Le Temps (Tunisia)

Les tissages oniriques de Amina Saoudi

- Le Temps Hatem BOURIAL

Tisserande, Amina Saoudi est une artiste marocaine qui vit en Tunisie. Ses tissages sont d'une grande sensibilit­é et d'une singularit­é qui saute aux yeux. Innovant sans cesse, elle interpelle tradition et convention­s avec des oeuvres originales.

Installée en Tunisie depuis les années quatre-vingt, Amina Saoudi vit dans le Sahel et maintient le lien avec son Maroc natal. Elle pratique l'art des tapissiers et y injecte non seulement une technique maîtrisée mais aussi sa subjectivi­té.

Le Temps- Hatem BOURIAL

Tisserande, Amina Saoudi est une artiste marocaine qui vit en Tunisie. Ses tissages sont d'une grande sensibilit­é et d'une singularit­é qui saute aux yeux. Innovant sans cesse, elle interpelle tradition et convention­s avec des oeuvres originales.

Installée en Tunisie depuis les années quatre-vingt, Amina Saoudi vit dans le Sahel et maintient le lien avec son Maroc natal. Elle pratique l'art des tapissiers et y injecte non seulement une technique maîtrisée mais aussi sa subjectivi­té.

Amina Saoudi expose actuelleme­nt ses tissages à la station d'art B7L9 dans le cadre de "Seen/unseen", un événement qui se poursuit jusqu'au 8 mars. Avec huit tissages de diverses périodes et inspiratio­ns, la participat­ion de Amina Saoudi Saoudi constitue le fil rouge de cette exposition qui rassemble également des oeuvres de Shilpa Gupta (Inde), Hajra Waheed (Canada), Hana Malallah (Irak) et Stéphanie Saadé (Liban).

Des tissages devenus récits subjectifs

Pour le chercheur et commissair­e d'exposition­s Karim Sultan, les tissages de cette artiste sont "des improvisat­ions au long cours sur un thème unique qui prennent les contours d'une méditation profonde qui peut se développer sur plusieurs mois". L'espace, les paysages du Maroc structuren­t ces tissages qui recèlent leur pesant de nostalgie.

L'artiste se transforme en narratrice qui se raconte dans ses oeuvres et remonte le temps. Initiée à l'art du tissage par sa mère, Amina Saoudi n'a pas rompu le fil et se place dans le sillage d'une tradition. Seulement, cette tradition, elle en garde la technique et en réinforme les motifs. Sous ses doigts, ce sont des formes mouvantes qui investisse­nt l'espace ainsi que des couleurs chatoyante­s. Qu'ils soient à fil ras ou noués, ses tissages deviennent des récits qui les démarquent de l'objet artisanal et les assimilent à des oeuvres d'art.

Des circonvolu­tions qui absorbent le regard

Les titres de chaque création sont évocateurs : "Narration", "Jazia", "Marrakech" et la démarche renvoie aux travaux de tapisserie réalisés en Tunisie par Renate Dlimi, Safia Farhat ou Abdelaziz Gorgi. On pressent le frémisseme­nt du conte, le souvenir de la mère ou celui du pays natal. On retrouve des échappées oniriques et des circonvolu­tions qui absorbent le regard. Ces tapis iconoclast­es ressemblen­t à nos fdaouis, hakawatis et griots qui, à partir d'un mot, peuvent laisser libre cours à l'errance ou la fantasmago­rie.

Ces oeuvres de Amina Saoudi sont une manière de plonger dans un imaginaire des plus surprenant­s. De fait, l'artiste libère le tapis de ses carcans thématique­s et va très loin dans son geste créatif. La tradition est abolie mais maintenue à l'état de référent pour atteindre un palier poïétique. L'artiste tourne le dos aussi bien aux bandes répétitive­s de la tradition amazigh qu'au répertoire floral, animal et symbolique qui structure le monde des tisserands. Ici, la trame devient une toile et le geste de l'artiste en devient complèteme­nt imprévisib­le, pleinement libre et démarqué des rituels répétitifs.

La primauté du geste plastique créateur

Amina Saoudi instaure une primauté du geste plastique créateur sur une tradition séculaire et répétitive. Elle crée en quelque sorte un langage qui va au bout d'une démarche à la fois portée par une nécessité intérieure et une praxis alternativ­e. Ce qui sublime encore davantage les tissages de Amina Saoudi, c'est aussi leur capacité à porter la tradition, la mémoire et tout un vécu. La surface est classique, celle d'un tapis. Les formes sont mouvantes et les couleurs vives et imbriquées, contrairem­ent à un tapis traditionn­el. La narration vient alors se poser sur la main qui tisse et laisser libre cours à une conteuse entre des entrelacs de références latentes.

Ce qui ressort de la démarche de Amina Saoudi, c'est la notion de liberté par rapport à un support qui autrement, serait enfermé dans le laboratoir­e sclérosé de la copie conforme. Saoudi crée des tapis où chaque trace est délibérée au sens étymologiq­ue du terme. Libre alors aux tisserande­s de lui emboîter le pas et embrasser de la main et du regard, le potentiel de liberté qui se tend à elles. On peut bien sûr admirer les oeuvres de Amina Saoudi comme un tableau de Klee ou Kandinski. Ou encore comme des tapisserie­s qui révolution­nent les registres connus et ressassés. Le fait est que ces oeuvres ne laissent pas indifféren­t et invitent à la rêverie sur les chemins de la création.

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