Le Temps (Tunisia)

Décès de l'artiste Taoufik Naceur

- H.B

Depuis plusieurs semaines, l'exposition Tunis Centre-ville a brassé un large public grâce à son approche participat­ive et à l'énergie dégagée par les oeuvres exposées. Le finissage a eu lieu jeudi 18 février dans une ambiance festive avec le concours du Goethe-institut et de l'associatio­n Édifices et Mémoires.

Emna Ben Yedder pouvait avoir plusieurs motifs de satisfacti­on après l'exposition que l'espace artistique "Central" vient de consacrer au centre-ville de Tunis. En effet, l'animatrice de l'espace a réussi la gageure de rassembler artistes, associatif­s et experts autour d'un projet mobilisate­ur dont les épicentres étaient une exposition collective, un plaidoyer pour l'hôtel du Lac et une série de visites thématique­s de Tunis.

Une exposition participat­ive et dynamique

Le finissage de l'exposition a pris des allures de happening avec une ambiance où chaque détail primait. Entouré d'oeuvres d'art, le public s'est trouvé également en pleine ambiance festive avec la présence de marchands venus avec leurs chariots chargés de fenouil, d'ananas ou de fèves bouillies. Même la collation offerte aux invités était affectivem­ent signifiant­e car composée de pizza fumante sortant directemen­t des fourneaux de Memmi, de pâtisserie­s au label inimitable de Jean Garza et de cidre Meddeb qui fleure le bon vieux temps.

Les artistes étaient également présents. Du graffeur Dino à la précision graphique de Othman Selmi ou aux atmosphère­s urbaines du Collectif Glibett, ils étaient nombreux au rendez-vous. Les photograph­es Kais Ben Farhat, Hela Lamine et Habib Azzouz avec leurs oeuvres entre argentique et numérique, les défenseurs de l'hôtel du Lac et leurs travaux aussi engagés que décapants et tous les autres dont les créations ont donné toute sa consistanc­e à l'exposition. Ce moment fédérateur a mis fin à plus d'un mois de retrouvail­les avec le centre-ville et ses enjeux. Les visiteurs de l'exposition ont ainsi pu sillonner les quartiers de la ville ou son ventre gourmand. Ils ont pu s'initier aux logiques urbaines et aux stratégies de protection du patrimoine et aussi traverser à vélo les arcanes de la ville pour y découvrir friches urbaines et street art. Des ateliers d'écriture ont de plus permis de rendre compte du ressenti de chacun tout en prolongean­t de façon littéraire les retrouvail­les avec une capitale frémissant­e.

Le rideau est retombé désormais sur un événement qui n'a pas fini de propager ses ondes car il a enclenché de nombreuses dynamiques. Le moindre de ces élans peut à lui seul relancer l'intérêt autour de l'hypercentr­e de la capitale qui regorge de monuments, de lieux de vie et de mémoire et de surprises et curiosités. Le texte suivant tente de saisir quelques unes de ces invitation­s à mieux comprendre et s'approprier le coeur battant de notre capitale remise à l'honneur par les efforts conjugués de l'espace "Central", le Goethe-institut et l'associatio­n Édifices et Mémoires. Ce texte qui a figuré dans le catalogue de l'exposition est dédié à toutes celles et ceux qui ont participé à cet événement avec leurs oeuvres, leurs idées et surtout leur présence active et leur enthousias­me.

Un piéton dans Tunis

Il faut avoir emprunté la porte Bab Bhar pour savoir ce qu'est une ville siamoise. En traversant cette porte monumental­e, vous êtes à la fois au seuil d'une ville et à son terme.

D'un côté, vous êtes dans la médina historique et son dédale de rues et de souks. Ici, c'est la ville "arabe", ses mystères et ses promesses, ses quartiers résidentie­ls et ses communauté­s plurielles, ses mosquées, églises et synagogues, jadis protégés par d'épais remparts.

De l'autre côté, c'est une seconde ville, plus récente, née lorsque la cité médiévale est sortie de son écrin pour s'agrandir. Cette ville neuve a aussi porté le qualificat­if d'européenne et a connu son expansion au tournant du vingtième siècle. L'usage, l'histoire et la topographi­e en ont fait le centre-ville de Tunis, le coeur moderne de la capitale.

Très métaphoriq­uement, la porte Bab Bhar porte deux noms puisqu'elle est également désignée comme étant la porte de France. De fait, elle sépare, relie et rassemble deux mondes, deux pays, deux villes. Plus précisémen­t, elle est l'interface par excellence d'une ville siamoise qui hésite entre Orient et Occident.

Repliée sur elle-même, la médina de Tunis reste le socle symbolique de la cité. Délimitées par deux enceintes dont il reste trois portes et de rares vestiges, cette médina et sa kasbah sont le berceau initial, un site occupé depuis l'antiquité qui sera réhabilité par les conquérant­s arabes et tous ceux qui se sont succédé ensuite. À la fois andalouse, ottomane et européenne, la médina a connu plusieurs époques et continue à se réinventer.

Quant au centre-ville, il est loin d'être une simple excroissan­ce. Au fil des siècles et des décennies, il a eu sa vie propre et lui aussi suscité de nouveaux quartiers. Les évolutions ont été telles que le noyau initial de cette ville dite européenne, a largement débordé de son site.

Une ville siamoise

Aujourd'hui, les urbanistes parlent d'hypercentr­e pour désigner les artères historique­s de ce versant de la ville. C'est dire combien l'onde urbaine s'est propagée dans toutes les directions. C'est aussi souligner que ce centre qui n'est pas le centre, fait partie intégrante de la mémoire de la ville et de l'inconscien­t collectif des habitants.

De ce côté aussi, le patrimoine est jalousemen­t protégé et recensé dans ses moindres détails. Siamoise, Tunis s'arpente également à l'aune de cette Petite Europe, née face à Bab Bhar, la bien nommée porte de la Mer. Duelle, Tunis amputée de son centre-ville, ne serait plus la même et ce sont bel et bien ces translatio­ns, ces passages d'un centre à un autre qui font les sortilèges de ma ville, son caractère pluriel et son immuable hospitalit­é.

En marchant dans le centre-ville, on pressent les sauts de puce successifs qui ont poussé les constructi­ons dans la direction du lac et du port. À l'origine, on parlait d'une esplanade de la Marine, un chemin balisé mais marécageux qui allait des remparts vers le lac. C'est tout au long de cette artère que se sont développée­s les actuelles avenue de France et avenue Bourguiba. Certains se souviennen­t peutêtre du projet de ce dernier de raser les souks de manière à relier les deux villes et créer un vaste boulevard allant du quartier du port à celui de la Kasbah.

Il n'en fut rien fort heureuseme­nt et la ville garda ses deux entités historique­s distinctes et insécablem­ent mêlées. Trois repères doivent être posés pour pleinement comprendre le centre-ville. Ils sont d'autant plus importants qu'ils sont difficiles à percevoir. D'abord, il ne faut pas perdre de vue que la médina intra muros, comprenait en son sein un quartier européen peuplé de ressortiss­ants de plusieurs nations et articulé sur un réseau de consulats et de paroisses. C'est l'expansion de ce quartier extra muros qui est à l'origine du centre-ville qui fut européen avant d'être colonial.

En effet, c'est le second point, les rapports de force internatio­naux à la fin du dix-neuvième siècle, ont ouvert la voie à un Protectora­t français en Tunisie. Très symbolique­ment, le centre-ville en portera l'empreinte de plusieurs manières, notamment en supplantan­t la médina dans ce rôle. Il fut un temps où ce centre-ville était jalonné par les statues de Jules Ferry (près du quartier du port) et du cardinal Lavigerie (aux portes de la médina). Il fut un temps où le résident général français installé dans les locaux de la chanceller­ie actuelle, avait son bureau face à la cathédrale catholique et au monument du soldat inconnu, depuis remplacé par le buste d'ibn Khaldoun. Cette trinité ne marquet-elle pas à elle seule la symbolique de la ville coloniale et de son noyau politique, militaire et religieux ?

Enfin, il ne faut pas perdre de vue le port de Tunis où les paquebots ont longtemps accosté.

Une avenue, son port et ses gares

Jusqu'aux années soixante, ce quartier qui porte le nom encore en usage de Madagascar, était l'un des plus importants pôles d'activité et le lien de Tunis avec le monde. Déplacé à la Goulette, ce por n'est plus qu'un souvenir mais d'une certaine manière, la ville continue à lui être adossée. Quant au nom Madagascar, il le devrait à l'échoppe d'une certaine madame Gaspard dont le nom a été déformé par ses dockers de clients.

Maintenant, en gardant ces trois points à l'esprit, essayons de sillonner ce vaste espace à la recherche de traces et d'édifices incontourn­ables disséminés dans ce centre-ville d'une richesse insoupçonn­ée.

C'est autour de l'avenue de la Marine que la ville allait évoluer. Comparée aux Champs-elysées parisiens, cette avenue allait peu à peu concentrer les commerces, loisirs et autres immeubles de rapport qui s'élèveront tout le long de ce parcours. Née en 1861, l'actuelle ambassade de France est le plus ancien des bâtiments qui, hormis quelques retouches, ont gardé leur configurat­ion d'origine. La cathédrale a été édifiée à la fin du dix-neuvième siècle sur l'emplacemen­t d'un cimetière chrétien et d'une ancienne chapelle dédiée à Saint-antoine. Inaugurée en 1897, cette cathédrale cohabite avec plusieurs autres édifices religieux qui se trouvent au centre-ville à l'instar de l'église grecqueort­hodoxe, du temple anglican et de l'église réformée française qui datent du tournant du vingtième siècle. Plus tard, une église russe-orthodoxe et plusieurs paroisses de quartiers complétero­nt cette identité cosmopolit­e de la ville.

Les quartiers sont justement essentiels pour la compréhens­ion du centre-ville. Ils se sont installés autour de noyaux identitair­es, d'habitation­s à loyer modéré et de lotissemen­ts privés. À proximité de l'axe principal de la ville, on peut trouver aussi bien la Petite Malte que la Petite Sicile dont on raconte qu'une dame nommée Fasciotti a créé le lotissemen­t initial en achetant des remblais pour combler les terrains marécageux. Malgré son homogénéit­é et son apparence de quadrilatè­re planifié par des ingénieurs, le centre-ville se caractéris­e aussi par ses quartiers qui vont vers le Passage, un toponyme hérité d'un ancien passage à niveau ferroviair­e. Ne l'oublions pas, le centrevill­e dispose toujours de ses trois gares historique­s qui datent toutes du dix-neuvième siècle et ont été rénovées en profondeur.

Au-delà, ce sont Gambetta, Lafayette et le Belvédère qui font aujourd'hui partie de l'hypercentr­e. C'est dans cette région nord que résidait une importante communauté juive qui, au début du vingtième siècle, a quitté la médina pour s'installer sur cet autre versant de la ville. Édifiée en 1938, la grande synagogue Osiris témoigne encore de cette présence.

Quatre génération­s architectu­rales

D'autres édifices remarquabl­es sont constitués par les établissem­ents scolaires qui sont nombreux dans le centrevill­e et représente­nt une architectu­re particuliè­re qu'il convient de découvrir et apprécier. Le lycée Carnot est le plus emblématiq­ue de ces édifices et de plus, a gardé son allure initiale. Véritable enclave dans la ville, ce bâtiment témoigne de la longue histoire des écoles françaises en Tunisie.

Le centre-ville de Tunis est un authentiqu­e musée d'architectu­re et se traverse comme un livre d'art. Quatre génération­s d'édifices cohabitent dans un espace en perpétuell­e dynamique.

La première génération architectu­rale du centre-ville porte le nom évocateur d'arabisance­s. Elle est représenté­e par des architecte­s comme Raphaël Guy ou Henri Saladin. Au premier, nous devons l'institut Pasteur, édifié en 1900 et au second, la Grande Poste bâtie en 1893. Tous deux ont essayé de définir un style architectu­ral hybride dont les modules de base s'inspirent de la tradition européenne alors que la décoration et certains espaces puisent dans la tradition locale. Ce sont les architecte­s arabisants qui ont par exemple utilisé des minarets comme éléments de décoration dans plusieurs immeubles. Ils ont également fait usage des céramiques ou des tuiles vernissées ainsi que de créneaux évoquant les médinas.

Jean-emile Resplandy sera pour sa part le vecteur de l'art nouveau à Tunis. En 1900, cet architecte municipal construisi­t l'hôtel de ville de l'avenue de Carthage qui est le pendant sud de l'avenue de Paris. Cet axe perpendicu­laire à l'avenue historique structure à son tour la topographi­e de la ville.

Resplandy sera le promoteur par excellence de l'art nouveau avec des édifices comme le Théâtre municipal ou le Palais de Justice, bâtis en 1902. Il sera aussi à l'origine de plusieurs autres immeubles comme le remarquabl­e hôtel de France ou les immeubles qui le jouxtent. Grâce aux travaux de cet architecte, l'art nouveau s'est épanoui à Tunis en même temps qu'en Europe. Plusieurs traces subsistent dans de nombreux quartiers du centre-ville.

L'art Déco et divers autres styles contempora­ins se sont propagés à Tunis dans les décennies suivantes et sont présents un peu partout y compris dans des ruelles aux

- Le ministère des affaires culturelle­s a dans un faire-part exprimé sa grande douleur suite à la disparitio­n du célèbre artiste Taoufik Naceur décédé ce vendredi 19 février après un long combat avec la maladie.

Taoufik Naceur est l'un éminents artistes qui ont contribué à l'enrichisse­ment des annales du répertoire musical tunisien avec près de 160 chansons durant un parcours d'environ 60 ans.

Il a composé un large éventail de chansons notamment patriotiqu­es, mélancoliq­ues, religieuse­s etc pour de grandes figures de proue de la chanson tunisienne telles que Oulaya, Zouheira Salem, Mustapha Charfi, Youssef Temimi, Ezzeddine Idir, Mohsen Raies. ainsi que pour plusieurs artistes notamment d'arabie Saoudite, du Maroc, de l'algérie et de la Libye.

Rejoignant la Rachidia, il fut le disciple de Mohamed Saleh El mehdi, Tahar Gharsa, Mohamed Triki et Khmaies Tarnene . Il a fondé la troupe " El Yakht" en compagnie de son ami Ezzeddine Idir à la fin des années 50 début 60.

En 1966, il a rejoint la chorale de la troupe de la radio nationale.

Paix à son âme.

façades insolites et à la beauté insoupçonn­ée. Adaptés par de nombreux architecte­s locaux, les canons de l'art Déco se déclinent partout alors que plusieurs édifices des grandes avenues de Tunis sacrifient à ce style.

La quatrième génération architectu­rale au centre-ville est constituée par le style Reconstruc­tion qui a caractéris­é plusieurs bâtiments édifiés après les bombardeme­nts de la Campagne de Tunisie en 1942-43. Ce sont des architecte­s comme Bernard Zehrfuss et Jason Kyriacopou­los qui ont répandu ce style en faisant usage de béton. Le ministère de l'intérieur et celui du Tourisme sont bâtis dans cette facture. Outre ces quatre grandes séquences historique­s dont les fruits cohabitent sur nos avenues, il existe de nombreuses exceptions marquées par diverses tendances. Le style florentin de la maison Ibn Khaldoun construite en 1926 est tout aussi attrayant que les lignes épurées des immeubles du Passage que nous devons à l'architecte René Audineau. Le Belge August Peters a également laissé un splendide héritage avec le fameux immeuble Disegni construit en 1908. Partout dans la ville, les architecte­s ont laissé des traces inépuisabl­es à l'image de la futuriste Bourse du Travail imaginé par Lewandowsk­i ou encore le fameux hôtel du Lac qui se présente sous la forme d'une pyramide inversée.

Tout un patrimoine vivant, frémissant, palpitant

L'architectu­re des hôtels est aussi un fil d'ariane qui pourrait permettre des échappées belles dans le centre de Tunis. Témoins d'une époque révolue, le Majestic ou le Transatlan­tique laissent rêveur alors que le mythique Tunisia Palace a été livré au pic des démolisseu­rs. Même chose pour les théâtres et les cinémas qui furent très nombreux et dont il ne reste plus que les traces fuyantes pour certains. Idem pour les bars et les restaurant­s dont les noms montrent bien le vécu d'une ville dont les tailleurs furent italiens, les cochers maltais et les commerçant­s bigarrés. Car Tunis se visite aussi l'oeil rivé aux enseignes qui font songer à un inventaire de Prévert. De la Brasserie suisse au Paradiso, il n'y a qu'un pas; du Coq d'or au Hungaria, quelques rues qui mènent aussi au Biarritz, au Kléber, au Palmarium ou au Marivaux, anciens cinémas tunisois dont il ne reste plus que l'ombre.

C'est vrai, la ville est parfois à recréer mentalemen­t en s'échappant vers un passé proche encore à portée de main. Avec ses immeubles et ses villas, ses cités populaires et ses maisons de maître, le centre-ville est un espace de vie et de mémoire où un balcon arrondi, une clôture en fer forgé ou une facture italianisa­nte accrochent le regard. Et si chaque détail compte, tous les chemins mènent au Marché central dont la constructi­on remonte à 1891 et dont on dit que le nom Fondouk el Ghalla a des origines plus lointaines encore.

Ce marché toujours vivant et très fréquenté est bizarremen­t l'un des rares endroits dans la ville à porter un nom arabe. Ce n'est d'ailleurs qu'au cours des années quatreving­t que les premières mosquées feront leur apparition dans ce centre-ville. Auparavant, un simple oratoire, sur l'avenue de France, représenta­it la seule enclave musulmane dans cet espace urbain.

Le centre-ville, c'est aussi tout un patrimoine immatériel fait d'objets, de parfums et de saveurs. C'est ici que règnent le craquant du kaki, les petits pains blancs, les sirops d'orgeat ou les citronnade­s. C'est ici aussi que le piéton peut se laisser tenter par un fiacre ou un taxi bébé pour aller encore plus loin, vers les stades, les parcs ou les casinos.

Arpenter une ville, c'est aussi la faire renaître à différente­s époques, pour montrer ce qui n'est plus visible mais continue à vivre dans les mémoires. En quelques pas, il est ainsi possible de changer plusieurs fois de siècle. Avec toujours à l'esprit cette porte par laquelle tout passe, cette porte aux deux noms, cette porte qui ouvre vers le large et l'histoire, cette porte qui donne vers l'un ou l'autre versant de ma ville siamoise, mon Tunis infini.

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