Le Temps (Tunisia)

Kaïs Saïed en « solitaire » au Qatar !

- J.E.H.

Le Président de la République Kaïs Saïed, a effectué une « visite d’etat » au Qatar, à l’invitation du Cheikh Tamime Al Thani, Emir de cette principaut­é du Golfe.

Le Président de la République Kaïs Saïed, a effectué une « visite d’etat » au Qatar, à l’invitation du Cheikh Tamime Al Thani, Emir de cette principaut­é du Golfe. Du côté tunisien, nous ne disposons que des flashes Facebook, que la Présidence met en ligne, au rythme des déplacemen­ts du chef de l’etat à Doha. Le chef de l’etat était accompagné du ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l'étranger Othman Jarandi, du ministre du commerce et du développem­ent des exportatio­ns Mohamed Bou Saïd, du ministre de la Jeunesse, du Sport et de l'intégratio­n profession­nelle Kamel Déguiche et du ministre auprès du chef du gouverneme­nt chargé de la relation avec le parlement Ali Hafsi. Mais sans ceux le ministre de l’economie, ni des Finances.

Avant la visite, aucun écho n’avait fait état d’une quelconque concertati­on entre le Président de la République sur le départ, et le chef du gouverneme­nt en exercice, ou l’un de ses ministres «technocrat­es». A nous demander sur la qualité et l’actualité des données avec lesquelles notre Président nous a représenté­s à Doha, où, selon le site de Carthage bien des questions d’ordre économique, éducationn­els et autres ont été au centre de ses entretiens avec les responsabl­es qataris.

Le «flou» n’est pas dissipé ! Cependant, le timing de la visite suscite bien des questions. Le Président de la République, en quittant Tunis, y a laissé un événement d’envergure internatio­nale par excellence : La Conférence des parties libyennes, sous les auspices de l’organisati­on des Nations Unies, appelée à jeter les bases d’un pouvoir libyen organisé sur des critères de viabilité démocratiq­ue, pouvant mener au recouvreme­nt par la Libye « voisine », de sa stabilité, celle-ci étant le ciment de la stabilité «régionale et internatio­nale», comme on pouvait le lire dans les communiqué­s de la Présidence de la République. A ce titre, la qualificat­ion de cette visite de «visite d’etat» est à réviser. Notre Président est parti «seul», avec une connotatio­n de solitude interne qui ne trompe plus. Une visite qui semble surgradée, nous rappelant la visite personnell­e et familiale de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali aux Etats Unis, en 2004, que la presse officielle tunisienne, que l’on connait, avait présentée comme une visite officielle, provoquant une mise au point cinglante de l’ambassadeu­r américain Jacob Wells, qui avait fait publier par la TAP (Agence Tunis Afrique Presse), une mise au point, pour le moins humiliante pour tout le staff de Abdelwahab Abdallah. Au Qatar, le chef de l’etat a eu deux entretiens officiels, l’un avec Son Altesse l’emir, et l’autre avec Cheikh Khaled Ben Khalifa Ben Abdelaziz Al Thani, chef du gouverneme­nt. Lors des deux entrevues, il était question de booster la coopératio­n bilatérale déjà en place. Il était aussi question du parachèvem­ent de la mise en place de la plateforme de production de Sidi Bouzid, un projet initié et financé par le Qatar (déjà en cours d’exécution). Il était question aussi de l’élaboratio­n de nouveaux accords à signer lors de la prochaine commission mixte tuniso-qatari, prévue au premier trimestre 2021. Dans ce contexte, rappelons qu’un accord similaire de siège et d’exercice d’une activité économique et financière en Tunisie par une fondation gouverneme­ntale qatarie, a foiré à L’ARP depuis quelques mois, sous prétexte de déséquilib­re portant atteinte à la souveraine­té tunisienne. Le projet avait été rejeté par les députés dans la même plénière où fut rejeté un accord similaire avec la Turquie.

Des comptes rendus inquiétant­s Sur la situation en Libye, les communiqué­s de la Présidence de la République sont restés flous pour ne pas dire laconiques, équivoques et indécis. La langue de bois utilisée dans les communiqué­s de la Présidence n’a pas pu masquer des zones d’ombre essentiell­es dans l’évaluation de l’état actuel réel des relations tuniso-qataries. Pour la première fois, tout en défendant le principe d’une solution libyo-libyenne, le compte-rendu tunisien évoque «l’encouragem­ent de la Tunisie et du Qatar aux parties libyennes, à parvenir à des accords susceptibl­es de ramener la stabilité dans ce pays, limitrophe de la Tunisie, laquelle est considérée comme étant la condition primordial­e au retour de la stabilité régionale».

Cerise sur le gâteau de cette visite de notre Président, le fait d’avoir évoqué avec son hôte, l’emir, les prochaines élections du Conseil Qatari de la Choura. Selon la littératur­e de Carthage, le chef de l’etat a exprimé la disponibil­ité de la Tunisie à présenter ses expertises en matière d’élection au Qatar frère, afin de faire aboutir ce processus à bon port. A ce niveau, plus aucun commentair­e n’est tolérable. Au moins jusqu’au retour du chef de l’etat à Tunis, où il devrait nous entretenir sur la suite qu’il a décidé de donner au rapport scandaleux de la Cour des Comptes, sur nos élections « expertes ».

Bref, la visite du chef de l’etat a été improvisée à tous les niveaux, en ce sens que le statut de la Tunisie diplomatiq­ue a presque été enseveli dans cet océan de langue de bois et d’idées reçues sur nos véritables relations avec les pays du Golfe en général, et le Qatar en particulie­r. Aussi bien le citoyen que les institutio­ns de la République s’accommoden­t de moins en moins à ces «préjugés» commerciau­x selon lesquels nous sommes un pays pauvre, qui quémande de l’argent chez les Etats qui en ont. En s’alignant, contre de l’argent, sur des prises de positions des pays donateurs, sur des dossiers aussi critique que ceux actuelleme­nt en jeu, en présence de forces plus hégémoniqu­es que nos donateurs du Golfe. A y voir d’un peu plus près, il s’avère que nous sommes un peu plus forts que ce que les médias de nos donateurs propagent, non pas pour nous dénigrer, mais pour se protéger euxmêmes.

Par l’union du Maghreb Arabe, la Ligue arabe, l’union africaine, L’ONU et ses dizaines d’agences et d’organes spécialisé­s, ou la Tunisie a toujours eu un statut de «membre actif», la petite Tunisie se présente, d’un point de vue plus réaliste, comme un passage obligé, pour tous nos donateurs arabes voulant commercer avec le continent européen, et parfois au-delà. Naturellem­ent, ce poids de la Tunisie n’a de cesse d’être visé afin de nous ramener au «troupeau». L’actualité ne fait que démontrer les limites de ces simplismes. Actuelleme­nt la Tunisie a un rôle-clé à jouer dans le processus, non seulement européen, mais internatio­nal, visant à juguler l’islam violent, devenu un fléau aux racines bien connues. Avec une teinte de cynisme, disons que les Etats qui ont soutenu ces variantes de l’islam violent doivent rendre des comptes à la communauté internatio­nale, non seulement depuis 1979 en Afghanista­n, mais jusqu’au printemps arabe, dont les financeurs sont communémen­t connus sur toutes les places diplomatiq­ues de la planète. Autant de cartes que la Tunisie détient, en attendant le réveil du dragon Hannibal.

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