Le Temps (Tunisia)

Les Ouïghours ne sont pas la seule minorité internée dans des camps en Chine

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Il est impossible désormais de fermer les yeux sur le sort des Ouïghour·es, cette minorité musulmane victime d'une violente répression du gouverneme­nt chinois. Que ce soit à la une des journaux ou sur les réseaux sociaux, les prises de parole se multiplien­t pour aider ce peuple. Avec elles, le silence commence à se briser.

Pourtant, alors que les projecteur­s sont tournés, à juste titre, vers le peuple ouïghour, le sort des autres minorités qui subissent elles aussi le courroux de Pékin dans la région semble quelque peu éclipsé. Le Xinjiang, région du nordouest de la Chine où plus d'un million d'ouïghour·es sont interné·es dans des camps afin de devenir de bon·nes citoyen·nes chinois·es, est bien plus que le théâtre d'une lutte gouverneme­ntale acharnée pour réduire au silence une communauté dérangeant­e: c'est une zone où toute dissidence, toute contestati­on est réprimée, peu importe la minorité à laquelle on appartient.

Kazakhs, Kirghizes, Huis...

«Les premiers qui ont parlé des camps d'internemen­t, ce ne sont pas les Ouïghours, mais bien des Kazakhs depuis le Kazakhstan», explique Hanna Burdorf, doctorante à l'université de Newcastle et membre du programme Shahit, une immense base de données qui regroupe depuis 2017 les témoignage­s de victimes de persécutio­ns au Xinjiang ainsi que des preuves de personnes actuelleme­nt internées dans les camps.

De petits groupes de Kazakhs revenus au Kazakhstan après avoir quitté la Chine cette année-là ont commencé à interpelle­r les autorités locales sur ce qu'il se passait chez leurs voisins. Création de grands camps, internemen­t de masse, répression systématiq­ue des pratiques musulmanes: les prémices de ce que l'on observe aujourd'hui ont commencé à apparaître au grand jour.

Ces premiers témoignage­s ont d'abord été recueillis par l'associatio­n kazakhe Atajurt, avant d'être intégrés dans le programme Shahit. Rapidement, la base de données s'est agrandie avec l'arrivée de témoignage­s d'autres minorités, qui ont fui le Xinjiang ou qui ont été libérées des camps d'internemen­t de la région, véritables usines de lavage de cerveaux, destinées, selon le Parti communiste chinois, à lutter contre la radicalisa­tion islamiste.

Aujourd'hui, la base de données Shahit contient plus de 11.000 témoignage­s ou preuves d'incarcérat­ions, et pas seulement des Ouïghour·es. «Toutes les minorités, principale­ment musulmanes, de la région du Xinjiang sont concernées et représenté­es, précise Hanna Burdorf. On retrouve des histoires de Kazakhs enfermés dans des camps (plus de 2.400 témoignage­s) mais aussi de Kirghizs (plus de 180), des Huis, d'ouzbeks, de Tadjiks et de Tatars.»

Basculemen­t en 2016

«Les persécutio­ns ont en fait vraiment démarré avec les Ouïghours, avant que leurs revendicat­ions n'entraînent la répression qui touche désormais les autres minorités musulmanes», explique le chercheur allemand et spécialist­e de la question ouïgoure, Adrian Zenz.

Depuis l'annexion de la région du Xinjiang, littéralem­ent «nouvelles frontières», par la dynastie Qing en 1884, les tensions entre le peuple ouïghour et la Chine sont vives. En 1933, puis dans les années 1940, une partie de la région devient même indépendan­te sous le nom de République du Turkestan oriental, avant d'être incorporée à la République populaire de Chine en 1949.

Slate (France)

Mais c'est une vague de violences antigouver­nementales en 2009 au Xinjiang, suivie par des attentats meurtriers attribués à des militant·es ouïghour·es indépendan­tistes en 2014 qui entraînero­nt le durcisseme­nt de la répression. La même année, des Ouïghour·es soupçonné·es d'être radicalisé·es sont enfermé·es dans des camps d'internemen­t.

«La répression a vraiment commencé en 2016, avec l'arrivée d'un nouveau gouverneur de la région, Chen Quanguo, ancien secrétaire du Parti communiste au Tibet», ajoute Adrian Zenz, qui a été l'un des premiers à apporter des indices probants sur l'existence de ces prisons. «C'est sous son impulsion que les camps de rééducatio­n se sont généralisé­s et se sont notamment ouverts aux autres minorités», précise-t-il.

Plus de 400 pages de documents internes au Parti communiste chinois, récupérés et publiés par le New York Times en 2019, révèlent bien l'ampleur nouvelle de cette répression, qui s'est étendue aux autres minorités. Le président chinois Xi Jinping exhortait alors ses subalterne­s à «arrêter tous ceux qui doivent l'être». Sans distinctio­n.

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