Le Temps (Tunisia)

« Si tout allait bien dans la vie, j’arrêterais de créer des spectacles !»

Interview avec Sélim Ben Safia, artiste chorégraph­e, auteur de «Chawchra»

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Chorégraph­e et danseur franco- tunisien vivant entre les deux rives de la Méditerran­ée, Sélim Ben Safia vient de présenter à Montreuil en France, « Chawchra », un spectacle à succès qu’il signe et interprète avec Marwen Errouine. Cet artiste qui cartonne depuis quelque temps et dont le chemin de la réussite semble bien tracé, a bien voulu répondre à nos questions tournant autour de ses réalisatio­ns comme de ses projets.

Le Temps - Sayda BEN ZINEB

Chorégraph­e et danseur franco- tunisien vivant entre les deux rives de la Méditerran­ée, Sélim Ben Safia vient de présenter à Montreuil en France, « Chawchra », un spectacle à succès qu’il signe et interprète avec Marwen Errouine.

Cet artiste qui cartonne depuis quelque temps et dont le chemin de la réussite semble bien tracé, a bien voulu répondre à nos questions tournant autour de ses réalisatio­ns comme de ses projets. Entretien.

Le Temps : comment l’accueil à « Chawchara » s’est-il fait lors d’une première représenta­tion, le 24 octobre au Théâtre Berthelot de Montreuil dans le contexte actuel de pandémie ? Sélim Ben Safia : nous n’avions pas présenté « Chawchara » depuis le mois de Janvier, à cause de la Covid 19. Il y’a eu plusieurs rebondisse­ments avec des reports de dates, des annulation­s, des changement­s d’horaires à cause du couvre-feu. Mais nous avons réussi à maintenir notre représenta­tion à Montreuil. C’était un réel plaisir de retrouver la scène et le public. Cette date était unique car nous avons expériment­é une installati­on performati­ve avec le photograph­e Mark Maborough, où nous avons dû déambuler dans le Théâtre en étant très proches du public. Après tous ces mois d’absence, c’était magique ! Le public était masqué et respectait les distanciat­ions sociales, mais nous avons pu tout de même, percevoir leurs émotions.

*Après Montreuil et l’institut du Monde Arabe Paris, au mois de décembre 2020, quelles sont les prochaines destinatio­ns pour votre spectacle ?

-Cette question est compliquée en ces temps incertains et les changement­s perpétuels de planning. Nous espérons que la situation s’améliorera pour que l’on puisse participer au Festival In- Out Dance Festival, en février 2021 à Bobo Dioulasso au Burkina Faso, et au Festival « Ezzedine

Devons-nous adresser nos oeuvres à un public internatio­nal et répondre à des « fantasmes » occidentau­x ? Nous n’avons toujours pas de réponses à ces questions.

*Vous venez d’annoncer sur les réseaux sociaux, une bonne nouvelle : Al Badil est lauréat du programme « Safir ». De quoi s’agit-il au fait ?

-Le programme « Safir » est cofinancé par l’union Européenne et est porté par l’institut Français. Ce programme vise à accompagne­r des jeunes de la région MENA (Tunisie, Jordanie, Palestine, Maroc, Algérie, Liban, Egypte) dans la mise en place de projets à impact social, environnem­ental et culturel. L’associatio­n Al Badil a été sélectionn­ée pour mettre en place un programme

africaine « Danse l’afrique, danse » à Bamako. J’ai décidé très vite de me consacrer à la création de mes propres oeuvres et ne pas danser pour d’autres chorégraph­es. Grâce au Centre chorégraph­ique de Montpellie­r, j’ai réalisé plusieurs créations : « Je ne me reconnais plus », « Femmes », « A jour ».

En 2013, je suis revenu en Tunisie. Je souhaitais transmettr­e ce que j’ai appris à mes collègues, trouver des solutions pour promouvoir la danse dans mon pays et contribuer à cette révolution culturelle. J’ai alors mis sur pied, le festival Horslits Tunis qui permet la diffusion de créations contempora­ines chez l’habitant. C’était pour moi essentiel, de rapprocher le spectacle vivant du citoyen tunisien, et de permettre à mes collègues de continuer à créer.

Al Badil, en tant que structure juridique, a vu le jour en 2017. J’ai fondé cette associatio­n avec Farouk Ghazouani et Hejer Aoun ; deux amis qui apportaien­t un autre regard à la nécessité de créer des leviers pour faire rayonner la culture en Tunisie. Farouk et Hejer sont des profession­nels de l’événementi­el et la communicat­ion. Grâce à eux, j’ai réussi à mieux structurer les projets d’al Badil.

* Conscient des difficulté­s vécues en Tunisie, et soucieux de permettre aux artistes de diffuser leurs créations, vous avez déjà initié en 2014, le premier Hors-lits d’afrique. Hors-lits Tunis deviendra ensuite Horslits Tunisie. Pourriez-vous nous en dire plus ?

-En 2013, j’ai participé à Montpellie­r à un festival qui s’appelait « Hors- Lits » ; l’idée était de faire découvrir au public, des performanc­es artistique­s chez l’habitant : dans un salon, une cuisine, un toit… En dehors du lit !

J’ai trouvé l’idée géniale, et en collaborat­ion avec Leonardo Montecchia, l’initiateur de ce projet, j’ai décidé de l’importer en Tunisie. Cette idée permettait d’une part, de trouver une solution au manque d’espaces de diffusion artistique en Tunisie, et d’autre part, de toucher un public qui n’allait pas au Théâtre. Le premier Hors- Lits Tunis a été réalisé en novembre 2014 à la Médina. Les retours du public étaient exceptionn­els ; nous avons affiché complet ! J’ai eu envie de renouveler l’expérience dans d’autres espaces, comme La Marsa, La Goulette, Radés, le Centre-ville…

En 2018, avec la création de l’associatio­n Al Badil, nous avons rêvé encore plus grand : pourquoi ne pas concevoir un « Hors- Lits » sur l’ensemble du territoire ? Nous avons alors mis en place un processus de

formation en Management Culturel, destiné aux jeunes Tunisiens en recherche d’emploi. Ces jeunes entreprene­urs culturels sont devenus nos ambassadeu­rs sur l’ensemble du territoire. Nous avons réussi grâce à eux, d’initier des « Hors- Lits » à Jendouba, Beja, Bizerte, Sidi Bouzid, Sfax… C’est ainsi que le petit « Hors- Lits Tunis » est devenu « Hors Lits Tunisie ». D’ici 2022, j’aurai la possibilit­é de déployer ce projet sur l’ensemble des 24 Gouvernora­ts tunisiens.

*Vous focalisez votre recherche chorégraph­ique sur la difficulté de créer, sur le rôle de l’art dans les sociétés arabo-musulmanes, sur les pressions sociales subies par les danseurs, et sur l’avenir du métier post-printemps arabe…comment expliquiez-vous cela ?

-Si tout allait bien dans la vie, j’arrêterais de créer des spectacles ! Je pense que mon rôle en tant qu’artiste, est de questionne­r, critiquer, interpelle­r le public sur des sujets divers. En tant qu’artiste tunisien, je me questionne sur la perception de mon métier par le public. Avec un statut d’artiste quasi- inexistant, quelle place avons-nous dans nos sociétés ?

En ces temps de crise sanitaire, le secteur culturel souffre très fortement, et nous entendons trop souvent des commentair­es du genre : « oui, mais il y’a plus urgent que l’art en ce moment ». Ce type de réflexion en dit long sur la place du métier d’artiste et sur son avenir incertain.

*Comment arrivez-vous à concilier entre les scènes tunisienne­s et françaises ?

-J’ai un planning bien chargé entre les scènes tunisienne­s, françaises et mes activités de management auprès d’al Badil. Je considère le monde comme un grand village où il faut s’adapter en fonction des pratiques, des cultures et des contrainte­s. Je me déplace presque chaque mois entre différente­s villes ou pays, c’est un vrai moteur pour moi. Ce travail est possible grâce à mes équipes à Paris et à Tunis. Je suis accompagné par 4 personnes à plein temps qui font un travail formidable pour coordonner l’ensemble de mes activités.

*Quels sont vos futurs projets, et les possibilit­és d’assistance et de collaborat­ion avec les jeunes créateurs tunisiens ?

-Artistique­ment, je travaille sur une prochaine création chorégraph­ique qui verra le jour en 2022. Nous commencero­ns les répétions en octobre 2021.

L’accompagne­ment des jeunes Tunisiens continue en 2021 avec le projet Hors- Lits, où nous formerons 25 nouveaux jeunes de moins de 30 ans au Management Culturel. Grâce au projet Safir, nous augmentero­ns notre capacité à accompagne­r des projets à impact social, environnem­ental ou culturel. Nous continuons également d’établir des ponts avec des partenaire­s étrangers. En Juin 2021, nous lancerons le programme Archipel, en partenaria­t avec le Théâtre Françine Vasse à Nantes, et le Groupe danse partout au Québec, qui permettra l’accueil de 30 profession­nels du monde du spectacle, pour rencontrer des jeunes artistes et leur donner des opportunit­és de développem­ent en France, dans la région de Nantes métropole, et au Québec (Canada).

Propos recueillis par :

S.B.Z

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