Le Temps (Tunisia)

Aux douze coups de minuit

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Les Sirènes, dames d’honneur de Sa Majesté la reine Lameberceu­se désirent faire savoir aux aimables Fées qu’elles refusent de discontinu­er leurs concerts nocturnes aux environs du palais royal. La mer appartient aux Sirènes, et elles y prendront leurs ébats autant et aussi souvent qu’il leur plaira. Fait et signé à l’île aux Brisants, par les dames d’honneur de Sa Majesté la Reine Lameberceu­se ». Les sirènes ne sont pas méchantes pourtant ; mais la lettre des petites fées les avaient insultées. Comment ! Leurs chants n’étaient pas appréciés ! C’était inouï ! Il est si beau, si beau le chant de la sirène !

Bref, ce fut bien pis encore après cet échange de lettres ; les sirènes revinrent et par centaines, cette fois. Elles s’approchaie­nt tout près du palais royal et elles chantaient depuis le coucher du soleil jusqu’à l’aurore. La douce reine Anémone pâlissait à vue d’oeil et on craignit qu’elle ne mourût. C’est alors qu’on pria Sa Majesté d’envoyer un ordre — un ordre, cette fois — aux sirènes : l’ordre de ne plus quitter leur île.

Un soir donc, alors que les sirènes réunies allaient commencer leur sérénade, les conseiller­s de Sa Majesté la reine Anémone, revêtus de leurs habits de cour, arrivèrent sur la grève, et l’un d’eux lut l’ordre qui suit : « Ordre de Sa Majesté la Reine des Fées aux Sirènes de ne plus s’approcher à moins d’un mille du palais royal. Et, si les Sirènes passent outre, justice sévira. Ordre de la Reine. »

Un éclat de rire des sirènes accueillit cette lecture ; mais, tout de même, elles plongèrent et disparuren­t. Quelques semaines plus tard, alors que les fées songeaient à aller prendre un peu de repos, elles entendiren­t de nouveau chanter les sirènes, leur chant était plaintif, très plaintif même.— Les sirènes qui reviennent ! s’écria la fée Campanule.

— Oui, ce sont elles ! murmura la reine. Que chantentel­les donc ? Écoutez !

Dix sirènes, dont on apercevait les têtes et les bras, du palais royal, se tenaient accoudées sur la grève ; elles chantaient : Puis les dix sirènes plongèrent au fond de la mer et le silence se fit. Combien lugubre fut ce silence ! La reine Anémone avait pâli, ainsi que tout son entourage.

— Je n’aurais pas dû chasser les sirènes ! dit la Reine Anémone. Oh ! combien je le regrette ! Les sirènes vont se venger, bien sûr !

En vain les suivantes essayèrent-elles de rassurer leur reine ; celle-ci comprenait, trop tard, hélas ! qu’elle avait blessé les sirènes, et elle avait le pressentim­ent d’un malheur.

— Nous prévoyons depuis longtemps, Le malheur que rien ne retarde…

Il va vous atteindre à l’instant ; Donc, prenez garde ! Prenez garde !

Chaque nuit, maintenant, les sirènes venaient prendre leurs

ébats tout près du palais royal et leur chant, toujours le

même, s’élevait, jetant la terreur dans le coeur de la douce reine Anémone.

— Prenez garde ! Prenez garde ! — Votre Majesté me permet-elle de punir les sirènes ?

demanda, un soir, un des conseiller­s de la Reine.

— Non ! Non ! répondit la reine, en frissonnan­t. Peut-être

aurais-je mieux fait de ne pas les chasser. Je l’avoue, j’ai peur, peur, peur

En effet, il eût mieux valu, pour les fées, entretenir des relations amicales avec les sirènes, qui, elles, plongent au fond de l’océan et voient ce qui s’y passe. Il y a des volcans au fond de la mer… et, depuis assez longtemps déjà, ces volcans étaient en ébullition. Certain jour, ils firent irruption ; l’atlantide s’enfonça dans la mer et fut entièremen­t submergée.

Et ainsi disparut la Reine Anémone et toute sa cour, les fées, les génies, les lutins. Disparut aussi l’atlantide, le plus beau des continents qui était un véritable paradis.

(A suivre)

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