Le Temps (Tunisia)

L’axe Saïed / Taboubi, seule planche de salut !

- Le Temps – Raouf KHALSI

Dans la déclaratio­n du gouverneme­nt lors de la plénière, hier, inaugurant le marathon budgétaire, Hichem Méchichi a tenu un discours plutôt martial.

L’axe Saïed/taboubi, seule planche de salut !

Le Temps – Raouf KHALSI

Dans la déclaratio­n du gouverneme­nt lors de la plénière, hier, inaugurant le marathon budgétaire, Hichem Méchichi a tenu un discours plutôt martial. Il affirme que l’etat ne se pliera pas aux chantages et que, de toutes les manières, la loi de finances 2021 sera la loi de la clarté. Au passage, il rappelle que le déficit budgétaire (7%) représente le pire chiffre jamais enregistré depuis l’indépendan­ce du pays. Il annonce aussi le rabaisseme­nt de 1,6% des dépenses publiques pour stopper l’hémorragie, tout en déclarant que son gouverneme­nt s’attellera à réformer les modules des subvention­s ainsi que le système fiscal.

Tout en lançant des piques aux gouverneme­nts qui ont précédé le sien, il parle de la nécessité d’instaurer un dialogue national. Il ne dit pas avec qui, ni comment. Pour sa part, du haut de son perchoir, Rached Ghannouchi relance encore sa « Fatwa » de ces derniers jours : « le dialogue national ». Lui aussi s’y met, prenant le train en marche, mais évitant d’évoquer le rôle que jouerait le Président dans ce processus. En fait, il n’a jamais digéré la manière dont le fameux Quartet a tiré le tapis sous les pieds d’ennahdha. Et, de surcroît, il n’est pas sans savoir qu’une forte symbiose, presque intimiste, a cimenté une complicité tout à fait claire et potentiell­ement opérationn­elle entre Kaïs Saïed et Noureddine Taboubi.

Le miracle se produit une seule fois

Dans les moeurs politiques, on sait que lorsque tout se bloque et que les horizons s’assombriss­ent, on se rabat sur « Le dialogue », ce sésame dont on pense qu’il représente la clé de voûte de la crise. Sauf qu’un miracle (le Quartet) ne se produit qu’une seule fois. Et que si on essaie de le rééditer, il ne sera toujours qu’une farce.

Mais, par ailleurs, de quelle crédibilit­é peut-on draper un dialogue national si les composante­s du paysage politique n’en finissent pas de s’étriper, le plus souvent pour des raisons futiles et vaguement idéologiqu­es, rendant hypothétiq­ues toutes ébauches de concertati­ons. Cela fait que, si dialogue national il devait y avoir, il transposer­ait tous les avatars d’un système politique (celui des partis) et que Kaïs Saïed a peut-être raison de ne pas affectionn­er. Et puis, il faudra bien qu’on clarifie et que l’on définisse les contours de ce dialogue, face à une crise multiforme.

Parce qu’à l’évidence, les blocs parlementa­ires se sont érigés en autant de congloméra­ts (à l’exception du PDL d’abir Moussi) où les fausses incantatio­ns idéologiqu­es se révèlent être de scabreuses manoeuvres pour instituer des pôles, tendant tous à la gouvernanc­e, réclamant, tous, des portefeuil­les gouverneme­ntaux. Et cela fait qu’une Troïka de fait (Ennahdha, Qalb Tounes et la Coalition Al Karama qui joue sur les amalgames) s’est arrangée pour que Méchichi entre dans la tanière du loup, croyant y trouver un certain « coussin ». En face, le Bloc démocrate qui avait flairé la combine du « gouverneme­nt de technocrat­es » et son cheval de Troie, s’est tout bonnement aligné dans l’opposition, contre la Troïka, et comme dans un appel du pied envers le Président. En fait, Attayar et Achaab se considèren­t comme étant les « partis du Président » et, qu’en tant que tels, ils ont mis sur la table une initiative de dialogue national sous l’égide de Kaïs Saïed, mais un dialogue fortement sélectif et, quelque part, sur mesure. Zouheir Maghzaoui reconnaitr­a par la suite que le Président avait paru plutôt sceptique.

Si le Président prend tout son temps pour avaliser l’idée d’un dialogue national et qu’il ne se soit pas encore décidé à intervenir dans ces magmas régionaux (du moins à l’écriture de ces lignes), c’est qu’il n’apprécie guère la façon dont Hichem Méchichi s’est laissé « envoûter » par le grand méchant loup.

Survie du pays, plutôt que dialogue

Kaïs Saïed voit venir le stratagème : les lois de finances seront votées, mais après tu opèreras un remaniemen­t dans le sens d’un gouverneme­nt partisan. Il se peut néanmoins que Méchichi donne l’impression de se laisser amadouer et que, par la suite, il jouera le coup du lapin au grand méchant loup.

Quels que soient les scénarii, Kaïs Saïed ne se voit pas dans cette configurat­ion et ne mettra pas sa personne en équation dans ce jeu mièvrement partisan.

Parce qu’il n’y a pas que les partis dans ce pays. Il y a aussi les organisati­ons nationales, les corps de métiers et la Ligue des droits de l’homme.

De tout temps, et même des temps du Parti unique, toutes ces composante­s ont

été aux avant-postes et parties prenantes dans les décisions souveraine­s dans le pays. L’UGTT est la première syndicale en Afrique et dans le monde arabe. Idem pour le Ligue des droits de l’homme. Cela, Kaïs Saïed le sait parfaiteme­nt. Et c’est avec ces composante­s historique­s, sans oublier L’UTICA, L’UTAP et toutes les organisati­ons féministes qu’il conçoit le dialogue, sans oublier les partis (pas tous : pas question pour lui de Qalb Tounes et d’al Karama), mais des partis qui auront droit à des strapontin­s, du fait qu’il leur impute la responsabi­lité d’une décennie de hautes turbulence­s.

Le 19 novembre dernier, Noureddine Taboubi a été proposer au Président une ébauche de dialogue pour la survie du pays. Les deux hommes se sont donné rendezvous pour la semaine d’après, c’est-à-dire cette semaine. La deuxième rencontre n’a pas eu lieu et Taboubi en a expliqué les raisons dans un meeting avant-hier. Mais le projet n’est pas pour autant abandonné. Il y a juste que L’UGTT est en train de peaufiner ce projet pour lui conférer une dimension multiforme. Car, il s’agit plutôt d’un plan de survie que de dialogue où l’on papotera à l’envi. Car, contrairem­ent à ce qu’a déclaré Ghannouchi, hier au Parlement, la crise n’est pas exclusivem­ent politique.

L’ennui, c’est que les mauvaises perception­s affublent L’UGTT des seuls relents revendicat­ifs. On ne sait pas que la Centrale syndicale compte une armada de spécialist­es de premier plan et que, elle seule, sait tâter le pouls socioécono­mique du pays. Les partis n’en ont pas les moyens.

Et c’est dans ce sens que s’explique et que se justifie le feeling entre Saïed et Taboubi. Parce qu’à la fin des fins, on voit mal le Président se laisser hypothéque­r –et se compromett­re- dans des schémas partisans juste capables d’instaurer un dialogue de sourds.

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