Il nous faut sortir des schémas obsolètes !
Le mois de Ramadan tire sur sa fin et comme d'accoutumé, plusieurs médias organisent des concours pour élire les meilleures productions ramadanesques. Cette année 2021 est-elle différente des autres et a-t-on vraiment vu une orientation vers l'amélioration de cet évènement culturel majeur ?
Le mois de Ramadan tire sur sa fin et comme d’accoutumé, plusieurs médias organisent des concours pour élire les meilleures productions ramadanesques. Cette année 2021 est-elle différente des autres et a-t-on vraiment vu une orientation vers l’amélioration de cet évènement culturel majeur ?
Radio Jeune en collaboration avec le magazine Tunivisions, a annoncé en premier, jeudi dernier les résultats de son « Ramadan Ewards » dans sa 6ème édition. Son jury, composé exclusivement de professionnels de la télévision et de journalistes spécialisés, a récompensé sans surprise les 3 oeuvres qui ont retenues les observateurs. Il s’agit du sitcom « Ken Yamakench » d’abdelhamid Bouchnek, de la série « Harga » de Lassaad Oueslati, évidement, et de la série « Ouled El Ghoul » de Mourad Becheïkh. Ce choix reste évidemment objet à discussion surtout pour ceux qui ont aimé le feuilleton « Foundou » de Sawssen Jemli sur El Hiwar Ettounsi et qui semble ne pas avoir retenu l’attention du jury de Radio jeune et de Tunivisions.
Le mois des productions plates
Le mois de Ramadan est le seul moment où les télévisions tunisiennes, publiques et privées, arrivent à convaincre les annonceurs de mettre suffisamment d’argent pour couvrir les frais, de plus en plus grands, de la production audiovisuelle dans le pays. L’étroitesse de notre marché publicitaire, l’inexistence de sociétés de production assez solides, et les coûts en constante hausse, expliquent en grande partie cette situation ubuesque où aucune chaine de télé n’est capable de mettre entre 1 et 2 millions de dinars dans la production d’une série de télévision en dehors du mois de Ramadan où les spots télé se bousculent sur les écrans. Cette situation explique aussi en partie la qualité plus que médiocre de la majorité des séries et des sitcoms, bâclées, souvent de mauvais goût, et se répétant en boucle d’une année à l’autre. En dehors des émissions religieuses qui sont insipides et plates, le second filon, celui du rire et du divertissement est accaparé par les sitcoms produits par mimétisme et sans aucune intelligence et rien d’autre n’est tenté par quiconque. C’est comme si le Ramadan est le mois privilégié du divertissement plat, des émissions de cuisine sponsorisées d’une manière archaïque, et rien d’autre. Si, comme c’est le cas cette année, il arrive qu’une série sort de l’ordinaire, c’est le cas de Ken Yamakench et surtout de la série Harga, c’est toujours une exception malheureusement et une exception qui n’a été possible que parce que la télévision publique, Watania 1, en a assumé les risques !
Regarder ce qui se fait ailleurs
Les temps de l’hégémonie des productions égyptiennes et syriennes est révolu. Aujourd’hui, la multiplication des sociétés de productions dans les pays du golfe, et ailleurs, et l’émergence des systèmes VOD (Vidéo On Demand) sont en passe de bouleverser le marché de l’audiovisuel, pendant le Ramadan et surtout en dehors du Ramadan, toute l’année. Nous continuons, quant à nous, de trainer des mauvaises habitudes, des attitudes frileuses et surtout d’un manque d’intelligence terrifiant. La législation et l’héritage de notre paysage audiovisuel sont en partie responsables de cet état des choses. La production télé ne semble pas entrer dans les catégories « nobles » que le ministère de la culture continue à subventionner avec l’argent public par exemple.
Nous savons aussi que nos « capitalistes » ne pensent guère que la culture peut être un terrain d’investissement valable. D’autre part, les responsables des chaines télés, publiques et surtout privées ne semblent pas s’apercevoir, par exemple, qu’on peut produire autres choses que les sitcoms et les séries pour le Ramadan. La chaine El Jaziri Documentaire, par exemple, a produit ces dernières années des documentaires d’une excellente facture sur des sujets tunisiens par excellence, diffusés pendant le mois de Ramadan et toute l’année. Il faut avouer aussi que le plus grand parti politique qui a gouverné le pays ces 10 dernières années, ne fait pas entrer la chose culturelle dans ces préoccupations, s’il ne la taxe pas carrément d’illicite d’un point de vue religieux.
Epouser notre siècle
Il nous faut aujourd’hui soit épouser notre siècle, soit nous voir condamner à trainer dans les derniers classements du monde du Xxième siècle. Or, la vidéo et l’audiovisuel en général sont des arts à part entière dans le monde que nous vivons. Un opérateur comme Netflix, qui est toujours interdit légalement en Tunisie, brasse des millions des dollars et produits dans le monde entier pour un public assidu qui goute avec Netflix les choix de la télévision de demain. Nous sommes obligés de revoir complètement notre législation, de faire comprendre aux décideurs politiques que l’investissement culturel est un investissement majeur et fructueux à plus d’un niveau, beaucoup plus que certains investissements dans des entreprises publiques sur le déclin que nous continuons à subventionner à perte.