Le Temps (Tunisia)

L'autre pandémie

- Le Devoir (Canada)

Depuis le début de la pandémie de COVID-19 et de l’adoption des mesures de distanciat­ion physique, une autre crise sanitaire a redoublé d’intensité. En fait, dans certaines provinces et municipali­tés, moins de gens sont morts de la COVID-19 que de ce fléau, celui des surdoses d’opioïdes.

La Colombie-britanniqu­e est la plus touchée. Pour le seul mois de mai, elle déplorait 170 décès par surdose, soit plus que la totalité des décès attribuabl­es à la COVID-19, du début de la pandémie à la mijuin 2020. En Ontario, le bureau du coroner estimait que le nombre de décès par surdoses avait augmenté de 25 % au cours des trois premiers mois du confinemen­t. En juillet, Toronto a fait état de 27 morts par surdose comparativ­ement à 18 dues à la COVID-19. Épicentre de la pandémie de COVID-19 au Canada, le Québec et Montréal affichent plus de décès attribuabl­es au coronaviru­s, mais il est impossible pour l’instant d’avoir l’heure juste sur le nombre exact de surdoses d’avril à juillet, les données de l’institut national de santé publique du Québec n’étant pas encore publiques pour cette période. Les services ambulancie­rs et de santé n’avaient toutefois pas observé plus de cas ce printemps, ont rapporté plusieurs médias. Les organismes montréalai­s d’aide aux toxicomane­s, comme CACTUS, ont manifesté en revanche de l’inquiétude dès avril.

Comme leurs homologues d’un bout à l’autre du pays, ils ont noté une hausse des prix et une chute de la qualitédes drogues offertes dans la rue à la suite de la fermeture des frontières. Les mélanges sont devenus plus puissants et dangereux alors que les contrainte­s sanitaires forçaient la fermeture temporaire de sites d’injection supervisée et la réduction des activités d’autres points de service, distanciat­ion physique oblige. Du coup, plus de toxicomane­s se sont mis à consommer seuls, augmentant leurs risques de décès par surdose.

La flambée de décès en Colombie-britanniqu­e a poussé le premier ministre John Horgan à réitérer sa demande de décriminal­isation de la possession simple d’opioïdes. Les chefs de police ont suivi en juillet. Bien que les données à l’échelle du pays ne soient pas encore publiques, la patronne de l’agence de la santé publique du Canada, la Dre Theresa Tam déclarait le 21 août dernier que la crise allait en s’aggravant et qu’il fallait discuter sérieuseme­nt de la décriminal­isation. Bien que ce ne soit pas une panacée, a-t-elle averti.

L’épidémie de surdoses aux opioïdes a démarré un peu avant l’année 2000 et s’est aggravée avec l’entrée en scène du terrible fentanyl. Les gouverneme­nts ont été lents à réagir, en particulie­r le gouverneme­nt fédéral dirigé par Stephen Harper. Il a résisté à l’adoption de mesures de réduction des méfaits. Il a tenté de faire fermer le premier site d’injection supervisée, Insite, de Vancouver. Il s’opposait à la prescripti­on de drogues de substituti­on ou de qualité pharmaceut­ique dans le cadre d’un suivi médical. Il refusait d’assouplir l’accès à la naloxone, un rare antidote injectable en cas de surdose aux opioïdes. La logique punitive prévalait au détriment d’une approche axée sur la santé publique, même après que la Colombie-britanniqu­e, la plus durement frappée, a déclaré l’état d’urgence sanitaire.

Les libéraux ont corrigé le tir après leur élection en 2015, mais malgré une résolution de leur parti en faveur de la décriminal­isation de la possession simple de toutes les drogues, le premier ministre Justin Trudeau et son équipe ont refusé et refusent encore de s’engager sur cette voie. La recrudesce­nce de décès durant la pandémie a toutefois ravivé la pression en faveur d’un changement de cap.

Il y a finalement eu du mouvement dans le bon sens à la mi-août, mais il est venu de la directrice du Service des poursuites pénales, Kathleen Roussel. Elle a donné instructio­n aux procureurs fédéraux de ne pas lancer de poursuites criminelle­s pour possession simple de stupéfiant­s, à moins que la sécurité publique l’exige.

Il s’agit d’un pas important, mais encore insuffisan­t. Mme Roussel est allée aussi loin que le lui permettait son pouvoir discrétion­naire, mais une vraie décriminal­isation de la possession simple doit passer par une modificati­on du Code criminel. Il revient au gouverneme­nt d’agir. Il n’a pas critiqué la décision de la directrice et, vu les circonstan­ces, ce serait mal venu. De plus, comment pourrait-il, après l’affaire Lavalin, se permettre de tenter de lui dicter sa conduite ? À la veille d’une reprise des travaux parlementa­ires, il deviendra donc difficile pour lui de rester sur ses positions sans s’expliquer et pour les conservate­urs, de s’en tenir à leur philosophi­e punitive sans fustiger une juriste qu’ils ont portée aux nues.

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