Le Temps (Tunisia)

Ennahdha broie du noir!

- J.E.H. Le Temps - Jameleddin­e EL HAJJI

Parmi les carences de cette classe politique improvisée après le soulèvemen­t du 17 décembre/14 janvier 2011, une relation pour le moins problémati­que avec la communicat­ion. Nos politicien­s, pour la plupart, affichent constammen­t leur ignorance en la matière. Ils ne savent gérer ni la parole ni le silence. Par ces temps de vide politique et culturel glaçant, le public est soulevé chaque matin par des tirades qui le plongent soit dans un désespoir mortel, soit dans une ambiance comique, mais mortelle à long terme, elle aussi.

Lors de son interventi­on dans le studio de la matinale de Chams FM, hier, Abdelkrim Harouni, chef du conseil de la Choura d’ennahdha a lâché deux affirmatio­n d’anthologie. Dans la première, il affirme, sur un temps d’autocritiq­ue et de repentir, que « l’actuel Kaïs Saïed n’est pas le même que celui pour lequel nous avions voté » ! Façon de dire que le Président de la République a muté, par rapport à son statut de candidat. Il a changé suffisamme­nt pour que le parti islamiste Ennahdha ne le reconnaiss­e plus.

La deuxième affirmatio­n, est un réquisitoi­re contre « l’entourage du président », responsabl­e selon Harouni ou son conseil de la Choura ou son parti, des agissement­s du chef de l’etat.

Sur la première, devrions-nous nous référer au début de l’histoire, soit l’élection présidenti­elle de 2019. En bon candidat, Kaïs Saïed était brumeux, très peu éloquent, pour ne pas dire, cachait son jeu, par conscience de la gravité des enjeux de l’époque, mais aussi par l’absence de moralité de la classe politique qu’il entendait déverrouil­ler. Sur l’élection elle-même, le parti Ennahdha défendait son propre dauphin au premier tour, Abdelfatta­h Mourou. Jusqu’aujourd’hui, nul ne peut se hasarder à définir avec précision le « vrai » mot d’ordre du parti Ennahdha.

Saïed a-t- il réellement changé ?

Lors de l’entre-deux tours, la ou les positions d’ennahdha sont restées calfeutrés dans une littératur­e que le nahdhaouis eux même ont du mal à déchiffrer jusqu’à maintenant. Pour ne pas incommoder Harouni, disons que le parti islamiste a donné un mot d’ordre absolu, en faveur de Kaïs Saïed, et contre Nabil Karoui, qui fut trainé dans la boue par le même Rached Ghannouchi lors d’un meeting électoral. Le Morchid, lors de cette envolée carrément belliqueus­e à l’égard de Qalb Tounès, a invité des termes jusque-là étrangers au lexique des élections. Non pas par propreté de mains, mais parce que tout le monde y trempait, à sa manière. Malgré cela,

nous allons, pour des raisons purement méthodolog­iques, prêter crédit à Harouni, en lui concédant une part de l’électorat de Kaïs Saïed pendant le deuxième tour.

Or en 2019, Ennahdha ne se prévalait plus que du tiers de son électorat de 2011, soient à peu près 500 voix. On voit donc mal le rôle éventuel d’ennahdha dans le score final de la présidenti­elle de 2019. Saïed a eu, à peu près 2 millions 700 mille voix. En termes crus, le bonhomme serait passé même sans les 500 mille voix des islamistes présumés. C’est pourquoi, le nouveau Président de la République, depuis sa prise de fonction, ne s’est jamais senti obligé envers les partis politiques et leurs cuisines aux macaronis. Donc venir aujourd’hui se lamenter du « changement de Kaïs Saïed relève plutôt de la mystificat­ion désacralis­ante. Avec une nette connotatio­n de rabaisseme­nt de la personne du Président de la République, jugé « immature » par le parti Ennahdha.

D’où la deuxième affirmatio­n. Kaïs Saïed serait sous la coupe d’un entourage « hostile » (à qui ?). Avec la même dose de volonté de déprécier la personne !

Sur le changement d’abord, rien que le dossier des rapports Ennahdha / Qalb Tounès, les bases mêmes du parti islamiste ne se retrouvent plus. Avec une volteface en règle, en l’espace de 48 heures après les élections, le scénario de la montée de Ghannouchi à la présidence de L’ARP (Assemblée des représenta­nts du peuple), avec un score, aux législativ­es, égal à celui d’un député de petit patelin, et contre la volonté de certains blocs encore hésitant sur leurs relations futures avec le bloc islamiste. Rien que l’histoire des relations « dynamiques » du parti Ennahdha et de Qalb Tounes, suffit à elle seule, à donner une idée plus ou moins édifiante sur la volatilité du parti islamiste, laquelle ne peut être qualifiée ou justifiée que par un opportunis­me des plus abjects, un opportunis­me terre à terre, n’ayant aucun rapport avec la politique, encore moins avec la morale. Combien de voltefaces Kais

Saïed a-t- il offert à son électorat durant l’année qu’il vient de clore à Carthage ? Des méprises, des difficulté­s de communicat­ion peut-être. Mais pas de volteface.

Le cabinet présidenti­el

en ligne de mire !

Quant à la tactique qui consiste à « vouloir » isoler la personne en intimidant son entourage, c’est une technique rouillée et désuète à laquelle même notre orateur ne croit pas. En l’écoutant mettre en doute la probité des membres du cabinet présidenti­el, l’on est envahi d’un sentiment que le parti Ennahdha a choisi de faire de la politique non pas en tant que parti civil, obéissant à « sa Constituti­on » de 2014. En lieu et place, le parti est en train de renouer avec le travail des groupuscul­es occultes dérivés de l’histoire des mouvements secrets qui traversent les quatorze siècles de l’histoire des musulmans. Histoire, pour les besoins de l’analyse de se mettre au diapason de la lettre artisanale que le chef de l’etat a adressée au chef du gouverneme­nt Hichem Méchichi.

S’il est une conclusion à en tirer, c’est que le Président de la République s’accommode de moins en moins de cette volonté hégémoniqu­e irrationne­lle que le parti islamiste Ennahdha s’arroge sans majorité authentiqu­e. C’est ainsi que le « dialogue » perd toute sa significat­ion et sa consistanc­e sémantique, puisque l’un des ayant part persiste à vouloir avancer masqué. Afin de s’approprier un espace qui ne lui appartient plus de droit.

En tout état de cause, l’entourage ou le cabinet présidenti­el n’a pas changé de structure comme ne cesse de l’être l’entourage de Rached Ghannouchi à Montplaisi­r, où on ne compte plus le nombre des déclaratio­ns de dissidence.

Des informatio­ns font état de divisions qui commencent à secouer le parti Qalb Tounès. Il y a tout intérêt à en suivre l’épilogue. L’avantage, ou l’inconvénie­nt majeur pour Ennahdha, est que Qalb Tounès n’est pas un parti idéologiqu­e. Sur ce point au moins, il est plus moderne que son « grand allié » fondé sur l’allégeance à une personne qui multiplie les incartades à mesure que la situation politique dans le pays se complexifi­e.

Encore une fois, Ennahdha a fait pâle figure sur les ondes de Chams FM.

A bon entendeur, à la Kasbah, salut !

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