Le Temps (Tunisia)

La république de la complaisan­ce, bloquée !

- Le Temps - Jameleddin­e EL HAJJI

Il n'y a pas de chaos en Tunisie. Il y a un jeu et des luttes qui mettent en scène minutieuse­ment un spectre de forces qu'il est difficile de ne pas pouvoir identifier clairement.

Le Temps - Jameleddin­e EL HAJJI

Il n’y a pas de chaos en Tunisie. Il y a un jeu et des luttes qui mettent en scène minutieuse­ment un spectre de forces qu’il est difficile de ne pas pouvoir identifier clairement. Delà à présenter l’actualité dans le pays comme étant un chaos, n’a aucune valeur méthodolog­ique, et ce malgré l’attrait mobilisate­ur du terme. Depuis au moins huit ans, le pays hésitait à en découdre avec certaines forces qu’il tenait pour responsabl­es de la détériorat­ion de sa situation économique et sociale. A un certain moment, la région sud a été la poudrière où les nouveaux ambitieux du pouvoir raclaient leur base électorale. Par sa proximité des frontières libyennes, l’etat, outre ses dispositio­ns purement sécuritair­es, n’a pas fait de percée dans la solution des problèmes nés de la zizanie qui régnait dans le territoire voisin. Il en a résulté des solutions provisoire­s qui changeaien­t au gré des événements, conférant à cette région du sud-est le rôle d’un thermomètr­e de la tension dans tout le pays. Tout cela rien que pour démystifie­r définitive­ment les slogans d’el Kamour et de la trainée de poudre qu’il a provoqué dans le reste du pays.

Le dernier épisode est on ne peut plus criard. Pas plus tard qu’hier, le Président de la République, en recevant les représenta­nts de la Justice, a évité toute corrélatio­n de la situation dans les régions avec les problèmes des juges et des tribunaux tunisiens. Donnant ainsi l’impression que les deux actualités, celle des bouillonne­ments régionaux et des protestati­ons des juges, n’ont pas de rapport direct l’une avec l’autre. Cette lecture n’est que de pure forme. Le dénominate­ur commun n’étant plus la dégradatio­n du pouvoir d’achat, ni la morosité ambiante dans les différents secteurs de l’économie et des finances.

La Justice à la recherche de garanties!

Si, par pure convention de bonnes intentions, les juges n’ont pas saisi délibéréme­nt le moment de leur soulèvemen­t, les mouvements que certaines régions connaissen­t ne peuvent être le fruit du hasard. Quel est le détonateur à tout cela ? Et on comprendra mieux ce qui se passe.

Le chef de l’etat, devant les représenta­tions des juges a évoqué le fameux rapport de la Cour des comptes, lequel, depuis qu’il a été rendu public, est resté lettre morte. Un rapport qui pointe du doigt, preuve à l’appui, la corruption et les crimes divers qui accablent certains partis et certaines personnes parmi les élus « de la nation » lors des Législativ­es et de la présidenti­elle de 2019.

En d’autres termes, et puisque ces gens siègent actuelleme­nt à L’ARP, et dans bien d’autres instances de décision, il serait bête, voire complice, de composer avec eux, à l’ombre dudit rapport. Ce qui revient à dire que tout le panier est pourri. Et qu’une purge juridique est devenue le préalable à toute amorce de solution « sérieuse » à la situation née de ces échéances.

Ce qui plaide encore davantage en faveur de cette lecture,

c’est la position prise par L’UGTT, d’« encadrer » les sit-ineurs, par le biais des unions régionales et locales de Travail. Le même rôle à peu près que la Centrale syndicale a joué lors du soulèvemen­t qui a conduit Ben Ali à se retirer en 2011. Ce rôle, L’UTICA, L’ETAP et les autres ne l’ont pas encore endossé, et ce pour des raisons qu’il convient de creuser sans complaisan­ce.

L’exécutif, représenté par le gouverneme­nt Méchichi, est normalemen­t l’institutio­n appelée à mettre en exécution les volontés de la Justice, nées du traitement par celle-ci du dossier de la Cour des Comptes. Avec la multiplica­tion des points chauds sur le territoire, on voit mal la Brigade économique et les autres instances compétente­s mener sereinemen­t leurs investigat­ions, à charge et à décharge, sur les griefs désignés par la Cour des Comptes.

La solution tant redoutée

Devant cette situation se sont multipliés les appels au Président de la République, en sa qualité de garant de la Constituti­on (sans Cour Constituti­onnelle!), à déclencher des élections anticipées, sur la base d’une nouvelle loi électorale. Avec les mêmes composante­s et les mêmes députés actuelleme­nt mis en cause par la Cour des Comptes ? Une forme de rebelote que le pays ne supporte plus.

Certains assortisse­nt leur appel par la réquisitio­n du Conseil National de la Sécurité, et d’unités de l’armée nationale, afin d’encadrer les prochaines échéances anticipées. Là encore, l’on se trompe de phase. Le Conseil National de Sécurité a bel et bien reçu une copie du rapport de la Cour des Comptes. Certains griefs s’apparenten­t à des crimes pouvant atteindre la haute trahison. Le Conseil n’a, jusqu’à ce jour, émis aucune réaction, encore moins aucune instructio­n à qui de droit, pour initier cette purge tant souhaitée par la société civile. C’est dans ce contexte que les protestati­ons des juges trouvent un début d’explicatio­n politique. La vérité c’est qu’on ne peut pas confier le chantier ouvert par la Cour des Comptes, à la Justice miséreuse telle que photograph­iée et présentée dans les médias et les réseaux sociaux. Sans parler de la corporatio­n des médias qui se démène depuis plusieurs jours à présenter ses doléances, devant le Palais du gouverneme­nt à la Kasbah. La situation se présente donc comme une accumulati­on, et un enchaineme­nt de crises qui couvaient dans les tiroirs de la République depuis une dizaine d’années. Une situation où tout le monde est suspect, tout le monde est fautif, mais personne ni aucune institutio­n n’est prête à endosser seule la responsabi­lité et les tares d’une République où la corruption, le double emploi, les compromis, les privilèges, les monopoles et les services rendus, en ont miné les bases. Pour que l’actuel chef de L’ARP, Rached Ghannouchi couronne le tout, en appelant chaque région à se servir ellemême directemen­t dans les deniers de l’etat, au moment même où il appelle à un nouveau Tawafok, un terme que le chef du parti islamiste a fait glisser du registre politique, à celui franchemen­t mafieux!

Ce qui transparai­t jusqu’à maintenant du processus en cours, c’est l’impossibil­ité de tout dialogue ou « conférence de réconcilia­tion nationale », tant que les griefs retenus par la Cour des Comptes n’ont pas été élucidés, dans la toute-puissance de la loi et la transparen­ce des procédures.

Tout le charivari et la gabegie régnant actuelleme­nt ne sont que des alibis visant à entraver ce processus de Justice, étendu et long il est vrai. Mais c’est la seule issue pour éviter le pire. La Sécurité et l’armée n’y seront pas en reste, le moment venu.

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