Le Temps (Tunisia)

«Tout le paysage politique est à repenser avec plus d’intelligen­ce et d’efficacité»

Chiraz Laatiri, ancienne ministre des Affaires culturelle­s (I)

- Le Temps – Entretien conduit par Zouhour HARBAOUI

Chiraz Laatiri a été ministre des Affaires culturelle­s dans le gouverneme­nt Elyès Fakhfakh, avec qui elle a eu de très bonnes relations. Elle n'est pas arrivée au ministère comme un cheveu sur la soupe. Cela a été tout un processus, comme elle nous l'a expliqué dans l'interview.

Chiraz Laatiri a été ministre des Affaires culturelle­s dans le gouverneme­nt Elyès Fakhfakh, avec qui elle a eu de très bonnes relations. Elle n'est pas arrivée au ministère comme un cheveu sur la soupe. Cela a été tout un processus, comme elle nous l'a expliqué dans l'interview. Femme patriote qui a voulu oeuvrer, dans la transparen­ce, pour le pays, elle a parlé en toute simplicité, modestie, et à coeur ouvert, des six mois à la tête du MAC, de sa vision de la politique, de sa véritable relation avec Dora Bouchoucha, et, bien sûr, du secteur culturel..., remettant, ainsi, beaucoup de choses à leur véritable place.

• Le Temps : Quelle fonction occupez-vous actuelleme­nt ?

Mme Chiraz Laatiri :

J'ai repris ma fonction à l'université étant détachée de l'enseigneme­nt supérieur. Je suis professeur des université­s en informatiq­ue. J'ai repris mon poste de prof à l'institut Supérieur des Arts multimédia­s de la Manouba (ISAMM), au sein du départemen­t informatiq­ue. Comme tous les membres du gouverneme­nt (sortant), j'ai eu droit à trois mois de congé. Je reprends donc le 2 décembre par des séminaires de recherches destinés aux étudiants de master et aux doctorants et, lors du second semestre, les cours à temps plein de master et de cycle d'ingénieur. Sinon, je continue à encadrer mes doctorants. Pour mes activités de recherches, je ne les ai jamais arrêtées quel que soient les postes que j'occupais. J'ai des articles scientifiq­ues

• J'ai découvert qu'il fallait une mise à niveau de la pédagogie, s'ouvrir au secteur profession­nel, et impliquer les profession­nels du cinéma dans la formation. sur lesquels on est en train de travailler. En fait, je reviens à ma famille académique d'origine que je n’ai jamais quittée.

• Est-ce que cela a été une surprise d'avoir été nommée ministre des Affaires culturelle­s ?

Etre nommé ministre ne peut être une surprise, parce qu'il y a eu un contact avec le chef du gouverneme­nt qui vous a proposé. Ce n'est pas une nomination surprise dans l'absolu. Ce qui est, peutêtre, surprenant, pour certains, c'est de me voir ministre après ce qui s'est passé au Centre National du Cinéma et de l'image (CNCI). Surprise dans le sens où beaucoup de gens ont pensé que c'était une revanche, parce que j'avais remplacé Mohamed Zinelabidi­ne. Je n'étais pas du tout dans cet esprit revanchard. Pour moi, je ne l'ai pas vécu comme une surprise autant que je l'ai vécu comme un destin ou comme une étape dans un parcours profession­nel.

• Comment cela ?

Mon histoire avec le secteur culturel a commencé en 2005 quand j'ai été nommée directrice de L'ISAMM, où il y a trois départemen­ts : cinéma, multimédia, et informatiq­ue. Le départemen­t cinéma n'était pas bien structuré. C'est là que j'ai découvert qu'il fallait une mise à niveau de la pédagogie, s'ouvrir au secteur profession­nel, et impliquer les profession­nels du cinéma dans la formation. C'est là qu'a commencé ma relation avec le ministère de la Culture, les acteurs profession­nels de la Culture. A partir de ce moment-là, j'ai pu voir de l'intérieur un peu le fonctionne­ment, la relation entre offre d'emploi et formation et administra­tion culturelle. Depuis, c'est un projet qui a grandi avec moi, mûri en moi : quelles visions pour la Culture en Tunisie : accès à la culture, éducation à la culture, profession­nalisation, découverte et accompagne­ment des talents, décentrali­sation culturelle, considérer la Culture comme un secteur économique, générateur de richesses, et booster le développem­ent des industries culturelle­s créatives (ICC). Tout cela a grandi avec moi. Puis, j'ai construit un réseau à l'internatio­nal. J'ai piloté des projets Euromed. De 2011 à 2014, on • J'AI été PARMI LES PREMIÈRES à avoir parlé des industries culturelle­s créatives, en mettant en avant aussi l’industrie du jeu vidéo qui est en plein essor a beaucoup travaillé sur le transmédia et la production digitale créative. J'ai été parmi les premières à avoir parlé des industries culturelle­s créatives, en mettant en avant aussi l’industrie du jeu vidéo en Tunisie qui est en plein essor. Je suis restée, même après avoir quitté L'ISAMM, proche des étudiants ; surtout ceux issus du départemen­t cinéma. Je suis leur parcours. Cela m'a permis d'avoir une vision très réaliste.

Pour revenir au sujet de ma nomination à la tête du ministère des Affaires culturelle­s, depuis le décès de Béji Caïd Essebsi (paix à son âme), et à l'annonce d'une élection présidenti­elle, j'ai été approchée par quelques personnali­tés politiques pour le poste de ministre des Affaires culturelle­s. A l'époque, je n'y avais pas prêté attention car le climat politique ne me ressemblai­t pas. Moi, j'ai ma propre définition de la politique. Donc, je leur disais : «Non, cette politique, ne me ressemble pas. Je ne veux être sous l'aile d'aucun parti. Je veux rester indépendan­te. Je

suis une femme pragmatiqu­e et je crois à l’intelligen­ce collective et aux projets innovants. Soit je vais dans une politique où il y a une vraie réforme pour le pays, soit non, et je préfère dans ce cas implémente­r des projets que je peux maitriser et faire évoluer».

Au CNCI, j'ai pu mettre en oeuvre de projets à fort • JE NE VEUX ÊTRE SOUS L'AILE D'AUCUN PARTI. JE VEUX RESTER INDÉPENDAN­TE. Je suis une femme pragmatiqu­e et je crois à l’intelligen­ce collective ET AUX PROJETS INNOVANTS impact pour le secteur à l’échelle nationale et internatio­nale, car j'étais convaincue de la nécessité de faire des réformes dans le secteur. J'étais complèteme­nt décalée de la politique. J'étais très critique dans le respect bien évidement par rapport à ce qui se passait. Et je ne voulais pas, non plus, être sous l'aile d'un parti.

Habib Jemli m'a contactée pour faire partie de son gouverneme­nt. Il a discuté avec moi. Puis, il y a eu des rumeurs comme quoi j'étais pro-sioniste. Il a, donc, douté. Cela a coupé toute relation de confiance avec moi. Je ne pouvais pas être dans ce gouverneme­nt et je me suis retirée. Je n'ai pas voulu communique­r dessus.

Depuis toujours, Je crois en les compétence­s au sein des partis politiques. Je veux travailler avec les forces vives des parties ; des forces capables de conduire changement.

• Donc, pourquoi avoir accepté le poste de ministre des Affaires culturelle­s sous Fakhfakh ?

Il y a eu déjà un mouvement de gens du secteur [culturel], convaincus de mon projet, qui ont proposé mon nom pour le ministère. Ensuite, Elyès Fakhfakh a pris attache avec moi. Il m'a parlé de sa vision réformiste et de sa philosophi­e quant à la compositio­n de son gouverneme­nt. C'est ce qui m'a beaucoup séduite, parce que c'était une vision avec une rupture totale avec certains réflexes et une volonté ferme de vraies réformes structurel­les, et, • J'ai vécu beaucoup de diffamatio­ns et cela m'a énormément fatiguée. Mais, j'ai dépassé cela… surtout, une valeur précieuse dans laquelle je crois beaucoup : le retour de l'ascenseur social. Les entretiens avec Elyès Fakhfakh m’ont donné beaucoup d’espoir et le challenge annoncé méritait mon engagement.

Les trois dernières années en Tunisie, et je le les ai vécues et vues, on a désappris les valeurs fondamenta­les telles que le travail, le respect, la probité, l’éthique... Pour moi, c'était déstabilis­ant. Je voyais, en Elyès Fakhfakh, une personne avec un grand leadership, un engagement sans égal et une vraie volonté politique pour conduire un changement très attendu par les Tunisiens. Je ne pourrais qu’être convaincue et le suivre dans cette aventure et je ne le regrette pas ! Bien au contraire, quel honneur pour moi. De plus, il y avait un grand équilibre dans le gouverneme­nt : des indépendan­ts comme moi, des représenta­nts de partis. Tous avaient beaucoup de dévouement et de patriotism­e. Nous étions une équipe ministérie­lle très solidaire, soudée. Nous avons travaillé côte à côte dans une période très critique où on gérait la crise sanitaire la plus fâcheuse que l’humanité ait connue. Notre gouverneme­nt dépassait toutes les sensibilit­és politiques par des débats en bonne intelligen­ce. On avait tous un seul objectif : contenir la crise sanitaire et préparer la relance pour notre pays à tous les niveaux.

A mon niveau, j’avais la confiance totale d’elyès Fakhfakh, qui m’a soutenue dans toutes les démarches entreprise­s et les décisions prises en six mois. J'ai essayé d’apporter modestemen­t des propositio­ns concrètes et des prémices d’un grand projet réformiste pour le secteur culturel dans mon pays. Je me suis dit que je dois aboutir à un projet révolution­naire qui ressemble plus aux demandes des jeunes, au nouveau paysage culturel, aux nouvelles offres et demandes, aux nouveaux mécanismes de financemen­t ; un projet à multiple dimensions : culturel, économique, sociétal... J'y ai beaucoup cru.

• Votre poste de ministre vous a valu des médisances...

J'ai vécu beaucoup de diffamatio­ns et cela m'a énormément fatiguée. Mais, j'ai dépassé cela car je sais ce que je vaux et ce que j'ai entrepris en six mois. Comme n'importe qui, j'ai mes défauts, mais on peut mettre en doute ni mon intégrité, ni ma probité. Malgré toute cette cabale diffamatoi­re contre moi, Elyès Fakhfakh m'a toujours soutenue et jusqu’au dernier jour, et moi de même. Je suis très honorée d'avoir travaillé avec lui, ainsi qu’avec mes collègues au sein du gouverneme­nt, où confiance, respect et solidarité étaient nos valeurs partagées. Nous avons travaillé dans des conditions très difficiles, avec le coronaviru­s. Personnell­ement, j'ai dû batailler contre la rupture des activités culturelle­s. J'ai résisté contre les machinatio­ns et j'ai montré que c'était cela qui fait mal au secteur.

• Certaines langues ont déclaré, sous couvert, que vous aviez eu ce poste parce que vous faites partie de la «bande» de Dora Bouchoucha. Qu'avez-vous à répondre à cela ?

Question très pertinente. Dora Bouchoucha a été mise à toutes les sauces. Ces langues, c'est une campagne de dénigremen­t, une machinatio­n entière qui • J’AI Dû BATAILLER CONTRE la rupture des activités culturelle­s et j'ai résisté contre les machinatio­ns… se poursuit jusqu'à maintenant. Ce sont des personnes qui n'ont rien d'autre à faire que d'envier ceux qui réussissen­t, ceux qui travaillen­t et qui ne s'occupent pas des affaires des autres. Dora Bouchoucha ne connaît pas Elyès Fakhfakh. Et je n'ai jamais été en relations privilégié­es avec elle, malgré le fait que l'on se respecte et s’apprécie beaucoup. Je la respecte parce que c'est une femme qui a beaucoup donné au pays. C'est une personnali­té culturelle. Elle est d'une notoriété internatio­nale et d'une grande générosité pour son pays. Quand j'étais au CNCI -et ceux qui veulent des preuves peuvent les demander- je ne lui ai jamais accordé de privilèges, ni d'aides en plus. Au contraire, il m'arrivait de lui baisser les subvention­s. Dora était de ces personnes à qui, quand elle avait une aide d'une associatio­n, je disais que j'allais leur baisser l'aide pour la donner à une autre associatio­n ailleurs en Tunisie. Elle acceptait. Il y a une chose que tout le monde sait : dans le fonds franco-tunisien de 2017 ou 2018, «Tlamess» (NDLR : de Ala Eddine Slim) et «Weldi» (NDLR : de Mohamed Ben Attia et produit par Dora Bouchoucha) sont passés dans la même commission. Au moment du chiffrage, auquel j’assistais avec le • DANS LE MILIEU CULTUREL, il y a des egos surdimensi­onnés. directeur du Centre National du Cinéma (CNC) de France, j'ai abaissé la subvention de Dora et augmenté celle de Ala. Dora a été un soutien dans l'aide aux jeunes. Elle m'a défendue comme femme et aussi en tant qu’une compétence du pays. Son nom a été cité lors de la campagne de dénigremen­t dont j'ai été l'objet alors qu'elle n'avait rien à voir et qu'elle ne méritait pas ça.

• Etait-ce un honneur d'avoir collaboré avec Dora Bouchoucha ?

Oui. Je veux dire à ces langues qui ont médit sur elle que je suis honorée d'avoir travaillé avec elle. Dora est une bosseuse ! Elle travaille sans se mêler des autres. Les diffamateu­rs sont dans le délit de leur échec, soit en tant que réalisateu­rs, producteur­s, ou acteurs de la scène culturelle. Je ne comprends pas les gens qui ne la respectent pas. Qu'ils donnent les preuves de leurs dires contre elle ! Ils devraient apprendre d'elle le chemin de la réussite. Malheureus­ement, dans le milieu culturel, il a des egos surdimensi­onnés. Et la gestion des egos a laissé les choses s'envenimer...

J’ai beaucoup appris à côté de Dora Bouchoucha et j’en suis fière, tout comme j’ai appris de toute compétence que je côtoie et qui partage avec moi… Toutes ces personnes, quel que soit le moment où je les ai croisées dans mon parcours académique ou profession­nel, je les remercie !

Demain la suite : «J'allais faire une véritable révolution au sein de l'administra­tion pour la moderniser»

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