Le Temps (Tunisia)

L'irak mythique de Hanaa Malallah

Le Temps-hatem BOURIAL Artiste irakienne, née à la fin des années cinquante, Hanaa Malallah met en oeuvre une approche sémiotique complexe dans des créations inspirées par la mythologie mésopotami­enne.

- H.B

Il est rare que les oeuvres d'une artiste irakienne soient exposées en Tunisie. Ce fait mérite d'être d'autant plus souligné que ces oeuvres appartienn­ent à la collection de la Fondation Kamel Lazaar qui vient de les inclure dans l'exposition "Seen/unseen" qui se poursuit jusqu'au 7 mars à la station d'art B7L9 à Bhar Lazreg.

Cette grande exposition déployée sur 550 mètres carrés rassemble cinq femmes de divers horizons. Amina Saoudi Aït Khay est une tisserande marocaine qui vit à Sousse, en Tunisie. Hajra Waheed est née au Canada et vit à Montréal. Shilpa Gupta est née en Inde alors que Stéphanie Saadé est née au Liban.

Palimpsest­es et cryptogram­mes

Hanaa Malallah qui a grandi puis enseigné à Bagdad participe à cet événement avec deux oeuvres qui font partie d'une série intitulée "Code Number". Réalisée en 1998, cette série met en oeuvre un projet sémiotique qui prend sa racine dans la mythologie de l'irak. Hanaa Malallah qui dans le passé a dirigé le départemen­t graphique de l'institut des Beaux-arts de Bagdad, se ressource en puisant dans le patrimoine de signes légué par les civilisati­ons de la Mésopotami­e. Pour Karim Soltane, commissair­e d'exposition et chercheur, l'artiste "construit un réseau complexe et cohérent de signes dérivés du savoir historique, d'objets glanés du quotidien et d'une accrētion Jraduelle des matériaux". Cette démarche débouche sur "des clés de lecture disséminée­s au sein même de l'oeuvre et qui permettent de décoder un système pourtant clos sur lui-même", selon les propos de Karim Soltane.

De fait, les deux oeuvres de Hanaa Malallah semblent énigmatiqu­es et évoquent palimpsest­es et cryptogram­mes. Des réseaux de signes occupent l'espace de la toile jusqu'à la saturation. Le regard n'en est que plus perplexe, en quête de points d'appui qui permettaie­nt de décoder cette sarabande de signes. Pour cela, il faudrait se référer à des systèmes historique­s, des jeux dont l'origine remonte à l'antiquité, des villes comme Ur ou Babylone.

Les échos du chaos de l'histoire

Hanaa Malallah qui vit désormais au Royaume-uni, brasse le savoir qui la relie à son pays. Peut-être rend-elle silencieus­ement hommage au Musée de Bagdad, pillé durant la guerre et qui fut le berceau de son inspiratio­n ? Peutêtre essaie-t-elle de conjurer le chaos irakien, consécutif à plusieurs guerres meurtrière­s, en se replongean­t dans un passé mythique ? D'une certaine manière, la méthode de Hanaa Malallah nous fait songer à une artiste tunisienne qui mobilisera­it l'alphabet punique, des images mentales de vestiges et l'imaginaire carthagino­is. Ce sont ainsi des univers impercepti­bles, une mémoire des tréfonds de nos cultures que Malallah met en mouvement.

La profusion et la profondeur

Réalisée il y a presque un quart de siècle, la série "Code Number" est inépuisabl­e et ne livrera jamais tous ses secrets. On peut seulement l'approcher, en appréhende­r quelques traces, en saisir la quintessen­ce, l'embrasser du regard. Mais l'oeuvre se déploie à l'infini, ne se décode qu'à travers une sémiotique dont il faut posséder les arcanes. Avec ces tableaux, Hanaa Malallah nous met face à un mystère, un rébus dont les clés sont éparpillée­s dans le passé. Dès lors, dans l'impossibil­ité de lire l'oeuvre, on finit par s'y projeter en laissant l'intuition prendre le pas sur la raison, en se noyant littéralem­ent dans l'agencement des signes et leur esthétique. On en sort renforcé, le regard épuisé mais conquis par la profusion et la profondeur.

Les deux tableaux de Hanaa Malallah comptent parmi les pièces maîtresses de l'exposition "Seen/unseen".

Chercher le dedans du dehors

Elles sont d'ailleurs au coeur du dispositif de cette exposition qui cherche l'invisible derrière l'apparent, le matriciel plutôt que ce qui affleure, le dedans du dehors. En regard avec les oeuvres de quatre autres artistes, les deux toiles de "Code Number" en deviennent plus puissantes encore. Peutêtre sont-elles les clés de lecture de l'ensemble des oeuvres présentes ? Peut-être sont-elles ce qui met en cohérence les approches de cinq artistes en quête de mémoire, d'universel, d'un socle commun qu'il soit mythique ou fantasmé, d'une poétique et au final d'une humanité en partage ?

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