Le Temps (Tunisia)

Emmanuel Macron au Liban : éviter les dangers de l’aventure solitaire

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Fallait-il y aller ? De son propre aveu, l’initiative d’emmanuel Macron au Liban meurtri par la gigantesqu­e explosion du 4 août constitue un « pari risqué ». Sa première visite, deux jours à peine après le drame qui a tué plus de 180 personnes et dévasté une partie de la ville, avait l’audace qu’affectionn­e le chef de l’etat : acclamé par les habitants dans les ruines du port, reflet d’un pays en train de sombrer, un président français venait soutenir le peuple libanais dans cette nouvelle épreuve.

L’image était belle ; elle a donné espoir à une partie de la société civile de Beyrouth, révoltée par l’incurie et la corruption de ses responsabl­es politiques. M. Macron a promis que « la France ne lâcherait pas le Liban » et qu’il reviendrai­t. Il a tenu parole.

Inévitable­ment, la deuxième visite, lundi 31 août et mardi 1er septembre, s’avérait plus compliquée. M. Macron entendait bousculer un appareil politique essentiell­ement préoccupé par sa propre survie, pour faire émerger un « gouverneme­nt de mission »susceptibl­e de mettre sur les rails quelques réformes fondamenta­les ; celles-ci sont la condition posée par le FMI pour débloquer une aide financière vitale, promise depuis 2018 mais dont l’institutio­n internatio­nale veut éviter que, suivant une vieille tradition, elle ne soit détournée.

De ce point de vue, le président a marqué quelques points. Sentant le vent du boulet, les partis politiques se sont mis d’accord la veille de son arrivée sur la nomination d’un premier ministre. Les consultati­ons ont commencé. M. Macron affirme avoir obtenu leur engagement sur la formation d’un gouverneme­nt dans les quinze jours et, associant la carotte et le bâton, a posé plusieurs jalons, dont une nouvelle conférence d’aide internatio­nale en octobre et une réunion avec les responsabl­es politiques libanais à Paris. Lui-même reviendra en décembre, une troisième fois : « Je ne vous lâcherai pas. »

L’appui de l’europe

Fallait-il y aller ? Oui, sans doute, ne serait-ce que parce que la France et le Liban sont si intimement liés, historique­ment, affectivem­ent et intellectu­ellement. Mais aussi parce que, si ce n’est pas la France, qui ? Les Etats-unis sont aux abonnés absents, et l’union européenne a trop à faire. Le vice-président turc, Fuat Oktay, et le ministre iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, se sont succédé à Beyrouth en août après le président français : on ne peut que se féliciter qu’un dirigeant européen les ait précédés.

Le risque du « pari » libanais d’emmanuel Macron, cependant, s’accroît avec chaque visite. Ce risque n’est pas celui d’une démarche « postcoloni­ale », décriée par quelques commentate­urs ou politiques ignorants des réalités franco-libanaises ; il est celui des engagement­s pris et des attentes soulevées qui se fracassera­ient sur le mur de l’inertie politique libanaise. Mardi, Emmanuel Macron a évoqué une « dernière chance pour le système » : c’est précisémen­t ce système dont la société libanaise veut se débarrasse­r, mais qui, en contrôlant le Parlement, bloque tout changement. Déjà perce la déception que le président français n’ait plus exigé de nouvelles élections à court terme ni le désarmemen­t du tout-puissant Hezbollah, soutenu par l’iran. M. Macron a revendiqué, dans une interview à Politico, d’avoir mis son « capital politique sur la table ». Ce capital est aussi celui de la France, et de l’europe. L’appui de cette dernière doit à présent être obtenu, pour limiter les dangers de l’aventure solitaire.

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