Dans la dispersion, le déficit d’etat !
Le Temps - Raouf KHALSI
En dix ans de révolution et de « souveraineté populaire et nationale reconquise » (sic !), la Tunisie devenue exsangue, aura donc dû recourir à trois reprises au cynisme du FMI : 2013, des temps de la Troïka qui avait vite fait de mettre le pays à genoux ; puis, en 2016, parce qu'il ne pouvait en être autrement. Maintenant, le gouvernement Méchichi prend le relais, parce que ce qui devait être fait n'a pas été fait, ou, plutôt, parce qu'on s'est arrangé pour se détourner des grandes réformes, déstructurant même l'économie, favorisant la fulgurante montée de l'informel et, le tout, dans un contexte de fiscalité asphyxiante.
En dix ans de révolution et de « souveraineté populaire et nationale reconquise » (sic !), la Tunisie devenue exsangue, aura donc dû recourir à trois reprises au cynisme du FMI : 2013, des temps de la Troïka qui avait vite fait de mettre le pays à genoux ; puis, en 2016, parce qu’il ne pouvait en être autrement. Maintenant, le gouvernement Méchichi prend le relais, parce que ce qui devait être fait n’a pas été fait, ou, plutôt, parce qu’on s’est arrangé pour se détourner des grandes réformes, déstructurant même l’économie, favorisant la fulgurante montée de l’informel et, le tout, dans un contexte de fiscalité asphyxiante.
En dix ans de très mauvaise gouvernance, on n’a fait que dans le rafistolage, on n’a fait que distribuer des chèques à blanc à droite et à gauche, se plier au diktat corporatiste et, finalement, faire des promesses qu’on n’honorera pas ; renoncer même aux leviers essentiels de l’économie du pays et, consentir, impuissants, à l’arrêt des secteurs vitaux. Le tribalisme fera le reste, dans une singulière reconfiguration régionale, au nom d’un localisme exacerbé parce que le pouvoir central ne peut plus dicter les orientations socioéconomiques souveraines.
Justement, nous sommes sur le terrain miné d’une souveraineté ayant éclaté comme par un effet chromosomique et, à peu de frais, voilà que « cette petite Tunisie » est, aujourd’hui, morcelée en amont et en aval. Nous sommes un petit pays, mais avec de gros problème.
Mauvais signal
Le Forum Tunisie pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES) se dit sceptique au rapport de l’actuel recours du gouvernement au FMI. Les répercussions, au sens de cette ONG, se traduiront tout simplement, par la perte de la souveraineté nationale, tandis que Haykal Mekki (parti Echaâb) et, par ailleurs, président de la commission parlementaire des Finances (cette même commission qui bloque tous les projets de lois inhérent à des prêts avantageux pour le pays, dont celui de la Banque Mondiale), parle de recolonisation du pays. On peut, en effet, appréhender ces dépendances sous cet angle-là. Mais de quelle souveraineté pourra-t-on se prévaloir aujourd’hui ? Le FTDES prévoit un tsunami de factures à payer par la classe moyenne et les classes les plus démunies. Selon lui, il y a, derrière la porte, l’inévitable loi des pertes et profits. Les grandes réformes que dictera le FMI se traduiront, d’un côté, par l’affaiblissement de la classe moyenne et des classes en dessous ; de l’autre, par une nouvelle poussée en faveur de nouveaux avantages dans le sens d’une plus grande impulsion de l’économie de rente.
C’est pour cela que la très crédible ONG appelle plutôt à prioriser les solutions internes. Oui, mais lesquelles, au milieu de ce processus inébranlable de déstructuration de l’etat. En cette ère de ruptures avec notre roman des origines : l’etat-nation.
En une seule décennie, l’etat s’est en effet disloqué, s’est perdu dans la dispersion
des pouvoirs, sans doute parce que personne n’est dans son rôle, si ce n’est que cet Etat, jadis fort, dirigiste et régulateur ne rassérène plus les citoyens. Voyez cet état de confusion autour de la vaccination ! Parallèlement, le sens même de Nation, s’effrite, se dilue dans le temps et dans l’espace. Très mauvais signal envoyé à nos partenaires étrangers, aux institutions internationales qui exigent que nous y allions en rangs serrés. Bonne matière aussi, donnée béatement aux agences de notations, qui n’en finissent pas de nous discréditer. Où en sommes-nous, en définitive, des « promesses du printemps » !
Perversion et narcissisme
A la limite, le ridicule ne tue jamais. Ceux qui scandent à longueur de journée leur patriotisme débridé, pervers, narcissique même, ne trouvent toujours pas la juste mesure à leurs prétentions. Jamais guerre pour le leadership n’a été aussi féroce. Jamais fossé entre les politiques et l’opinion publique n’a été aussi abyssal. En temps de dictature, l’opinion publique s’accommodait de ce « on », censé parler à sa place. Aujourd’hui, elle peut s’exprimer, proposer, s’organiser en ONG libres et souveraines. Elles ne parviennent toujours pas à briser certaines chaines, elles s’emmurent même, en dehors de quelques alertes, dans le silence, justement parce que le répondant venant des élites, fait défaut.
C’est que la société civile est comme devenue inerte. Parce qu’elle est ellemême traversée par les perversions politiciennes. Parce que les structures anachroniques des partis politiques vont puiser dans son éventail, croyant pouvoir y puiser une certaine massification, alors qu’ils sont, tous, et sans exceptions, des partis de cadres, des partis de castes, si ce n’est des partis le loges secrètes.
Le jeu des partis, leur jeu pervers et narcissique alimente les poisons s’insinuant dans les rouages d’un Etat désormais déglingué. Il faut bien relire attentivement la lettre adressée au gouvernement, par la Président du FMI. Un cocktail de remontrances, de diktat et d’injonctions politiques : « où est votre Etat » ? S’est-elle retenue de dire !
Oui, où est l’etat ? Où en sont les trois piliers constitutionnels du sens de l’etat à la faveur de leurs querelles intestines et qui ne font que traumatiser un peuple livré à son sort ? A chacun sa partition et sa symphonie de la malédiction. La disposition des choses a voulu qu’un homme, le Président de la république, sur les épaules duquel pèsent les exigences de souveraineté nationale et de pérennité de l’etat, se dissocie totalement et ostensiblement de toutes ces dynamiques. Ghannouchi -qui a pourtant atteint son seuil d’incompétence- est aujourd’hui requinqué par Kaïs Saïed lui-même. Paradoxal, certes, mais c’est comme ça. Le discours intempestif et trop vague du Président, contraste avec la froideur manoeuvrière du président du Parlement. Celui-ci n’en demandait pas davantage, alors qu’on le donnait pour fini. Méchichi ? Mais, parbleu, c’est Kaïs Saïed lui-même qui l’a choisi, avant d’appeler à la trahison. Qu’il assume alors ses choix, plutôt que de crier aux complots face aux militaires qui n’ont pourtant pas de vocation politique.
Et alors, quelle est la stratégie du Chef de l’etat ? Laisser la situation politique pourrir ? Se dissocier des malheurs de ce peuple frappé de plein fouet par la pandémie et la récession économique ? Serait-ce la politique de la terre brûlée ? A quel statut de « Commandeur » aspire-t-il ? Et que signifie l’annonce que les vaccins de la Présidence ne passeront qu’à travers les structures de la Santé militaire ? Déni consommé de l’etat civil dont il est issu. Cela ne saurait s’interpréter autrement.