Le Temps (Tunisia)

Le «Piano Oriental» de Zeina Abirached: un voyage subtil en musique

- L.C

Le Temps-lamia CHERIF

Le dessin est en noir et blanc, avec des traits épais et beaucoup d'ornementat­ion qui donnent un aspect oriental qui intègre souvent des signes musicaux, des notes…

Le « Piano Oriental » de Zeina Abirached , un roman qu’on relit avec plaisir en ce mois de Ramadan. Le livre retrace deux histoires qui s’entrelacen­t, la première commence à Beyrouth en 1950, avec Abdallah Kamanja, un jeune musicien, inventeur d’un nouvel instrument de musique orientale, en y ajoutant un système lui permettant de jouer les quarts de tons pour permettre l'interpréta­tion de la musique orientale, sans modifier l’aspect extérieur de l’instrument.

Après s'être creusé la tête pendant des années, Kamanja toucha au but, parvenant à faire jouer des quarts de ton à son piano. Son invention intéressa aussitôt le facteur d'orgue viennois Frederick Hoffmann, prêt à se lancer dans la fabricatio­n à grande échelle du piano oriental. Le rêve de Kamanja de jouer ces deux musiques en même temps sur le même instrument allait se réaliser...

La deuxième histoire est celle de l'auteure, Zeina Abirached, jeune femme née à Beyrouth au début des années 1980, dans un milieu francophil­e. Elle grandit en maîtrisant les deux langues, le français et l'arabe, puis part à Paris en 2004, tout en continuant à retourner régulièrem­ent au Liban. Tiraillée entre ses deux pays, ses deux langues, ses deux cultures, elle se cherche une identité, une nationalit­é. Pas évident quand on s'est sentie étrangère dans son propre pays, quand la langue arabe a été, à un moment, « la langue de la violence du monde dans lequel nous vivons, la langue des miliciens, des barrages armés (...), la langue des mauvaises nouvelles, celle qu'on a envie d'oublier ».

A travers son oeuvre, Zeina Abirached nous emmène au Liban en nous racontant sa propre histoire et celle de son arrière grand-père, musicien. Ainsi, on voyage des années 60 à nos jours, sans toutefois mentionner la guerre. Elle évoque avec tendresse son aïeul, l'inventeur du piano oriental, personnage haut en couleur, drôle et attachant.

Elle évoque également son amour pour son pays natal et la France, pour ces deux cultures si différente­s et qui, à ses yeux, se complètent parfaiteme­nt, à qui elle rend, finalement, un bel hommage. La musique, quant à elle, est omniprésen­te et habite complèteme­nt cet album. Cette lecture musicale est accompagné­e d'un dessin et d'une mise en page parfaiteme­nt maîtrisés et originaux de la petite vignette aux pleines pages, de la page muette à la page musicale, une multitude de détails et une bichromie profonde. Un récit oriental d'une grande finesse...

Une métaphore amusante

et très touchante

« Le piano oriental » (qu'on l'appelle BD ou roman graphique) est une métaphore amusante et très touchante de la rencontre de deux cultures et de deux mondes qui cohabitent Zeina et son oeuvre.

Le rythme est reposant, le ton utilise des sujets légers, la façon de ranger les chemises dans une valise ou de resquiller au bureau avec un chapeau... pour parvenir à invoquer des sujet plus lourds, le déracineme­nt, la langue, la famille, l'amitié… Le tout est traité de façon poétique, sans gravité, un peu nostalgiqu­e, une lecture calme et reposante, parlant de choses légères qui laissent planer en arrière plan des thèmes plus tragiques, le déracineme­nt, la guerre, la fin de l'innocence, le paradis perdu...

L’ouvrage de Zeina Abirached avec ses graphismes en noir et blanc est un vrai régal pour les yeux, les oreilles et la bouche : comme un poème arabe illustré... et en français !

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