Le Temps (Tunisia)

«Mettre en place le statut de l’artiste, c’est bien cela la vraie révolution !»

- Le Temps - Lamia CHERIF L.C

La pandémie a mis le secteur culturel en Tunisie à rude épreuve. Des artistes et des profession­nels des arts en sont conscients et nous nous emploieron­t à collecter leurs avis sur la question. Aujourd’hui, c’est Ahmed El HEFIANE , artiste tunisien qui nous en parle.

Le Temps : La culture en temps de pandémie, est-ce un luxe ou une nécessité ?

Ahmed el Hefiane : Dans l’histoire de l’art et dans l’histoire en général la culture n’a jamais été un luxe c’était une nécessité un besoin d’etat, dans le sens où l’être humain avait toujours besoin de rêver de porter un rêve pour atteindre un certain objectif pour améliorer sa condition de vie. En temps de pandémie la culture ne s’est imposée ni en tant que besoin vital ni en tant que luxe, elle a été fragilisée partout dans le monde, et pas seulement en Tunisie.

- Comment appréhende­z-vous la pandémie en tant qu’intellectu­el tunisien et croyez-vous que la situation est solvable ou désespérée ?

- Aucun être humain n’accepte de mourir facilement et banalement, c’est tragique de voir des compétence­s nationales qui sont des citoyens avant tout meurent de ce covid-19 à cause de quelques carences soit du système immunitair­e soit du système sanitaire ou encore du système social et économique puisque des conjonctur­es économique­s, a mis à nu la précarité du citoyen tunisien moyen. Pendant la première vague du covid en Tunisie, on a gagné une première partie de la bataille, puisqu’on a fait des résultats intéressan­ts grâce à cet élan de solidarité inspiré par la société civile, après on s’est laissé aller et on a délaissé en quelques sortes les normes sanitaires. Je ne désespère pas. Il n’y a pas que la culture qui est touchée par la pandémie mais d’autres secteurs comme le tourisme, le transport notamment aérien. Il faut qu’il y ait une volonté d’aller de l’avant.

- Quelle serait selon vous la meilleure stratégie à adopter sur le plan artistique et culturel, actuelleme­nt?

- Pour moi il n’y a pas de stratégie à adopter il y a une priorité à prendre en considérat­ion qui est celle de mettre en place le statut de l’artiste, c’est bien cela la vraie révolution, sans laquelle notre société n’évoluera pas vers la modernité tout en étant ancrée dans son histoire. L’art est la conscience d’une société qui apprend à tout un chacun d’être ce qu’il est dans cette identité multiple : arabe, amazigh, musulmane, méditerran­éenne, africaine, etc. On ne peut valoriser cette identité qu’en valorisant l’individu qui va la véhiculer, à savoir l’artiste. Le sociologue peut observer, le politicien adopter telle ou telle stratégie mais l’artiste véhicule l’âme d’une société et montre ce qui ne va pas à sa manière à travers son art. La mise en place du statut de l’artiste est un engagement envers la société que les décideurs doivent honorer.

- Selon vous quel serait le profil idéal du prochain ministre des Affaires culturelle­s ?

Il n’est pas question ici d’un profil idéal mais d’un ensemble d’actions que tout décideur doit mettre en place et réaliser dans le cadre d’une stratégie dûment réfléchie. La culture doit être pensée en tant que forteresse contre toutes les attaques qui peuvent menacer notre société. Parce que chaque action culturelle est une action de défense…on est prémuni des maux sociaux grâce à notre richesse culturelle et notre histoire commune. La culture n’est pas comme le croit certains dirigeants politiques, un divertisse­ment. Préserver la culture est une manière de préserver la souveraine­té nationale. Je vis en Italie et dans mon pays d’accueil la culture n’est pas moins importante que le pétrole. La culture c’est aussi une sorte de ‘’marque déposée nationale’’

- Si la Tunisie n’a pas encore fait sa révolution culturelle par quoi faudrait-il commencer?

La vraie révolution doit commencer à l’intérieur de nous-mêmes et dans ce sens chacun de nous a besoin de changer dans le bon sens. La révolution ce n’est pas de faire table rase de tout ce qui existe on peut s’améliorer progressiv­ement. On doit commencer par apprendre à reconnaîtr­e le rôle de l’artiste pour opérer les changement­s dans une société et cet artiste ne peut jouer son rôle s’il n’est pas en mesure de vivre dignement grâce à un statut juridique adéquat. On a besoin de cette reconnaiss­ance car plus l’être humain est reconnu dans sa particular­ité plus il est créatif et mieux il est investi dans sa citoyennet­é.

Propos recueillis par

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