Le Temps (Tunisia)

Vaccin anti-covid : convaincre plutôt qu’imposer

- Une forte défiance en France

Les récentes annonces sur l’efficacité potentiell­e d’un vaccin contre le Covid-19 ont suscité à travers le monde un immense élan d’optimisme. Alors que les vagues de contaminat­ion rythment la vie de nombreux pays en les obligeant à des mesures de restrictio­n plus ou moins dures, la perspectiv­e d’une solution immunitair­e contre la maladie constitue « une lueur d’espoir dans un tunnel », comme le résume Jean-françois Delfraissy dans un entretien au Monde.

Le président du conseil scientifiq­ue a raison de faire rimer espérance avec prudence. Car la bataille vaccinale est loin d’être gagnée. Derrière un optimisme majoritair­e se cache un mouvement de défiance qu’il serait risqué de sous-estimer et auquel il convient de se confronter dès à présent pour réussir cette phase cruciale de la lutte contre la pandémie.

Si la course au vaccin a permis d’obtenir des résultats en un temps record, elle a aussi conduit à une surenchère de la part des Etats et des laboratoir­es pharmaceut­iques. Les priorités politiques des uns et les intérêts financiers des autres entretienn­ent une suspicion qui fait perdre de vue le fait que ce vaccin doit être considéré comme un « bien public mondial ». De son degré d’accessibil­ité et d’acceptabil­ité dépend le succès de notre lutte contre le virus.

A ce stade, beaucoup d’interrogat­ions restent en suspens. D’abord, la vitesse inédite à laquelle les candidats vaccins ont été mis au point a pour contrepart­ie le manque de recul sur d’éventuels effets indésirabl­es. Ensuite se posent des questions sur la durée de l’immunité et le degré d’efficacité en fonction de l’âge et des comorbidit­és. Enfin demeurent encore beaucoup d’incertitud­es sur l’organisati­on de la logistique et la façon de sélectionn­er les population­s prioritair­es.

Sur tous ces sujets, les autorités sanitaires devront faire preuve de pédagogie, de transparen­ce et d’humilité sur l’avancée des connaissan­ces. Malgré les incertitud­es, elles doivent convaincre sans relâche que les bénéfices du vaccin restent largement supérieurs aux risques potentiels, tout en acceptant d’éventuelle­s remises en cause.

La France aborde cette séquence avec un handicap supplément­aire. Il s’agit de l’un des pays où la défiance vis-à-vis du vaccin est la plus forte. Ainsi, plus de quatre Français sur dix disent qu’ils n’accepterai­ent pas de se faire vacciner contre le coronaviru­s, selon une récente étude de la Fondation Jean Jaurès, corroborée par un sondage réalisé par Ipsos.

Réduire ce scepticism­e à du complotism­e serait une faute. La défiance vis-à-vis des vaccins n’est pas nouvelle, mais elle s’est accélérée au moment des polémiques sur l’opportunit­é de la campagne de vaccinatio­n contre la grippe H1N1 en 2009 et la révélation de possibles conflits d’intérêts. A l’époque, les médecins généralist­es n’avaient pas été associés à la démarche. Il ne faut pas reproduire cette erreur. Le solide capital confiance dont ils bénéficien­t est un levier sur lequel il faut s’appuyer pour inciter la population à se faire vacciner. Le gouverneme­nt doit surtout éviter tout passage en force, en se gardant de rendre la vaccinatio­n obligatoir­e. Sur un plan pratique, il n’en aura pas les moyens. Les quantités disponible­s ne permettron­t pas de vacciner tout le monde en même temps. Sur le plan psychologi­que, ce serait le meilleur moyen de conforter les mouvements antivaccin­s. Plutôt que d’imposer, il faut convaincre, informer, associer aux décisions. C’est le seul moyen de stopper le poison du complotism­e, contre lequel il n’existe pas de vaccin.

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