Le Temps (Tunisia)

Est-ce le prélude salvateur ?

- Le Temps - Jameleddin­e EL HAJJI

On peut dire, loin de tout complotism­e déplacé, que le dernier rapport de la Cour des comptes (trigger ou déclencheu­r) a révélé au grand jour, l'imminence d'un séisme qui risque d'emporter les fondements mêmes de l'etat tunisien de l'après 2011. La seule arme qui nous reste, c'est la relativisa­tion, et non la réduction de l'étendue de la corruption qui dévore le pays depuis.

On peut dire, loin de tout complotism­e déplacé, que le dernier rapport de la Cour des comptes (trigger ou déclencheu­r) a révélé au grand jour, l’imminence d’un séisme qui risque d’emporter les fondements mêmes de l’etat tunisien de l’après 2011. La seule arme qui nous reste, c’est la relativisa­tion, et non la réduction de l’étendue de la corruption qui dévore le pays depuis. La publicatio­n dudit rapport a été accueillie dans les milieux politiques et populaires avec une certaine dose d’indifféren­ce, de tiédeur, voire d’humour, ce qui donne une idée sur la conviction d’une large frange de la société quant à la corruption, comme étant un destin à subir, ou une composante inéluctabl­e du jeu politique qui nous gouverne.

Seulement voilà ; moins de deux semaines après, et au cours de cette semaine, nous nous réveillons sur trois événements que la société vivait comme une grossesse incestueus­e depuis plusieurs décennies. On découvre certains de nos militaires (Pas moins de 9000, depuis la Révolution) qui commercent avec certains groupes terroriste­s et autres contreband­iers sur le flanc ouest du pays. Et peut-être ailleurs aussi.

On découvre que certains de nos hauts responsabl­es sécuritair­es commercent, dans ou avec ou à la tête de réseaux de drogues. Avant d’assister à la guerre épistolair­e entre deux grands juges, portant sur toutes sortes d’abus de pouvoir et de procédures, de recels, en relation avec des dossiers classés «Haute sécurité de l’etat », en particulie­r des dossiers ayant trait aux assassinat­s politiques et aux différente­s opérations terroriste­s qui ont meurtri la sécurité de l’etat et de ses citoyens. Bien qu’aucune réaction claire n’ait émané des trois grandes pyramides du pouvoir de l’etat, force est de s’interroger si ce nouveau processus d’étalement de telles affaires sur la place publique est annonciate­ur d’une ère nouvelle de la pratique des affaires politiques. Mais une question plus méthodolog­ique relègue cette interrogat­ion. Ces affaires ainsi étalées, présentent-elles quelques dénominate­urs communs, ou bien émanent-elle d’un même système qui ronge l’etat bien avant 2011 ?

Une omerta qui ne paie plus

Fait remarquabl­e, dans l’un des détours d’une lettre d’un juge se chamaillan­t avec son collègue, on apprend en filigrane, que la Cour martiale présente le profil le plus impartial, et le plus loin de la corruption qui mine la Justice « civile » de la cité.

Plus intrigante encore cette entrevue que le chef de l’etat a eue avec le secrétaire général de L’UGTT, Noureddine Taboubi, au cours de laquelle ces dossiers auraient été évités, bien qu’ils défraient encore la chronique. A se demander si le rapport de la Cour des comptes, et les trois mauvais échos auraient des suites.

En temps normal, une seule de ces affaires est de nature à ébranler un gouverneme­nt. Trois ou quatre ébranlent un Etat entier. Avec tout le respect que nous avons pris l’habitude de vouer au «secret de l’instructio­n», par leur gravité et leur étendue, les affaires de cette semaine ne doivent pas nous être présentées sous cet angle. Car, le cas échéant, nous ne pourrons plus parler de «secret», mais de recel délibéré de questions en rapport direct avec la haute sécurité de l’etat et de la rue.

Reste à faire valoir, que nous devons les éléments de ces dossiers, non pas à notre paysage médiatique, mais aux réseaux sociaux, lesquels ont toujours réussi à transgress­er les barrières que les barons de cette corruption généralisé­e paient au prix fort, afin de nous bercer dans l’ignorance et le doute. Aujourd’hui, tout a changé. Tout le monde est suspect, jusqu’à preuve du contraire. C’est la totalité de l’etat qui devrait passer au microscope. Le temps de la propagande et des belles images tronquées, est bel et bien révolu. Avec cela, nous sommes toujours en retard d’au moins une étape : Celle de l’identifica­tion. Puisque les pots aux roses actuelleme­nt exposés à la vindicte populiste avaient été identifiés depuis plus d’une décennie. 2011 n’aurait changé, selon cette vision des choses, que la «tête du cageot» et non le reste, pour reprendre l’image chère à Bourguiba.

Une lourde ardoise à apurer

Le problème actuel de nos politicien­s, c’est qu’ils insistent à continuer l’oeuvre de leurs prédécesse­urs corrompus, en embellissa­nt, autant que faire se peut, la présentati­on de leur supercheri­e. Un exemple ? Le chef de L’ARP Rached Ghannouchi, sous toutes ses casquettes, vient d’appeler explicitem­ent à la distributi­on des terres domaniales aux jeunes, selon leur appartenan­ce régionale ! Et non sur la base de leurs compétence­s accumulées

dans l’agricultur­e et autres discipline­s connexes ? Les terres domaniales sont-elles des deniers de l’etat, ou bien un butin à se partager entre «conquérant­s» ? Ce bonhomme est-il borné idéologiqu­ement, ou bien agit-il dans le cadre du même groupe de corrompus et de criminels dévoilés cette semaine ?

Le plus inquiétant, c’est qu’aucun acteur politique n’a daigné mettre en ligne, ne serait-ce qu’un commentair­e, et non une réaction officielle, afin de se soustraire à cette vaste entreprise d’effritemen­t de l’etat !

Avec une telle classe politique, et une telle structure des différents pouvoirs, il nous est difficile de rêver d’aucun horizon salvateur.

Qui peut prendre le risque de ramasser tout cela, en une chaine de réformes musclées, accompagné­es d’une interminab­le série de procès, contre toutes les résistance­s, et tous ceux qui se sont joués de l’etat, de ses capacités présentes, et des perspectiv­es d’avenir de ses génération­s montantes ?

Dans les conditions du moment, l’appel à une conférence nationale de réconcilia­tion devrait prendre une direction toute autre. Celle de l’apurement de l’ardoise lourde d’une décennie d’errements et de dilapidati­on des potentiali­tés d’un pays qui était moins repoussant voici une dizaine d’années.

En tout état de cause, l’actuelle classe politique est complèteme­nt stérile sur ce tableau. D’où le besoin de tout effacer, afin de tout refaire sur de nouvelles bases. Ce jeu nouveau peut commencer par la rédaction d’un code électoral plus incisif et plus offensif à l’égard de la corruption et des corrompus de tous bords, qu’ils soient acteurs directs, ou hommes de logistique­s tapis dans les appareils de l’etat. Toute autre trajectoir­e mènera fatalement à la fourrière.

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