Le Temps (Tunisia)

Brexit Le tournant américain de Johnson

- Le Monde (France)

Shakespear­e ou Feydeau ? Entre intrigue de cour et portes qui claquent, Downing Street vient d’être agité par une série d’événements qui a conduit Boris Johnson à limoger, vendredi 13 novembre, les militants d’un Brexit pur et dur dont il avait fait sa garde rapprochée. Le départ du plus célèbre d’entre eux, le conseiller spécial Dominic Cummings, artisan de la victoire du Brexit au référendum de 2016, promoteur du triomphe électoral de M. Johnson en décembre 2019 et partisan de méthodes de choc à l’égard de l’union européenne, ne saurait pourtant se résumer au dénouement d’un mauvais vaudeville.

Certes, l’emprise exorbitant­e sur le gouverneme­nt de M. Cummings, dit « Dom », personnage connu pour son mépris des élus et de l’administra­tion, ne faisait que souligner le dilettanti­sme et l’irrésoluti­on du premier ministre. Les fuites dans la presse organisées par ses proches pour forcer la main à M. Johnson, le conflit avec Carrie Symonds, compagne du premier ministre et ancienne directrice de la communicat­ion du Parti conservate­ur, ont conduit à la disgrâce de Dominic Cummings et d’autres « hard Brexiters ». Au-delà d’un psychodram­e gouverneme­ntal, l’épisode intervient à un moment crucial dans la négociatio­n des futures relations avec L’UE. A six semaines de la date limite – le 31 décembre – pour la conclusion d’un accord et quelques jours après l’échec de Donald Trump à la présidenti­elle américaine, le divorce entre M. Johnson et son stratège politique apparaît comme une marque de faiblesse, et donc comme le signe possible d’une plus grande dispositio­n au compromis. Le premier ministre, qui a « vendu » le Brexit aux Britanniqu­es en leur promettant un brillant avenir au sein d’une « anglosphèr­e » forte de sa « relation particuliè­re » avec les Etats-unis, comptait sur l’appui de Donald Trump et son hostilité envers L’UE.

Or, la victoire de Joe Biden renforce le danger d’isolement du Royaume-uni. Elle incite M. Johnson à lâcher du lest pour ménager ses futures relations avec une administra­tion démocrate qui pourrait le considérer comme un « Trump britanniqu­e ». L’entêtement du premier ministre à faire voter une loi reniant son engagement à l’égard de L’UE sur le statut de l’irlande du Nord a aggravé son cas aux yeux du camp Biden. Non seulement parce qu’il rappelle les méthodes du président américain sortant, mais aussi parce que cette loi blesse l’électorat américain d’origine irlandaise, comme M. Biden lui-même.

Latitude pour parvenir

à un accord

Alors que le Royaume-uni enregistre l’un des pires taux de mortalité due au Covid des pays développés et que 59 % des Britanniqu­es jugent négativeme­nt la façon dont il gère les négociatio­ns sur le Brexit, M. Johnson a toutes les raisons de vouloir éviter la catastroph­e supplément­aire que constituer­ait un rétablisse­ment des barrières douanières le 1er janvier 2021 en cas de « no deal ». Pour l’heure, les négociatio­ns paraissent dans l’impasse. La volonté du gouverneme­nt britanniqu­e de conserver un libre accès au marché unique européen, sans pour autant s’engager à respecter des conditions de concurrenc­e équitable, est inacceptab­le pour L’UE. En face, Londres ne peut faire droit à la revendicat­ion des Européens de conserver l’accès aux zones de pêche britanniqu­es.

En lâchant les ultras du Brexit, Boris Johnson s’est donné plus de latitude pour parvenir à un accord. Pour le Royaumeuni comme pour l’europe, il serait temps, en effet, de clore, avec le minimum de dégâts, l’interminab­le et venimeux divorce du Brexit.

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