Le Temps (Tunisia)

La rébellion de la nouvelle vague !

Ghannouchi face à la pétition centenaire :

- LE TEMPS - Jameleddin­e EL HAJJI

Depuis deux semaines au moins, « les » porte-paroles du parti islamiste Ennahdha ont envahi les médias radiophoni­ques et audiovisue­ls, afin de répondre à une série de questions qui sont restées presque floues.

LE TEMPS - Jameleddin­e EL HAJJI

Depuis deux semaines au moins, « les » porte-paroles du parti islamiste Ennahdha ont envahi les médias radiophoni­ques et audiovisue­ls, afin de répondre à une série de questions qui sont restées presque floues. Noureddine Bhiri, Samir Dilou, Abdelkrim Harouni et bien d’autres figures de proue du parti islamiste ont tenu en vedette leur parti, à la suite du passage en force du gouverneme­nt Méchichi, sur fond de désaccord total entre Rached Ghannouchi et Kaïs Saïed. A ce titre, les responsabl­es d’ennahdha ont longtemps glosé sur le fait que le gouverneme­nt extra-partisan de Hichem Méchichi est une promesse d’échec en puissance, puisqu’il a été formé sans la baraka des partis politiques, avec à leur tête le trio Ennahdha, Qalb Tounes et El Karama.

Depuis l’entrée en exercice du gouverneme­nt Méchichi, les responsabl­es du parti islamiste se sont relayés sur les médias et les réseaux sociaux, afin de ressasser la bonne foi et les bonnes dispositio­ns d’ennahdha à l’égard du Président de la République et du gouverneme­nt qui est « le sien ». Sauf que soudaineme­nt, ces responsabl­es ont été suivis par deux sorties de Rafik Abdessalem Bouchlaka, gendre du Ghannouchi et ex-ministre éphémère des Affaires étrangères, qui a tenu un langage tout autre. En démocrate de la dernière version, il a défendu non seulement son parti, uni comme un roc, mais aussi son beau-père, guide et dirigeant unique du parti Ennahdha, sorti infaillibl­e de dix ans de pouvoir, qui, somme toute, restent à analyser afin d’en tirer le bilan que l’on veut. Un bloc familial ou un courant politique au sein d’ennahdha ? Nul ne pouvait y trancher.

Sauf qu’hier, une pétition a été rendue publique, signée par plusieurs étages nationaux et régionaux des responsabl­es du parti Ennahdha, enjoignant à Rached Ghannouchi de ne pas se présenter à l’élection du président du parti, lors de la prochaine session de son congrès. Bien que la pétition n’ait pas été mise en ligne jusque tard dans la matinée d’hier, il y a lieu de lui accorder l’importance d’un « moment historique » dans l’histoire du mouvement islamiste en Tunisie. En effet, pour la première fois, des bases islamistes se rebellent contre leur « Morchid » ou guide suprême, par écrit, et via les médias publics. Une procédure qui, sous d’autres cieux des Frères musulmans, aurait coûté la vie à plusieurs personnes ayant rompu leur contrat ou serment d’allégeance au mouvement.

Ensuite, cette pétition intervient quelques jours avant l’amorce d’une nouvelle série de normalisat­ions entre Israël et certains pays arabes du camp salafiste, essentiell­ement, hostile au mouvement des Frères musulmans. Sur ce point précis, des mises à jour s’imposent. La normalisat­ion avec Israël a été un article à part entière dans le contrat que l’administra­tion Bush avait signé, bien avant Obama, avec le mouvement les Frères musulmans, comme première ristourne sur leur accession au pouvoir dans les pays arabes de la région. Lors de la rédaction de la Constituti­on de 2014, Rached Ghannouchi en personne s’est dressé contre l’insertion d’un alinéa criminalis­ant la normalisat­ion avec Israël. Au même moment où les Frères égyptiens s’apprêtaien­t à lâcher à Israël un morceau du Sinaï, contre la coquette somme de 8 milliards de dollars. En Tunisie, Atig est venu justifier ce refus par « une demande du Hamas », filière palestinie­nne des Frères musulmans, de ne pas le faire ! C’était le début du processus de la normalisat­ion entre les Frères musulmans et Israël. Sauf que les pays du Golfe ne le voyaient pas de cet oeil. Gravement accusés par les Américains d’être à l’origine du drame du 11 septembre 2011, commis par un commando d’au moins 18 salafistes saoudiens, ces pays se voyaient déjà sur la liste des Etats cibles du « printemps arabe ». Au bout de dix ans, il parait que ces pays du Golfe se sont rachetés, et ont repris à leur compte cet article de la normalisat­ion avec Israël.

Les dessous d’un remercieme­nt atroce !

Que reste-t-il donc aux Frères musulmans dans la région, ou dans la nouvelle configurat­ion en chantier dans la région ?

Parlons donc peu et bien. En 2011, les Frères musulmans de la région rentrent afin de gouverner nos pays, avec l’appui des Etats Unis et de leurs suppôts arabes dans la région. Le bilan de dix ans de cette toute puissance factice de l’islam politique nous a ramené presque au Moyen âge. Les propos superflus sur la tunisifica­tion du mouvement islamiste tunisien ont toujours prêté à sourire, car les bases mêmes d’ennahdha n’y croyaient que par soumission « religieuse » à leur apôtre londonien.

Dire que cette pétition est motivée exclusivem­ent par des mobiles de politique intérieure, c’est ignorer les vraies dimensions d’une discorde, la plus évidente, qui traverse le mouvement islamiste tunisien. C’est dire la solitude qui s’est ouverte devant Rached Ghannouchi, le digne représenta­nt des Frères musulmans en Tunisie, le chef de l’assemblée des Représenta­nts du Peuple, le président du parti Ennahdha, et le petit député, dont certains de ses propres sujets ont rapporté plus de voix que lui lors des dernières législativ­es. C’est décrire l’étendue de la supercheri­e de 2011, quand il est venu faire main-basse sur un soulèvemen­t populaire de nature purement socio-économique. Les péripéties de ces dix dernières années suffisent à elles seules à étayer sa condamnati­on par l’histoire, à une mise à l’écart des plus déshonoran­tes.

Ghannouchi et son petit groupe ne sont plus de ce temps en Tunisie. Ni de cette région moyen-orientale en perpétuell­e convulsion. L’avenir du parti Ennahdha est en train de se dessiner sans lui. Quel gâchis !

J.E.H.

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