Burkina Faso : la force du vote face aux islamistes
A l’heure où la légitimité de la démocratie représentative et le verdict des urnes sont contestés dans bien des parties du monde, l’élection présidentielle qui s’est tenue, dimanche 22 novembre, au Burkina Faso a valeur de symbole. Les files d’électeurs patientant dès l’aube pour voter dans ce pays, l’un des plus pauvres du monde, en témoignent : l’aspiration à débattre de l’avenir et à choisir librement ses représentants est universelle. Ce n’est pas une question de culture ni de richesse.
Annoncée jeudi 26 novembre, la réélection au premier tour, avec 57,87 % des voix, du président Roch Marc Christian Kaboré, élu en 2015 après l’insurrection populaire qui avait mis fin à vingt-sept ans de pouvoir sans partage de Blaise Compaoré, traduit la volonté de stabilité dans ce pays en proie au terrorisme islamiste. Depuis cinq ans, les attaques ont causé la mort de plus de 1 600 personnes et chassé de leurs villages 1 million d’autres dans le nord et l’est du territoire, respectivement frontaliers du Mali et du Niger.
Certes, des bureaux de vote, menacés par les islamistes affiliés à Al-qaida ou à l’organisation Etat islamique, n’ont pas pu ouvrir. Quelque 500 000 des 6,5 millions d’électeurs recensés n’ont pas pu voter, et le taux de participation ne dépasse pas 50 %. « Celui qui plonge son doigt dans l’encre indélébile [certifiant le fait d’avoir voté] peut dire adieu à son doigt », avaient prévenu des hommes armés. On ne saurait mieux résumer l’enjeu que représentait l’organisation de ce scrutin, que beaucoup d’observateurs pensaient impossible, et le succès que constitue la tenue conjointe, dans le calme, d’élections présidentielle – avec treize candidats – et législatives.
Inyer
Ce tour de force ne peut cependant masquer l’immense défi que constitue le contrôle par des groupes islamistes de zones entières du « pays des hommes intègres », longtemps réputé pour sa liberté d’expression et son vivreensemble. Si le Burkina Faso est au bord du chaos, c’est d’abord parce que ces groupes prospèrent sur les défaillances de l’etat.
Exploitant les rivalités ancestrales entre éleveurs et agriculteurs, entre la minorité peule et les Mossis dominants, les islamistes se posent en arbitres des conflits qu’une administration absente et une classe dirigeante parfois corrompue sont incapables de régler. La compétition pour la terre, exacerbée par la pression démographique et le changement climatique, aggrave ces contentieux. Les violences qui en découlent génèrent un besoin de sécurité que les djihadistes se font fort d’assurer.
Réélu après avoir promis de « ramener la paix », le président Kaboré doit d’abord restaurer l’autorité de l’etat. Une tâche à laquelle les militaires français de l’opération « Barkhane », dont la présence n’a été contestée par aucun des candidats à la présidentielle, peuvent contribuer. Mais M. Kaboré devra aussi désamorcer la dangereuse spirale de violences déclenchée par l’enrôlement, à son initiative, de groupes d’autodéfense contre les « bandits » islamistes, souvent constitués sur une base ethnique.
Il n’y parviendra pas sans une action déterminée pour restreindre le rôle des civils dans la lutte contre les djihadistes, pour lutter contre les abus des militaires et pour régler les conflits fonciers. Tout cela dans un pays secoué par la crise due au Covid-19 et où un habitant sur dix souffre de la faim. L’autorité que lui confère la réussite d’une improbable présidentielle ne sera pas de trop face à ces défis vitaux pour le Burkina Faso, un pays dont dépend largement la stabilité de l’afrique de l’ouest.