Qui a raison d'avoir peur ; qui a peur d'avoir raison ?
Le hasard a voulu que la date du 8 mai, demain, comporte une singulière coïncidence. D'abord le dernier jour du délai (quatre jours) dévolu au Président de la République pour promulguer le projet de loi inhérent à la création de la Cour constitutionnelle. Ensuite, ce même jour marquera la fin de mission de la délégation tunisienne à Washington, auprès du FMI, et dont les axes des négociations ont été révélés par Reuters, provoquant déjà une levée de boucliers.
Le hasard a voulu que la date du 8 mai, demain, comporte une singulière coïncidence. D’abord le dernier jour du délai (quatre jours) dévolu au Président de la République pour promulguer le projet de loi inhérent à la création de la Cour constitutionnelle. Ensuite, ce même jour marquera la fin de mission de la délégation tunisienne à Washington, auprès du FMI, et dont les axes des négociations ont été révélés par Reuters, provoquant déjà une levée de boucliers.
Jour fatidique, en somme, à moins que le Président n’écourte les délais en ce qui concerne l’amendement ou non du projet de loi adopté mardi par le Parlement à hauteur des 141 voix favorables, c’est-à-dire aux deux/tiers, seuil sur lequel il s’était fixé dans le renvoi pour une seconde lecture, mais pas trop.
Pour les négociations avec le FMI, il serait plutôt sage d’attendre que la délégation tunisienne rentre au pays et que le ministre de l’economie, des Finances et de l’appui à l’investissement dise toute la vérité aux Tunisiens, et que le gouvernement le fasse avec courage et sans faux-fuyants. Entre temps, toutes les parties concernées (entre autres et surtout l’ugtt) seraient inspirées de calmer le jeu et de juger sur pièce. Parce que le FMI, ce n’est pas vraiment une promenade de santé.
En revanche, celle qu’il convient, désormais, d’appeler : « l’affaire de la Cour constitutionnelle », a déjà pour effet, au mieux, d’attiser les feux de la discorde politique, au pire, de donner davantage d’acuité aux blocages institutionnels. Dans les deux cas, on ne sera pas dégagé des sables mouvants. Et, face à la politique du pire, on en viendra à se demander ce que pourront changer à l’état délabré des choses, une Cour constitutionnelle de plus et/ ou, une Cour constitutionnelle de moins.
« Regardons-nous dans la glace » …
Ce qui est quand même significatif, c’est que ce vote massif pour la création de la Cour constitutionnelle a aussi impliqué les sensibilités politiques proches de Kais Saied, celles-là mêmes qui avaient voté contre, lors de la plénière précédente. A croire que tout un chacun au sein de l’hémicycle y voit une bouée de sauvetage. Sur le papier et en la forme, la majorité parlementaire, initiatrice de cette procédure, aurait réussi à venir à bout de la résistance de l’opposition.
Est-ce à dire que les alliés de Kaïs Saïed ont fait un pied de nez au Président ? Pas évident, surtout que Zouheir Maghzaoui, un homme qui est toujours le bienvenu à Carthage, s’est aussitôt longuement entretenu avec Kaïs Saïed, lequel a, contre toute attente, parlé de Dialogue national, mais avec une nouvelle variable : la voix du peuple (et non plus les jeunes), ce peuple qui, à son sens, administre la preuve qu’il sait se prendre en mains et qu’il sait s’autogérer et faire preuve de résilience.
Des sources, très fiables, laissent aussi comprendre que le Chef de l’etat optera, en la circonstance, pour un package : tous les maux du pays y seront débattus, et le dossier de la Cour constitutionnelle sera, lui aussi, mis sur la table. Parce qu’il n’y a pas que les politiques qui le revendiquent, chacun y allant de ses propres arrière-pensées. Il y a aussi les grondements, le 1er Mai dernier, de Noureddine Tabboubi qui a imputé le blocage des institutions à l’absence de cette satanée Cour.
Du coup, les spéculations autour des intentions du Président polarisent l’attention de l’opinion publique, une opinion publique elle-même taraudée par la complexité fabriquée de toutes pièces, et à dessein, de ce processus. De surcroît, le spectacle devenu malheureusement coutumier de la banalisation du dénigrement auquel on a assisté le jour de la plénière, n’a rien d’un modus-vivendi. C’est juste, la combinaison entre calculs antithétiques, mais qui tendent vers le même but. Quant aux vagabondages des « élus » d’al Karama, qui n’ont pour dignité que le nom, eh bien, c’est cela le Code électoral dont feu Béji Caïd Essebsi a refusé de promulguer les amendements. Les menaces proférées à l’endroit du Président Saïed renvoient aussi un mauvais message à l’étranger. Dans la cacophonie, une voix sage s’est élevée, celle de Samir Dilou qui a appelé à ce que « nous nous regardions dans la glace », avant de lancer cette boutade : « nous cherchons à ouvrir une pièce, alors que la clé est à l’intérieur ». Toute une dimension kafkaïenne, en somme, planant sur cette Cour !
Sophistication contre simplicité
Les juristes et les constitutionnalistes de façon générale font la part entre le fond et la forme. C’est que les textes n’ont pas d’états d’âme. Et, avant d’aller sur le fond, on dissèque minutieusement la forme. Pour Kaïs Saïed, les délais de création de la Cour constitutionnelle ont été largement dépassés. La solution ? Réviser le texte constitutionnel. Or, selon cette même constitution, toute révision doit d’abord transiter par la Cour constitutionnelle, l’instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois n’étant pas compétente en la matière. Donc, une impossibilité juridique.
Or, posons plutôt cette question : si le Président refusait d’amender une loi, cela signifie-t-il qu’il viole la constitution ? Et, là, il serait pris à son propre jeu. A savoir que, s’il est vrai que, dans une approche extensive, c’est le Chef de l’etat qui a toute latitude d’interpréter la constitution en l’absence de Cour constitutionnelle, eh bien quels obstacles à l’installation de la Cour ? L’ennui, c’est qu’il serait lui-même dans l’ambiguïté au rapport de ces prérogatives. Approche extensive pour interpréter la constitution, d’un côté ; de l’autre, approche restrictive pour bloquer le lancement de la Cour.
Sans doute, n’est-il pas dupe de certaines manigances. Il suspecte « un complot ». Il aurait aussi, selon certaines indiscrétions, la conviction que cette soudaine accélération pour l’institution de la Cour constitutionnelle est mue par l’intention malfaisante de la retourner contre lui. De toutes les manières, il n’y a pas de mystère : certains tribuns de la majorité ont appelé à la destitution du Président. Rien que ça.
C’est, dès lors, le blocage et avec une bonne dose de paranoïa. Sans avoir à se déjuger, Kais Saied, Président massivement élu, aurait pu combiner son sens de l’ascèse à un zeste de souplesse et de malice, emprunté à son prédécesseur feu BCE, mais sans avoir à trop céder à Rached Ghannouchi. Il lui manque l’art de la guerre. La tactique consistant à retourner les armes de « l’ennemi » contre lui.
Plutôt, l’installation de la Cour constitutionnelle pourrait lui être favorable. Il a à y proposer quatre noms. Le Conseil supérieur de la Magistrature ne lui est pas hostile, au vu de la grande complicité avec son président, Youssef Bouzakher. Il restera les quatre issus du Parlement : c’est là que « le coussin » de Saïed et tous ses dévots doivent faire preuve de force de percussion.
Ce qui est sûr, c’est que, refuser des prestations de serment, faire dans le mystère pour tout bloquer, se traduit par la paralysie du pays, à un moment aussi crucial. Le discours inintelligible pourrait, à la fin, s’avérer contre-fructueux, surtout que son « adversaire », désormais chronique, a la force d’un crocodile qui sait attendre…
L’ascèse, les valeurs, la morale, autant de vertus prônées par le Président, tout cela, c’est à son honneur. Entraver la transition démocratique, ce n’est pas à son crédit. Présider, ce n’est pas rendre les choses plus complexes qu’elles ne le sont déjà. Présider, c’est aussi faire dans la transparence, communiquer et dans la simplicité. Le grand Leonardo da Vinci ne dit-il pas que « la simplicité c’est la sophistication suprême » ?