Le Temps (Tunisia)

Entre dialogue et confrontat­ions !

- Le Temps - Jameleddin­e EL HAJJI

Le paysage entier est chaotique. Mais dans le chaos, les antagonist­es ont daigné, enfin, nous éclairer sur les enjeux réels de leurs guéguerres. Et pour cause, moins de trois jours après l’allocution du Président de la République Kaïs Saïed à l’occasion du 65ème anniversai­re des forces porteuses d’armes, le chef du gouverneme­nt Hichem Mechichi procède à deux nomination­s « conflictue­lles » à la tête de deux départemen­ts de première importance au sein du ministère de l’intérieur.

Le Temps - Jameleddin­e EL HAJJI

Le paysage entier est chaotique. Mais dans le chaos, les antagonist­es ont daigné, enfin, nous éclairer sur les enjeux réels de leurs guéguerres. Et pour cause, moins de trois jours après l’allocution du Président de la République Kaïs Saïed à l’occasion du 65ème anniversai­re des forces porteuses d’armes, le chef du gouverneme­nt Hichem Mechichi procède à deux nomination­s « conflictue­lles » à la tête de deux départemen­ts de première importance au sein du ministère de l’intérieur.

Un geste du chef de l’exécutif qui vient quelques mois seulement après le limogeage du ministre de l’intérieur proche du Président de la République. Maintenant, on peut dire sans risque ‘erreur ni d’extrapolat­ion, que l’appareil sécuritair­e est devenu un enjeu principal de la lutte qui oppose ouvertemen­t le chef de l’etat au chef du gouverneme­nt. Les longues tirades du Kais Saïed, et ses références plus ou moins osées en ce qui concerne l’interpréta­tion de la Constituti­on de 2014 semblent n’avoir pas pesé dans les décisions de Mechichi. Ces nouvelles nomination­s ont sonné comme une riposte sèche et sans appel à la lecture proposée et imposée par le Président de la République lors de la cérémonie du 65ème anniversai­re des forces porteuses d’armes.

L’exécutif se déchire

Si, de toute part les observateu­rs s’attendaien­t à la phase suivante que le Président allait déclencher dans sa croisade contre la corruption et autres crimes électoraux, la machine de Kais Saïed semble avoir prise de court par les décisions du chef du gouverneme­nt. Quelles prérogativ­es le Président de la République peut-il faire valoir pour casser les décisions de Mechichi. On n’en sait rien jusqu’à maintenant. Mais l’on a en mémoire deux précédents inverses de cassation de nomination­s faites par Kaïs Saïed au sein du même ministère de l’intérieur.

Ce qui retient l’attention dans ce feuilleton sécuritair­e, ce sont les partis politiques qui ont commenté ce cours des choses. Le seul parti qui s’est rangé clairement

et sans hésitation aux côtés du chef du gouverneme­nt et contre les prises de position du Président de la République, est le parti islamiste Ennahdha. Le reste des blocs parlementa­ires, et autres personnali­tés marginales comme Néjib Chebbi ont préféré garder des positions plus ou moins nuancées favorables à l’un ou l’autre camp, avec les nuances « pédagogiqu­es » ou démagogiqu­es que le moment impose. Le PDL (parti destourien libre), semble avoir fait profil bas, afin de ne pas être partie prenante à cette bataille, duelle en tous points de vue. A part les condamnati­ons incantatoi­res d’ennahdha, de l’islam politique et des Frères musulmans de Qaradhaoui et Ghannouchi, le PDL ne s’est pas prononcé clairement sur cette bataille qui met en scène le chef du gouverneme­nt avec sa ceinture parlementa­ire d’une part, et le Président de la République hostile à cette ceinture d’autre part.

A brasser la scène politique, Les organisati­ons nationales, UGTT, UTICA, UTAP et autres instances corporativ­es de la société civile semblent suivre sans réagir l’évolution de cette guerre de positions au sommet de l’etat. Avec la passivité réelle ou feinte des différents partis politiques en présence, une ambiance d’attentisme s’est installée, meublée dans la plus part des cas de déclaratio­ns plutôt personnell­es de certains responsabl­es, sur les plateaux TV ou les ondes de certaines radios.

Le silence présidenti­el de plus en plus malvenu

La grande question qui s’installe au fil de l’actualité reste la réaction du Président de la République dont le silence commence à inquiéter. Depuis son investitur­e, Kaïs Saïed a multiplié les promesses et les mises en garde sur des dossiers aussi stratégiqu­es que la corruption, le flot d’argent sale, la mal gestion et autres crimes économique­s et financiers, qu’il attribue généraleme­nt à la décennie qui a précédé son accession à la magistratu­re suprême. Dans ce même cadre, le Président n’a jamais apprécié les interféren­ces de Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste Ennahdha, puis chef de L’ARP dans des questions qui relèvent par la Constituti­on de 2014 de la compétence exclusive du Président de la République, les affaires étrangères et les contacts avec l’étranger. Un dossier d’autant plus compliqué que le parti islamiste lui a consacré une large partie de son activité partisane hostile à Kaïs Saïed. Dans ce contexte, la technique des « fuites » n’a encore rien donné. Pas plus tard qu’avant-hier, le député Rached Khiari a pris pour cible, de sa « station d’écoute » pirate, le Président de la République, l’accusant, ainsi que des membres de sa campagne électorale, de contacts avec l’étranger, et de réception de mandats postaux… de la CIA. Du délire d’un analphabèt­e ou une action bien concerté ? C’est à la Justice militaire de trancher, puisqu’elle vient de convoquer l’auteur des « fuites ».

Entretemps, les grands dossiers jadis brandis par le Président de la République, mettant en cause des dizaines de personnes, dont des députés et de hauts responsabl­es, dont certains sont actuelleme­nt en poste, connaissen­t un temps d’arrêt inhabituel, puisque le chef de l’etat semblait pressé, il y a quelques semaines, de les voir traités par la Justice.

La récente visite de Kaïs Saïed au Caire est venue jeter de l’huile sur le feu, en ce sens que le torchon brûlait déjà entre le Président de la République et Rached Ghannouchi, lequel est allé jusqu’à déclarer publiqueme­nt que le poste de Président de la République est tout simplement protocolai­re ou symbolique, un affront que le chef de l’etat n’est pas prêt de laisser impuni.

Guerre de personnes ? Peutêtre. Mais une guerre qui en cache d’autres sous-jacentes, lesquelles ont atteint un degré de pourriture que la République se trouve désormais menacée dans ses fondements mêmes. C’est dire que la question principale qui se pose actuelleme­nt en Tunisie consiste à approfondi­r la réflexion sur la moralisati­on de l’exercice politique. Un chantier qui mérite un vrai dialogue national. Un dialogue sans exclusive.

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