L'etat face à l'avidité des prédateurs !
« Pas d'intérêt, pas d'action », dit-on. Le Pouvoir, dit-on encore, corrompt. Dans notre réalité actuelle, nous dépassons toutes les limites de l'indécence. Kaïs Saïed n'a pas tort -quoiqu' il ne veuille pas désigner « les traitres de la Nation » par leurs noms- de toujours dénoncer avec véhémence ces chambres noires, ces manoeuvres pour faire capoter l'etat et cela finit par tourner à la paranoïa.
« Pas d'intérêt, pas d'action », dit-on. Le Pouvoir, dit-on encore, corrompt. Dans notre réalité actuelle, nous dépassons toutes les limites de l'indécence. Kaïs Saïed n'a pas tort -quoiqu' il ne veuille pas désigner « les traitres de la Nation » par leurs noms- de toujours dénoncer avec véhémence ces chambres noires, ces manoeuvres pour faire capoter l'etat et cela finit par tourner à la paranoïa. Dans un sursaut d'exaspération, Noureddine Taboubi, pourtant en symbiose avec le Président, l'a même appelé, avant-hier, à « appeler les choses par leurs noms ».
Sans doute, un Président qui se trouve être aussi Président du Conseil de sûreté nationale, est-il, mieux que quiconque, informé sur les mouvements suspects, sur les intrigues se tramant contre la stabilité du pays et de ses institutions. Mais, s’il y a vraiment le feu -et il y a le feu- il dispose d’assez de prérogatives constitutionnelles pour le conjurer. Pourquoi donc laisser la situation pourrir chaque jour davantage, pourquoi se limiter à dénoncer -tablant sur l’intelligence des Tunisiens- et pourquoi ne pas faire carrément front ?
« Etat parallèle » ?
A quelques mois de la fin d’une décennie houleuse, le délabrement de l’etat n’en aura pas fini d’appauvrir le peuple, tout en consacrant une nouvelle race de prédateurs faisant pire que le régime déchu. Affairisme, spoliations, rachat des âmes faibles (au nom de la solidarité), précarité et dénivellements régionaux : pourquoi les jeunes se sont-ils alors insurgés contre le régime Ben Ali, pour se retrouver davantage marginalisés ? Oui, on trouve bien l’argent pour les campagnes électorales, mais il n’y a pas d’argent pour l’etat. Quand l’ancien ambassadeur de l’union Européenne (Patrice Bergamini) a dénoncé la mainmise de « quelques familles » sur les leviers de l’économie nationale, on aura vite fait de le conspuer. Il ne visait pas les hommes d’affaires honnêtes qui donnent de l’emploi et qui contribuent à la croissance. Il vise ces grandes nouvelles fortunes s’étant approprié le butin de guerre de la révolution. Impuissants, interdits, désenchantés même, les Tunisiens ne se reconnaissent plus en leur Etat fort édifié par Bourguiba. Ils se sentent pris en otages par « l’etat parallèle ». Et, c’est quoi un Etat parallèle ? C’est celui qui a mené le Liban à sa ruine. C’est celui de l’indomptable Mafia qui sévit toujours en Italie, et où rien ne se fait sans son assentiment. Qui est cette « Mafia » chez nous ? Où sévit-elle ? Comment agit-elle pour « gouverner » comme par une main invisible ? Simple : elle est dans l’etat même, elle est dans tous les gouvernorats, dans toutes les circonscriptions, dans l’administration et, même, dans des départements gouvernementaux névralgiques. Qui est cette « Mafia » en définitive ?
Qui s’y attaque se casse l’échine. Qui se propose d’entreprendre une vaste opération « mani pulite » (mains propres) comme ont cherché, à un certain moment, de faire les Italiens sous l’impulsion du juge Di Pietro, eh bien d’une façon ou d’une autre, ils sont réduits à l’impuissance. Au désaveu. Mohamed Abbou renonce à un rêve : trop seul et trop peu démuni pour engager cette vaste opération de salubrité publique. Pour sa part, Chawki Tabib est limogé comme un malfrat… Sans doute, le choix courageux fait par Méchichi dans le sens d’un gouvernement indépendant et loin des partis, peut-il être interprété dans ce sens. En pur produit de l’administration, comme elle, il n’aura pas d’états d’âmes. Mais, déjà, la guerre des positionnements est enclenchée. Et, déjà, le temps lui est compté. Il veut rester équidistant vis-à-vis des partis. Le pourrait-il cependant ?
Deux sérieux écueils
Il ferait néanmoins preuve de sagacité s’il évitait deux écueils. D’abord, ne pas se sentir l’obligé d’ennahdha qui a bien manoeuvré pour que le Parlement lui accorde le vote favorable, mais pas la confiance. Nuance sur laquelle a insisté le Président de L’ARP, dans sa brève allocution de clôture de la plénière. Ennahdha fait mine d’avoir surmonté « l’affront » fait à son leader le jour du vote du retrait de confiance et reprend ses rugissements « mielleux ». Ce parti donne l’impression d’avoir surmonté ses dissensions internes quant à la tenue de son congrès et le mandat supplémentaire que Ghannouchi obtiendra nolens, volens. Plus Méchichi s’en éloigne, et plus il réduira les risques de rééditer le scénario de la discorde entre BCE et Chahed. D’ailleurs, quand celui-ci conseille à Méchichi de ne pas se mettre en conflit avec Kaïs Saïed, c’est parce qu’il réalise, après coup, le tribut de son rapprochement de Ghannouchi.
Ceci, d’ailleurs, nous mène droit au deuxième écueil sur lequel le Chef du gouvernement a intérêt à ne pas butter. Et cet écueil, c’est précisément Kaïs Saïed. Et, de surcroît, un Kaïs Saïed qui voit rouge. S’il réaffirme solennellement le sens de l’etat, c’est que le Président cherche le filon pour démanteler « l’etat parallèle ». C’est parce que l’etat ne saurait être réduit à un rat de laboratoire, là où s’adonne à toutes formes d’expérimentations infructueuses et, surtout, commandées. « L’homme de l’administration » a fait des choix. Il a choisi les femmes et les hommes en qui il a confiance, mais qui n’en sont pas moins indépendants. Bien entendu, il y a la main du Président dans cette mouture. Il n’empêche : mieux vaut un petit cocktail que des Législatives anticipées. D’ailleurs, Kaïs Saïed ne le décrètera qu’à son corps défendant.
Parce qu’aujourd’hui, avec El Kamour, avec le phosphate, avec le Covid-19 et avec une croissance négative à deux chiffres, sans parler du service de la dette et du délabrement du budget de l’etat, Hichem Méchichi s’attaque tout bonnement à un champ de ruines. Il n’y a plus de laboratoires ou de rats qui tiennent. Ça, les partis dominants y puiseront leurs recherches effrénées pour une « transformation transgénique de l’etat ». Mais pour que l’etat retrouve toute sa quintessence, Kaïs Saïed et Hichem Méchichi n’auraient aucun intérêt à juste cohabiter dans les contours constitutionnels exigus. Et cela commence, par l’indispensable cohésion. Parce qu’on voit déjà s’annoncer les vautours. Ils ne sont jamais loin. Les charognards, eux, sont toujours là. C’est la face cachée d’une révolution déjà fantasmée.