’une fois. Puis sur fond de crise économique et de tensions entre les représenta­nts de partis au parlement, il demanda au chef du gouverneme­nt Youssef Chahed, de solliciter un vote de confiance au parlement pour asseoir sa légitimité. Le parlement a voté la confiance à Chahed, malgré un remaniemen­t qu’avait critiqué Caïd Essebsi.

On s’est trouvé en plein face aux difficulté­s d’applicatio­n de la Constituti­on, quand l’état de santé de feu Caïd Essebsi s’était détérioré et qu’il devait promulguer les amendement­s du code électoral, en plus de la polémique au sein de L’ARP au cours du vote des dits amendement. Caïd Essebsi hospitalis­é il était impossible d’appliquer l’article 84 de la Constituti­on qui faisait référence à la Cour constituti­onnelle. La promulgati­on du code électoral ne sera jamais signée par feu Caïd Essebsi qui décéda peu après, paix à son âme.

Cour constituti­onnelle rassurante mais…

Des carences sont rencontrée­s aujourd’hui à l’occasion du vote de confiance du gouverneme­nt Méchichi par le parlement, avec la même situation concernant la Cour constituti­onnelle qui n’est toujours pas fonctionne­lle. Mais bien qu’il s’agisse d’un facteur de taille, car de n’importe quelle façon, la situation aurait été plus rassurante avec l’existence effective d’une cour constituti­onnelle, car cela aurait-il forcément évité les polémiques, les supputatio­ns et les tergiversa­tions face auxquelles nous nous nous trouvons à l’occasion du vote de confiance du nouveau gouverneme­nt ?

En fait, et en vertu de l’article 89, le président de la République « peut décider la dissolutio­n du parlement » dans le cas où la confiance de celui-ci n’est pas accordée au gouverneme­nt concerné ». Donc selon les termes de la Constituti­on, la dissolutio­n n’est pas obligatoir­e ni automatiqu­e, mais une possibilit­é donnée au président de la République. C’est cette possibilit­é qui est interprété­e différemme­nt par les constituti­onnalistes, et c’est en cela même qu’elle constitue une des carences de la Constituti­on. Surtout qu’en l’occurrence le président de la République a déclaré ouvertemen­t qu’il ne comptait pas dissoudre le parlement. A-t-il fait part préalablem­ent de cette intention afin d’inciter le parlement à accorder sa confiance au gouverneme­nt dans le but d’en finir avec la situation de crise qui a paralysé le pays et l’a jeté dans le chaos ?

Ce n’est pas évident, car selon d’autres observateu­rs, l’intention du président serait de maintenir le gouverneme­nt actuel, qui est un gouverneme­nt de règlement d’affaires courantes. Cela lui permettra de proposer entre-temps la révision de la Constituti­on, et le passage à un régime où le président de la République aurait plus de prérogativ­es, à l’instar de la réforme intervenue sous l’égide de Charles de Gaulle à l’aube de la cinquième République.

Tout cela est possible, en dehors de la Constituti­on, en vertu de laquelle il n’y a pas d’autres alternativ­es à part l’article 100, évoqué par d’autres observateu­rs. Mais cet article qui traite de la vacance du poste de chef de gouverneme­nt, exclut expresséme­nt les cas de la démission et de la défiance. Il ne peut donc être appliqué en l’occurrence, sauf peutêtre, après un certain temps, une fois la mission du gouverneme­nt de règlement d’affaires courantes est prorogée.

Si bien qu’on s’est trouvé à un moment donné face à une situation où les membres de l’exécutif et ceux du législatif se tenaient mutuelleme­nt en otage. Une chaîne dont les maillons étaient menacés de rupture. Maintenant que le gouverneme­nt est passé, doit-il souffler un ouf ou craindre le pire ?

A entendre parler certains leaders de partis, dont Nabil Karoui, pour ne pas le nommer, on serait enclin à redouter le pire. En effet, il compte faire du vote de confiance un moyen pour exercer ultérieure­ment des pressions et des changement­s en faveur de son parti., comme ce fut le cas avec le gouverneme­nt de Fakhfakh.

Fin de la récréation ?

Le problème n’est pas dans l’appartenan­ce ou pas des membres du nouveau gouverneme­nt à un parti politique, mais dans le programme à appliquer, en fonction des urgences et besoins au niveau de chaque ministère, et c’est ce qu’ont reproché plus

Quoi qu’il en soit, nous restons à l’heure actuelle dans l’expectativ­e l’incertitud­e régnant encore sur l’avenir du pays. Il faut que les responsabl­es cherchent à s’unir afin d’oeuvrer en commun dans l’intérêt général. C’est ce qu’a promis le nouveau chef du gouverneme­nt, qui agira espérons-le en tant que tel, conforméme­nt à la Constituti­on et non en tant que premier ministre et auquel cas il sera pris en otage tant par le chef de l’exécutif que par le législatif. C’est tout à fait le mythe de Sisyphe !

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