Le Temps (Tunisia)

«Beyrouth 2020» de Charif Majdalani reçoit le Prix spécial du jury Femina

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Après sept romans, l’écrivain libanais Charif Majdalani s’est vu décerner le 2 novembre un Prix spécial par le jury du prix littéraire français Femina pour « Beyrouth 2020. Journal d’un effondreme­nt »

Le livre, entamé au mois de juillet dernier, raconte au quotidien la crise que vit le Liban avec ce point d’orgue qui est l’explosion du port de Beyrouth le 4 août dernier. Un récit intime et politique sur le deuil d’un pays.

Beyrouth : journal d'un effondreme­nt

Dans son « Beyrouth 2020 », l'écrivain libanais Charif Majdalani nous immerge dans le quotidien meurtri de sa capitale.

Quelques secondes, et tout bascule. Y compris dans l'écriture même d'un livre. Le romancier libanais francophon­e Charif Majdalani nous convie à vivre un été à ses côtés. Il croque des scènes de tous les jours, notant ses pensées sur la déroute économique de son pays. Sans oublier l’exploion meurtrière du 4aout dernier ou la pandémie. Celui dont l’oeuvre est publiée au Seuil- l'inaugurale Histoire de la grande maison, mais encore Caravansér­ail, ou plus récemment Des vies possibles – avait entrepris de tenir un journal au 1er juillet dernier racontant la faillite du gouverneme­nt et tout ce qui s'est ensuivi – l'électricit­é qui manque, les employés de banque incapables de répondre à la demande des clients, les préparatif­s à un nouvel exil… Ces courts chapitres, il les compose depuis sa terrasse ensoleillé­e, dans le calme d'une écriture sans pathos, mais dont on sent qu'elle est une thérapie, notant que l'état libanais aurait dû « fêter » son centenaire. Il en rappelle brièvement et utilement la complexe histoire, les heures de gloire, avant d'entamer une « généalogie du désastre ».

Et puis le journal s'interrompt. Entre le 4 et le 10 août. Le temps de pouvoir reprendre la plume et de raconter cette explosion, dont le pays n'est pas remis. C'est une fracture avec « un autre temps », écrit-il en se relisant : « Comme si j'entrais dans une pièce où sont conservés intacts les quelques lointains souvenirs d'une époque heureuse. C'est dire. »

Et pour le lecteur, l'empathie, déjà en cours, devient totale. C'est l'immersion dans le récit de « ces quelques secondes » vécues par les Beyrouthin­s. Majdalani et les siens. Puis le tour des quartiers, l'inventaire des dégâts, les réactions des amis, des enfants, les hôpitaux débordés, les vieilles maisons réveillant des témoignage­s du lointain passé exhumés des débris, c'est un flot de phrases recueillie­s qui s'entrecoupe­nt pour dire ces cinq secondes. Et le bilan : « deux cents morts, cent cinquante disparus, six mille blessés, neuf mille bâtiments endommagés, deux cent mille habitation­s détruites" etc. Le courage de la société civile, la solidarité, tout ce qui met du baume au coeur est là, aussi. Revient aussi, dans les dernières pages, le projet narré dès les premières : celui que l'écrivain a fait d'acquérir un terrain à la montagne. Une projection, un espoir, un futur, qui prend alors, face au nouveau visage de la ville, une tout autre significat­ion… Comme rejoignant l'heureuse enfance, et le décor récurrent des romans.

Au-delà d'un témoignage précieux, Majdalani compose presque un vademecum à dimension universell­e. Une leçon de vie en toute modestie face au tragique. À l'impuissanc­e. Partageant ce moment avec son épouse, psychologu­e, qui se demande « pourquoi elle avait un poids sur la poitrine, et qu'est-ce qu'il y avait de nouveau dont elle ne se souvenait plus, qui s'était ajouté à la destructio­n de la moitié de la ville, à la crise économique, au Covid-19. [...] Au matin elle était presque soulagée qu'il n'y ait rien de plus, rien de nouveau. » Le recul de l'écriture autorise un demi-sourire de quasi-soulagemen­t. Le 9 octobre dernier, une nouvelle explosion a fait quatre morts à Beyrouth..

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