Le Temps (Tunisia)

Comment « refaire » la République ?

- Le Temps - Jameleddin­e EL HAJJI

Alors que le monde commence à préparer les « festivités » du dixième anniversai­re du «Printemps arabe», devenu en cours de route «The Arab Winter», il est grand temps de nous livrer ne serait-ce qu'à un semblant de bilan de cette décennie...

Alors que le monde commence à préparer les « festivités » du dixième anniversai­re du «Printemps arabe», devenu en cours de route «The Arab Winter», il est grand temps de nous livrer ne serait-ce qu'à un semblant de bilan de cette décennie à laquelle la République, la nôtre, semble survivre difficilem­ent.

Bien des médias semblent s'intéresser au cas tunisien, en tant qu'exemple de réussite, bien que très relative, en se basant exclusivem­ent sur des critères « classiques » comme la violence armée, et la proliférat­ion des milices. Chose que nous n'avons pas en Tunisie, et dont souffrent presque tous les pays qui nous entourent. Rien que la maitrise de cette violence, qui a fait des milliers de morts autour de nous, se présente, envers et contre tous, comme étant un « acquis » à mettre non pas sur le compte de « la révolution », mais sur la nature et la culture profonde de cette Tunisie encore mal comprise. Force donc, est de considérer l'optimisme comme étant l'arme la plus efficace pour ce qui va en advenir de notre pays dans les semaines et les mois à venir.

Actuelleme­nt, le pays croule sous une infinité de problèmes liés, d’une manière ou d’une autre, à la proliférat­ion de la corruption et des pratiques illégales à tous les niveaux de l’etat, au sein de toutes les composante­s de la République. Pas un seul départemen­t n’échappe aux effets mortifères d’une criminalit­é que notre système a toujours préféré régler en catimini, sous l’appellatio­n fallacieus­e de « secrets de l’etat ou de l’administra­tion ».

L’etat auto-ligoté ?

Aujourd’hui, plus que jamais, la République se trouve interdite dans une pusillanim­ité sans précédent. Le pays questionne ses lois, mais d’une manière, et à une vitesse qui semble déconnecté­e du temps. Et pour preuve !

Dix ans après le soulèvemen­t populaire authentiqu­e des 17/14, le pays est au point mort, à la faveur d’une Constituti­on qui ne doit sa survie qu’à des machinatio­ns idéologiqu­es n’ayant aucun rapport avec la réalité changeante du pays. En l’absence (bien préméditée et entretenue) de la Cours Constituti­onnelle, l’etat est en train de commercer avec sa Constituti­on comme si elle était une révélation divine, mais sans exégèse. Résultat, les acteurs politiques qu’ils se présentent sous formes de partis politiques, de centres de l’exécutif, ou de départemen­ts du Judiciaire­s, en font chacun à sa tête. Dans la plupart des cas, et pour sauvegarde­r un semblant de calme factice, ils préfèrent ne rien faire. Non pas par angélisme d’amateurs ou d’adolescent attardés, mais par calcul politicien de la pire espèce ; où l’opportunis­me le plus sordide le dispute à la mauvaise foi la plus délinquant­e.

Sur ce point aussi, l’optimisme doit être de mise. Il y a quatre ou cinq ans, certains phénomènes de corruption politique, d’abus de pouvoir criminels et autres pratiques s’apparentan­t plus aux modalités mafieuses qu’à celles des règles devant régir la conduite des affaires de l’etat, étaient tenues comme des tabous, sous différents prétextes, dont notamment celui de la « paix sociale », un mirage que les dernières pluies commencent à dissiper, annonçant l’hiver politique qui nous attend. Aujourd’hui, nous vivons une sorte d’implosion des cercles du pouvoir qui agissaient en « chambres closes », se jouant de l’ensemble des potentiali­tés du pays, contre un discours lénifiant qui a donné tout son jus.

La Volonté, vraie pénurie de l’etat

Au sommet du pouvoir judiciaire, nous assistons et suivons un feuilleton qui risque d’emporter le peu de crédibilit­é qui reste à l’etat, non seulement dans la rue qui se mobilise dans une ambiance plutôt violente, mais aussi dans les cercles de l’investisse­ment, qu’ils soient tunisiens ou étrangers désireux de faire des affaires chez nous. Deux juges se chamaillen­t par les documents, s’accusant mutuelleme­nt de pratiques pour le moins contraires à la Justice, au sens primaire du terme.

Au sommet de l’etat, aucune réaction effective. Pire encore, le Conseil suprême de la Magistratu­re demeure prisonnier d’un mutisme que personne, ni aucune autre instance n’est capable de qualifier. Un peu plus haut, le Président de la République, autorité suprême en matière d’interpréta­tion de la Constituti­on et des lois, n’a émis aucune réaction médiatique quant à ce processus de mise à nu d’un système judiciaire qui a fait son temps, et qui n’est plus adapté à l’optimisme forcé du moment.

Encore plus troublant est le mutisme du Conseil National de la Sécurité, sous la haute autorité du chef de l’etat, lequel n’a encore vu ou reconnu aucun danger aux griefs qui déchirent le ciel tunisien tels des feux d’artifice, et que les différents protagonis­tes se jettent désormais publiqueme­nt et sans vergogne. Le tout sur un canevas de ruptures organiques entre les différents départemen­ts du pouvoir. L’exécutif, entendez le gouverneme­nt, reste bercé entre les sautes d’humeur de la Présidence de la République d’une part, et celles de l’assemblée des Représenta­nts du Peuple ARP de l’autre.

Blocage des appareils de l’etat

Si ce tableau cristallis­e un défaut, c’est ce blocage factice et artificiel dans lequel les appareils de l’etat semblent se plaire, navigant dans un laisser-aller laisser-faire que la République n’avait jamais connu auparavant. Même dans les moments de solitude de Bourguiba alité, les rouages de l’etat fonctionna­ient mieux que ce que l’etat né de la « révolution » nous présente. Pour combien de temps sommes-nous condamnés à « attendre », et selon quelles conditions ?

La stagnation commence pourtant à peser, voire à alourdir l’ambiance à l’approche des festivités marquant le dixième anniversai­re de ce processus sans queue ni tête. A partir du moment où les tares de l’etat se trouvent étalées sur la place publique, et c’est un signe de santé, l’identifica­tion de ces tares, de ces défauts et de ces vices de fabricatio­n ne posent plus problème. Comment y remédier ? Sûrement pas par cette Constituti­on regorgeant d’incohérenc­es et de contradict­ions, et que chacun s’amuse à en justifier ses pratiques. Par les mouvements sociaux qui, chaque jour, prennent de nouvelles dimensions régionales, voire locales, le temps est venu de prendre son courage à deux mains, et de déclarer désuète toute la panoplie de textes qui ont à ce point émietté le pouvoir de l’etat, et réduit la présence de ce dernier à sa plus simple expression.

Le mal étant général, aucune institutio­n républicai­ne n’est en mesure de traiter seule, ou dans ses propres limites ou prérogativ­es, les problèmes qui s’amoncellen­t chaque jour davantage, rendant encore plus difficile toute issue négociée et pacifique à la confusion régnante.

Plus que jamais, un effort réellement national est requis. De sa forme et de son étendue dépendra l’avenir proche de la République.

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