Le Temps (Tunisia)

Entre adieux, symboles et déni

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Que fait un secrétaire d’etat américain lorsque les alliés des Etats-unis ont déjà tourné la page de la présidence de Donald Trump alors même que ce dernier refuse de reconnaîtr­e sa défaite?

Mike Pompeo a trouvé une réponse surprenant­e à cette équation: s’engager dans une longue tournée d’adieux qui ne dit pas son nom, esquivant la presse tout en peaufinant l’héritage de sa politique étrangère controvers­ée. Cinquante-quatre heures à Paris. Une minute d’apparition publique.

Le voyage du chef de la diplomatie de la première puissance mondiale commence, de manière insolite, par un week-end privé avec son épouse à la résidence de l’ambassadri­ce américaine, qui a organisé une série de rencontres non mentionnée­s à son agenda officiel.

Et si Mike Pompeo refait surface demain, c’est pour un furtif et silencieux hommage «aux victimes des récents attentats» en France. Sa rencontre avec le président Emmanuel Macron se déroule à l’abri des micros et des caméras.

Les autorités françaises n’ont pas voulu donner trop de relief à cette «visite de courtoisie» d’un ministre sur le départ. D’autant qu’elles affichent au même moment leur volonté de rebâtir la «donne transatlan­tique» avec le président-élu des Etats-unis Joe Biden, chaleureus­ement félicité après quatre années mouvementé­es avec Donald Trump.

L’absence de conférence de presse permet d’éviter les questions gênantes, vu que le loyal ministre trumpiste a assuré contre toute évidence, avant de quitter Washington, qu’il y aurait un second mandat du républicai­n et il a critiqué les dirigeants étrangers trop pressés de dialoguer avec le vainqueur démocrate.

Mais alors, pourquoi venir en France? Probableme­nt car il n’avait toujours pas fait de visite bilatérale chez le «plus vieil allié» des Etats-unis --ce qui en dit long sur l’état des relations américano-européenne­s.

A Paris, parmi moult désaccords, Américains et Français ont affiché leurs griefs communs à l’égard de la Turquie. Mike Pompeo veut «convaincre» le président Recep Tayyip Erdogan de cesser ses actions «très agressives».

Il se rend justement, dans la foulée, à Istanbul. Cela tombe bien.

Ou pas: malgré d’intenses tractation­s, Washington et Ankara n’ont pas réussi à glisser une entrevue avec des responsabl­es turcs dans cette visite consacrée à la «liberté religieuse», le principal --l’unique disent ses détracteur­s-- cheval de bataille de Mike Pompeo, chrétien fervent, en matière de droits humains.

«Incompatib­ilité d’agendas», minimise-t-on côté américain.

Côté turc, on fulmine sur ce qui ressemble à une critique en creux du bilan de la Turquie en matière religieuse.

La relation américano-turque, en dents de scie mais souvent sauvée par «l’amitié» Trumperdog­an, semble traverser une mauvaise passe en cette fin de mandat. Le président turc a, aussi, déjà félicité Joe Biden.

Muet depuis le début du voyage, d’etat s’exprime enfin.

C’est qu’il est à Al Qods et au Moyen-orient pour parfaire son bilan autour de l’alpha et l’omega de la stratégie trumpiste: soutien inégalé à Israël, «pression maximale» sur l’iran. C’est l’heure des derniers coups de canif à la tradition diplomatiq­ue américaine et au consensus internatio­nal: il devient le premier secrétaire d’etat à se rendre dans une colonie israélienn­e en Cisjordani­e occupée --plus précisémen­t au vignoble de Psagot et sa «cuvée Pompeo»-- et également le premier au Golan, ce plateau syrien annexé par Israël et dont l’administra­tion Trump a reconnu la souveraine­té israélienn­e.

«Mike Pompeo semble non seulement vouloir compliquer la présidence Biden mais aussi servir ses propres intérêts», proteste sur NBC Ben Rhodes, ex-conseiller de Barack Obama. Traduction: en multiplian­t les gestes unilatérau­x favorables à l’etat israélien, le ténor républicai­n veut flatter les chrétiens évangéliqu­es américains, un électorat-clé pour celui à qui l’on prête des ambitions présidenti­elles pour 2024.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, assez fin politique pour omettre en sa présence d’évoquer la «conversati­on chaleureus­e» qu’il vient d’avoir par téléphone avec le président-élu Biden, n’est lui que louanges pour son «ami Mike».

Mais ses propos, véritable discours d’adieu, doivent avoir un goût amer pour l’américain. Même l’indéfectib­le «Bibi» regarde déjà vers l’après-trump.

Dernières étapes, à Abou Dhabi, au Qatar et en Arabie saoudite, pour consolider l’union naissante anti-téhéran dans le sillage des accords historique­s de normalisat­ion des relations conclus, sous l’égide de Donald Trump, par Israël avec les Emirats arabes unis et Bahreïn. Et parler avec les talibans, au moment où le président sortant hâte le retrait américain.

Mike Pompeo entend-il éclairer les alliés arabes sur les intentions du gouverneme­nt américain pour ses deux derniers mois, entre la promesse de nouvelles sanctions contre des intérêts iraniens, la menace de mise à l’index des rebelles Houthis du Yémen et l’hypothèse, non confirmée, d’actions plus spectacula­ires encore pouvant aller jusqu’à des frappes militaires visant l’iran?

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