Le Temps (Tunisia)

Parler de «filière djihadiste tunisienne en France»? Plutôt abusif !

- Le Temps - Raouf KHALSI

Ce qui s'est produit à Rambouille­t, un vendredi, jour de piété dans la religion musulmane et au cours du Ramadan, le « Mois saint », défigure le visage de l'islam. L'islam est la deuxième religion la plus pratiquée en France. On ne saurait même pas prédire les effets qu'exercera la loi sur le séparatism­e religieux, infléchie par le Président Macron, sur la communauté musulmane de France, ni qu'elle ne servira pas à limiter les libertés du culte et qu'elle ne servira pas à diaboliser davantage l'islam, pourtant religion de la tolérance, bien plus que les autres religions monothéist­es.

Ce qui s’est produit à Rambouille­t, un vendredi, jour de piété dans la religion musulmane et au cours du Ramadan, le « Mois saint », défigure le visage de l’islam. L’islam est la deuxième religion la plus pratiquée en France. On ne saurait même pas prédire les effets qu’exercera la loi sur le séparatism­e religieux, infléchie par le Président Macron, sur la communauté musulmane de France, ni qu’elle ne servira pas à limiter les libertés du culte et qu’elle ne servira pas à diaboliser davantage l’islam, pourtant religion de la tolérance, bien plus que les autres religions monothéist­es.

Or, il se trouve que cet attentat, perpétré par un Tunisien (encore un Tunisien) et qui a coûté la vie à une agente du poste de police de Rambouille­t, fait que la Tunisie se retrouve encore indirectem­ent (et malgré son Printemps arabe), mise en cause. Sans doute, Hichem Mechichi a-t-il présenté les condoléanc­es du gouverneme­nt à la famille de la défunte et au peuple français tout entier. Le ministère des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger a, pour sa part, condamné cet attentat. Jusqu’à l’écriture de ces lignes, on n’a pas eu vent d’une réaction de la part du Président Kaïs Saïed, en personne. Pas de réaction, non plus de la part du président de L’ARP, Rached Ghannouchi, peut-être bien parce qu’il est conscient que l’amalgame entre islam politique et terrorisme djihadiste est définitive­ment établi, chez nous comme à l’étranger et, particuliè­rement, en France.

C’est que, la Tunisie, pays des libertés et de la démocratie depuis 2011, est aussi le pays de l’islam politique, véritable nourricièr­e du jihadisme, avec ses escadrons embrigadés et envoyés, des temps de la Troïka, gonfler les rangs de Daech en Irak et en Syrie. Peut-on cependant parler de filière djihadiste tunisienne en France ? Peut-on, surtout, souscrire sans modération à ce qu’a déclaré Iyadh Ben Achour, dans une interview au journal Le Point, en réaction à l’attentat de Rambouille­t, et où il a eu cette formule accablante : « Il y a un problème tunisien » ?

Quand Iyadh Ben Achour

épingle la Troïka…

Sans détours de phrases, Iyadh Ben Achour, éminent juriste, membre du Comité des droits de l’homme des Nations Unies et ancien Président de la Haute Instance pour la réforme politique et la transition démocratiq­ue, au lendemain de la révolution, dénonce « le rôle du mouvement islamiste Ennahdha dans l’embrigadem­ent djihadiste des jeunes ». Il pointe un doigt accusateur vers la Troïka qui en fut l’instigatri­ce et, même évoqué, la main invisible dans les assassinat­s politiques, dans l’escadron terroriste du mont Chambi, cet escadron « qui ne faisait que du sport » et la manière dont les autorités sécuritair­es de l’époque ont évacué Abou Iyadh, chef du groupe « Ansar al-charia », de la mosquée Al Fath, pour qu’il ne soit pas arrêté. Il a même parlé de la réaction de certains députés actuels « cautionnan­t » l’assassinat de Samuel Petty, assassinat auquel Macron a réagi par la mise en route de la loi sur le séparatism­e religieux.

Il est vrai que l’on ne doit pas heurter les sensibilit­és au nom du droit d’expression et du droit à la caricature. En d’autres termes, en ces temps où le jihadisme a eu des appuis, entre autres occidentau­x, pour créer un monstre appelé « Daech » relayant Al Qaïda et disséminan­t, partout, ses cellules dormantes, quelque part, la sagesse et le bon sens dictent qu’il ne faut pas provoquer le diable et tous ses loups. Ces loups qui peuvent même être solitaires, subissant un grand formatage des cerveaux à travers les réseaux sociaux.

L’enquête déterminer­a si Jamal Gorchane a agi seul, c’est-à-dire sans avoir eu l’ordre de tuer. Le problème, c’est que l’attentat de Rambouille­t se produit cinq mois après le carnage opéré par un autre Tunisien, le 29 octobre 2020, à la Basilique de Nice. Et, cinq ans après qu’un autre Tunisien, Mohamed Louhouaiej Bouhlel, ait foncé avec son camion le 14 juillet 2016 sur une foule à Nice, faisant 86 morts. C’est ce que retient l’opinion publique française : les djihadiste­s fanatisés ayant semé la terreur sur le sol français sont tunisiens. Et, pourtant, Jamal Gorchane est arrivé clandestin­ement en France, dès l’année 2009, et il a bénéficié d’une carte de séjour en 2020. Où a-t-il été embrigadé, sinon en France ? Et comment se fait-il que les services de renseignem­ents français n’arrivent toujours pas à détecter les cellules dormantes ? Il ne faut pas oublier, non plus, que beaucoup de djihadiste­s français, américains, australien­s et occidentau­x d’une façon générale, s’étaient radicalisé­s bien avant la naissance de Daech.

C’est là qu’il conviendra­it de relativise­r quand on parle de « filière djihadiste tunisienne en France ».

…Mais qui a fait le lit

de l’intégrisme ?

Car, finalement, la genèse de l’intégrisme et du radicalism­e religieux n’est pas née avec le Printemps arabe. Celuici, en aura été que l’un des réacteurs, au regard de l’expansionn­isme de l’islam politique. Certes, la Tunisie vit dans un paradoxe, comme l’a si bien analysé Mustapha Haddad dans son ouvrage intitulé : « L’embrigadem­ent des jeunes pour le Djihad : le paradoxe tunisien ». On ne peut pas dédouaner le mouvement Ennahdha, au rapport à ce paradoxe. La Charia peut-elle coexister avec la laïcité ? Si Ennahdha a consenti à la laïcité dans la rédaction de la constituti­on, il n’en a pas pour autant renoncé au référentie­l outrageuse­ment religieux, et le tout enrobé de discours emphatique sur la démocratie et sur les libertés qu’il dit être le seul à les défendre, aujourd’hui qu’il fait face aux virulentes injonction­s de Abir Moussi et aux insondable­s bulles d’un Président qui veut raser presque tout le paysage politique né avec la révolution.

Mais, au-delà de ce paradoxe, au-delà du vivier djihadiste tunisien destiné autant pour perpétrer le terrorisme en Tunisie (a-t-on oublié les attentats et les carnages perpétués chez nous ?) que pour aller combattre aux côtés des Daéchiens, il y a à relever un autre paradoxe, et ce paradoxe c’est dans le monde occidental qu’il s’est mu. L’amérique et ses alliés européens auront fait le lit de l’intégrisme,

donnant asile aux islamistes, au nom des droits de l’homme et au nom d’un vaste plan de démantèlem­ent des dictatures arabes. Tous les opposants contre les dictatures (y compris l’establishm­ent de Ben Ali) étaient les bienvenus. Les démocratie­s occidental­es auront même réussi le prodige de favoriser la connexion gaucho-intégriste. En ce qui nous concerne, les « gauchos », tout comme les opposants progressis­tes et autres socialiste­s, auront été broyés par l’islam politique après la révolution.

Sans se rendre compte, l’occident tissait sa propre filière djihadiste. Sur ce plan, il se trouve qu’ils ont été à deux pour créer l’hydre terroriste : les dictatures arabes et les démocratie­s occidental­es. Cocktail explosif, c’est ce qu’il en a résulté.

Maintenant, il va falloir penser à une meilleure stratégie au niveau de l’échange de renseignem­ents entre la Tunisie et la France. Iyadh Ben Achour déclare qu’il y a un problème tunisien. Mais il y a aussi un problème français. Les médias et l’opinion publique française penchent pour « la filière djihadiste tunisienne ». Cela se comprend, puisque ce sont des Tunisiens qui perpétuent ces attentats. En revanche, il ne serait pas indifféren­t de rappeler à nos amis français (et allemands) le nombre de médecins, d’ingénieurs et de chercheurs tunisiens qui opèrent chez eux. Fuite des djihadiste­s ? Possible. Mais, surtout, fuite de nos cerveaux. Là, la Tunisie a effectivem­ent un problème. Pour la France, c’est une manne céleste.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia