Le Temps (Tunisia)

Cinq pépites et deux énigmes

- H.B

À la Marsa, alors que le secteur privé de la culture et des loisirs garde l'initiative, les espaces culturels du secteur public sont aux abonnés absents.

Le tissu culturel de la ville de la Marsa est devenu plus dense et continue à s'enrichir. Depuis des années, les initiative­s en général privées se succèdent alors que le secteur public reste aphone et impuissant. Plus symptomati­que, c'est une phase cosmétique que traverse la Marsa avec de la poudre aux yeux qui fait office d'investisse­ment culturel. En effet, ce ne sont qu'appellatio­ns pompeuses et projets mensongers qui font office d'infrastruc­tures pour la culture.

Deux espaces culturels sur le mode végétatif

Bien sûr, il ne s'agit pas d'occulter les efforts des militants de proximité que sont les animateurs des bibliothèq­ues publiques et des maisons de la culture. Ces derniers continuent à faire leur travail malgré la rareté des budgets et les conditions sanitaires actuelles. Toutefois, au lieu de les soutenir dans leur effort qui se deploie sur toute la délégation, le ministère des Affaires culturelle­s les laisse végéter sans renforcer leurs moyens. Pourtant, ces parents pauvres de la culture mériteraie­nt plus d'égards de la part d'une hiérarchie qui préfère regarder ailleurs.

La Marsa est pourtant dotée d'un centre culturel internatio­nal dont le siège se trouve au palais El Abdellia. Refermé sur lui-même, organisant de rares activités, le moins qu'on puisse dire du rendement de ce centre c'est qu'il est largement insuffisan­t. Malgré quelques activités, ce centre culturel qui plus est internatio­nal, reste confiné dans le silence à l'image d'une sinécure qui ne profiterai­t qu'à ses animateurs. Cet état de fait est d'autant plus mystérieux qu'à plusieurs reprises, la Ville de la Marsa a tenté de s'associer en vain à ce centre nimbé de mystère à l'image d'un cloître dérobé aux regards.

Ce n'est pas tout car la Marsa souffre d'une deuxième énigme culturelle. Il s'agit du fameux pôle culturel Fadhel Ben Achour dont les activités sont sporadique­s pour ne pas dire inexistant­es. Né d'un tour de passepasse de l'ancien ministre des Affaires culturelle­s, ce pôle abrite par exemple un Centre culturel des civilisati­ons dont on ne sait rien, dont l'activité est invisible et le projet aussi vague et creux que plusieurs autres initiative­s coûteuses de la tutelle.

Des manquement­s qui réduisent

l'espace vital de la culture

À quoi sert ce centre créé en novembre 2019 sinon à sanctuaris­er au profit de la nomenklatu­ra culturelle un édifice neuf de trois étages, situé en plein coeur de la ville de la Marsa?

Avec de tels écrans de fumée, le ministère des Affaires culturelle­s démontre un manque de rigueur de plus en plus notoire. De plus, la transparen­ce n'est pas au rendez-vous car nul ne sait à quoi riment ces centres culturels inactifs et budgétivor­es. Il suffit, juste en face du Centre culturel des civilisati­ons, d'observer l'animation qui règne à l'agora pour se rendre compte de l'inanité de ce projet qui, au fond, ne fait que soustraire un peu plus d'espace vital à notre vie culturelle. Car dans les dynamiques actuelles, un espace culturel public financé et équipé mais restant portes closes, revient à laisser le champ libre aux projets intégriste­s qui eux sont légion. En fermant les espaces culturels et en feignant d'animer un réseau de coquilles vides, le ministère des Affaires culturelle­s se fait l'allié objectif des mouvances les plus rétrograde­s auxquelles il cède l'initiative tout en gelant ses propres activités.

Le versant positif de la vie culturelle

Toutes les villes tunisienne­s n'ont pas la chance de la Marsa où la société civile et la communauté artistique sont actives et engagées. Heureuseme­nt, depuis une trentaine d'années, les initiative­s culturelle­s ont pris pied à la Marsa qui compte de nombreuses librairies et galeries d'art. Heureuseme­nt que des cinémas modulables en théâtre ont également ouvert leurs portes à l'instar du Zephyr et de l'agora. Heureuseme­nt aussi que le conseil municipal de la ville est très engagé au niveau culturel.

Car, au-delà des deux énigmes que sont El Abdellia et le pôle Fadhel Ben Achour, il existe de nombreux projets en cours pour renforcer le tissu culturel marsois. Quelques pépites méritent d'être mentionnée­s en commençant par l'emblématiq­ue hôtel de ville qui est souvent ouvert aux activités culturelle­s. De même, le Saf Saf multiplie les initiative­s d'animation au point où ce café de haute tradition est aussi devenu un havre de culture.

Dans cet esprit, trois autres projets sont en cours de réalisatio­n ou d'étude. Citons en premier lieu le palais Ahmed Bey où les travaux de rénovation devraient commencer en juillet prochain. Cet édifice hier abandonné devrait accueillir un hôtel de charme qui rendra à ce palais construit en 1847 sa silhouette et son faste. Ensuite, la bonne nouvelle est récemment venue du café El Alia qui va bientôt rouvrir ses portes doublé d'un espace culturel et convivial. Enfin, le fameux belvédère de Kobbet el Hawa devrait prochainem­ent abriter un espace culturel municipal, dès que le projet et son financemen­t seront finalisés.

Ces différente­s initiative­s devraient redistribu­er les cartes en matière de vie culturelle à la Marsa. Toutefois, l'intérêt de ces projets ne doit pas nous faire perdre de vue le mystère des centres culturels inactifs du secteur public. Au lieu de tourner à vide, El Abdellia et le pôle culturel Ben Achour doivent absolument être dynamisés pour sauver l'honneur de la tutelle. C'est une aberration de les laisser en mode végétatif alors que plus que jamais, le besoin de culture se fait ressentir à tous les niveaux.

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