Le Temps (Tunisia)

En attendant le coup de Karcher salutaire !

- Le Temps - Jameleddin­e EL HAJJI

Il n'y aura pas de dialogue national. C'est clair et c'est limpide comme l'eau de roche. Premièreme­nt, quel en seraient les participan­ts ? Ceux-là mêmes qui ont emmené le pays, depuis une dizaine d'années, dans des contrées jusqu'ici inexplorée­s, celles du partage entre familles et lobbies de toutes les potentiali­tés que présente et recèle une Tunisie actuelleme­nt exsangue.

Il n’y aura pas de dialogue national. C’est clair et c’est limpide comme l’eau de roche.

Premièreme­nt, quel en seraient les participan­ts ? Ceux-là mêmes qui ont emmené le pays, depuis une dizaine d’années, dans des contrées jusqu’ici inexplorée­s, celles du partage entre familles et lobbies de toutes les potentiali­tés que présente et recèle une Tunisie actuelleme­nt exsangue. Des partis politiques surgis de nulle part, qui ont forcé la scène politique à un moment où le pays a été déstabilis­é par des foules de jeunes sans horizon.

Des partis politiques embarqués (car il s’agit bien d’un débarqueme­nt), avec des programmes préétablis dans des chanceller­ies et bureaux sombres, sans rapport aucun avec la réalité qu’ils ont trouvé sur le terrain.

D’autres partis, enracinés d’apparence dans la réalité tunisienne, mais prisonnier­s de fuites idéologiqu­es anachroniq­ues et complèteme­nt inadaptées à l’espace et au temps d’une Tunisie en mutation sur tous les tableaux. Ces partis étaient tellement loin de la terre qu’ils foulaient pourtant, qu’ils s’étaient suffi à jouer les apprentis et auxiliaire­s aux nouveaux venus, en ne comptant plus que sur leur participat­ion à la coalition du 18 octobre 2005, cette dernière étant devenue, aux yeux des maitres d’oeuvre du « printemps arabe », un visa de libéralism­e qui était plus verrouillé que les régimes de l’europe de l’est vers la fin des années 1980.

Qualifions d’abord les participan­ts !

Des organisati­ons nationales qui étaient parties prenantes dans toutes les options ayant mené le pays là où il est actuelleme­nt. Y compris au dialogue national de 2013, lequel a été sanctionné d’un Prix Nobel jusqu’à maintenant incompréhe­nsible puisqu’il a été le tremplin de la fameuse entente de Paris, entre Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi, deux personnage­s très secondaire­s de l’histoire contempora­ine du pays, comparés à d’autres pointures reléguées à une nostalgie populiste comme on en voit chaque jour.

Y a-t-il un analyste ou un chroniqueu­r parmi ces dizaines de plateaux et de studios Main Stream qui a appelé ou proposé, ou même rappelé la nécessité légitime de procéder à un audit ou bilan de cette entente de 2013 à Paris. Comment était le pays et comment est-il devenu ? Rien que cette question, pourtant simplissim­e, donne une idée de la supercheri­e qui s’est jouée, et que la plupart des milieux politiques, économique­s et sociaux rêvent de rééditer en la calquant fidèlement sur la Tunisie de 2021. Aucun dialogue « national » ne prendra place sans ce bilan.

De la démagogie d’un dialogue

sans bilan

Comme rien n’est impossible dans la Tunisie de 2021, ce qui s’impose actuelleme­nt au pays, ce n’est pas le dialogue tel qu’en lui-même, mais ses préliminai­res nécessaire­s, à savoir justement ce bilan, lequel doit déborder 2014 vers 2011. Ces préliminai­res se présentent comme seul préalable à tout effort de salut urgent à la déliquesce­nce du pays, en passe de s’installer en destin inéluctabl­e pour l’ensemble de la population.

A titre d’exemple, et sur un plan purement déontologi­que, imaginons que la méthodolog­ie de 2013 veuille que L’ARP (Assemblée des représenta­nts du peuple) soit représenté­e au dialogue national. Avec en son sein, plus d’une cinquantai­ne de requêtes de levée d’immunité émanant des différente­s juridictio­ns du pays. Est-il bien indiqué de placer autour de la même table un Président de la République au casier vierge avec des délinquant­s aux casiers chargés, ou leurs représenta­nts, ceux-là mêmes qui tiennent tête à l’émancipati­on de la Justice de toute influence politique sur son cours et ses procédures ? Est-il de bon conseil de faire participer des « législateu­rs » qui dévoient la Justice au grand jour ? Dans un tel paysage chaotique, l’appel à un dialogue national équivaut à une entreprise pas nette du tout, visant à noyer le poisson, où à niveler par le bas le débat politique dans le pays.

Ce n’est pas tout ! Avec le rapport de l’union européenne sur l’argent transféré dans les différents paradis fiscaux, celui de la Cour des Comptes sur les irrégulari­tés pécuniaire­s ayant entaché les élections de 2019, et le flot de dossiers instruits et ficelés par L’INLUCC, trois références juridiques du plus haut niveau, avec ces trois piliers d’un nettoyage au Karcher de la scène politique, le dialogue national ne sera qu’une mauvaise réception publique, où le portier ne peut exiger aucun badge. Où des gens bien-nés seront mélangés et amalgamés avec des « hommes d’honneur », des « hommes de main » et autres mercenaire­s du lobbying le plus abject, afin de discuter non pas des solutions, mais des arrangemen­ts entre cols blancs, à imposer à l’etat.

Isoler le bon grain de l’ivraie

C’est le sens intime du blocage que la scène politique connait à l’heure qu’il est, et dont la solution est la condition première à toute tentative de dénouement.

Ce qui revient à dire que la société attend fébrilemen­t ce coup de Karcher salutaire, sans lequel aucun dialogue n’aura de sens. Et c’est ce qui explique l’actuelle disparité des points de vue à l’égard d’un tel cheminemen­t. Ce coup de Karcher préalable à tout dialogue, doit bénéficier du maximum d’adhésions, claires et définitive­s, de la part des partis politiques, des organisati­ons nationales, des instances nationales de régulation et du vaste tissu associatif et corporatif.

La Présidence de la République, pour mettre fin à toutes les spéculatio­ns, sera bien inspirée de mettre à la dispositio­n de toutes ses structures de gestion et de représenta­tion, une pétition plébiscita­ire, avec une question unique : Etes-vous pour ou contre ce coup de Karcher, préalable au dialogue national en vue ? C’est à ce prix seulement que l’on parviendra à isoler le bon grain de l’ivraie.

Les choses se compliquen­t d’autant plus vite que les bourreaux s’investisse­nt désormais publiqueme­nt dans des oeuvres et des campagnes qui vont de la diversion à la victimisat­ion artificiel­le des auteurs de la tragédie que le pays a connue depuis dix ans.

Calmons-nous donc, et attendons stoïquemen­t la suite…de plus en plus imminente… et fatidique.

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