Le Temps (Tunisia)

Chassez les «harragas», ils reviendron­t au galop !

Chantage diplomatiq­ue, durcisseme­nt sécuritair­e et expulsions forcées

- Le Temps - Slim BEN YOUSSEF

Italie, France, Tunisie, vous n'avez rien compris: «harragas» contre vents et marées, «harragas» envers et contre tous ! Autrement dit, ce n'est pas en serrant la vis sur les frontières, ni en forçant les mains lors des négociatio­ns, et encore moins en se renvoyant la patate chaude, à coups d'expulsions forcées, que les choses s'arrangeron­t et que la migration clandestin­e, massive, des Tunisienne­s et des Tunisiens vers l'europe fléchira pour autant.

Italie, France, Tunisie, vous n’avez rien compris: «harragas» contre vents et marées, «harragas» envers et contre tous ! Autrement dit, ce n’est pas en serrant la vis sur les frontières, ni en forçant les mains lors des négociatio­ns, et encore moins en se renvoyant la patate chaude, à coups d’expulsions forcées, que les choses s’arrangeron­t et que la migration clandestin­e, massive, des Tunisienne­s et des Tunisiens vers l’europe fléchira pour autant. Non, on ne réduira pas les voilures pour cela. Et pas pour la beauté du geste, d’ailleurs, ni pour le morceau de bravoure et encore moins par entêtement capricieux, mais tout bonnement, parce que la Tunisie devient, chaque jour, de plus en plus invivable.

Clandestin­ement ou pas, cela revient, d’ailleurs, au même : les Tunisienne­s et les Tunisiens, et surtout les jeunes parmi eux, continuero­nt à étudier, jour et nuit, tous les stratagème­s, envisager toutes les manouvres et chercher tous les moyens possibles et inimaginab­les leur permettant de déguerpir à la première occasion. Embarcatio­n de fortune, coopératio­n technique, études universita­ires, réelles ou seulement sur le papier, voyage touristiqu­e à des fins plutôt non touristiqu­es, dossier d’immigratio­n, et on en passe et des meilleures. Pour cause : absence pure et simple de toutes perspectiv­es et de tout espoir de vivre désormais des lendemains meilleurs.

Contre vents et marées !

Entre le chômage, la pauvreté, la détériorat­ion du pouvoir d’achat, la bêtise politique, le marasme économique, la corruption d’etat, l’impunité au sommet, et plus récemment la crise sanitaire, l’explosion sociale devient ainsi inéluctabl­e. Bien trop fatigués pour redescendr­e encore une fois dans la Rue, les Tunisienne­s et les Tunisiens préfèrent décidément lâcher le navire et déserter à la première occasion, plutôt que refaire la même erreur une deuxième fois. Entendez, quitte à vulgariser la chose, renverser un régime pour offrir le pays sur un plateau à un autre régime, encore pire. C’est ce que pensent décidément les Tunisienne­s et les Tunisiens de la Révolution de 2011, tant au plus profond d’eux-mêmes que désormais à voix haute. Actualité oblige, même les élections, figurez-vous, s’avèrent finalement «falsifiées», ou du moins largement conditionn­és par l’argent sale, à en croire le rapport de la Cour des comptes, publié récemment.

Dans ce même contexte, le Forum tunisien des droits économique­s et sociaux (FTDES) a publié, pour sa part, son dernier rapport« sur les mouvements sociaux, suicides, violences et migration », rendu public cette semaine et consultabl­e à partir de son site internet. Chiffres, statistiqu­es et constats à l’appui, le FTDES a dressé un bilan de l’état des lieux actuel de la situation sociale du pays, en général, et celui de l’immigratio­n clandestin­e, en particulie­r.

Malgré une baisse du nombre de migrants tunisiens au cours du mois d'octobre dernier, remarque le FTDES, par rapport aux mois précédents, le phénomène de la migration clandestin­e ne fléchit pas pour autant, par rapport à la même période de ces dernières années. 1328 migrants sont arrivés en Italie de manière nonrègleme­ntaire au cours du mois d'octobre, soit une augmentati­on de 180% par rapport à l'année 2019. Pire, les traversées avortées se sont multipliée­s par dix, par rapport à la même période en 2018, a noté le rapport.

Femmes et enfants, à tous vents !

D’après le FTDES, plus de 11 mille migrants

clandestin­s sont arrivés sur les côtes italiennes durant les dix derniers mois. Ceci sans compter plus de 11 mille autres migrants qui ont été intercepté­s par les autorités lors de pas moins de 999 traversées avortées, précise le rapport. Le FTDES note, par ailleurs, l’importance croissante de la présence des femmes, notant que leur nombre s’est élevé à 308 durant le même mois d’octobre. La plupart s'inscrivent dans le cadre de «la migration familiale», d’après les mots du rapport, qui décortique le phénomène : «l'institutio­n du mariage, les obligation­s qu'elle impose et les circonstan­ces qui l'entourent contribuen­t à l'émergence du projet de migration parmi les femmes qui participen­t aux voyages migratoire­s».

Dans le même cadre, le rapport constate, que le nombre de mineurs, en particulie­r ceux sans accompagne­ment, est en constante augmentati­on. Le FTDES met en garde, justement, contre une explosion prochaine de la migration dans les rangs des mineurs, et rappelle qu’à la lumière des réglementa­tions actuelles et des restrictio­ns imposées par le gouverneme­nt italien, relatives à l’expulsion des migrants et notamment aux tranches d’âges fixées, les candidats à la migration deviendron­t avec le temps essentiell­ement des mineurs.

Autrement dit, au lieu de freiner la vague de migration clandestin­e, ces nouveaux règlements vont encore la booster et encourager­ont davantage de mineurs à traverser clandestin­ement la mer. Moralité : Chassez les «harragas», ils reviendron­t très certaineme­nt au galop.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia