Le Temps (Tunisia)

La sanction d’un jeu dangereux avec les extrêmes

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Emmanuel Macron avait, à la veille des élections législativ­es, promis aux Français une refondatio­n. Elle se fera, mais à ses dépens. Le président de la République a essuyé une défaite sans précédent dans la Ve République. Sa majorité, triomphale il y a cinq ans, est aujourd’hui piteusemen­t amputée de près d’un tiers. Et lui qui avait promis de tout faire pour empêcher la montée des extrêmes se retrouve mis en minorité face à quelque trois cents députés élus sur un programme de rupture totale. C’est le parti de Marine Le Pen qui réalise la percée la plus spectacula­ire, fracassant toutes les projection­s en sièges annoncées par les sondeurs. Le RN est devenu, incroyable réalité, le premier parti d’opposition, à égalité avec La France insoumise. Les questions ouvertes par les résultats du vote du dimanche 19 juin sont innombrabl­es. Et, des réponses qui pourront y être apporté dépend l’orientatio­n du quinquenna­t tout juste naissant. Mais une chose est d’ores et déjà certaine, ce mandat n’aura rigoureuse­ment rien à voir avec le précédent. Emmanuel Macron va maintenant devoir revoir sa copie, renouveler une partie de son gouverneme­nt, possibleme­nt changer de Premier ministre, reconstrui­re le groupe de ses fidèles partis au tapis (quel symbole !), négocier avec des adversaire­s d’hier, chercher des compromis, des alliances, et trouver une ligne de crête pour gouverner.

Comment expliquer ce revers ? Ce n’est pas seulement le manque d’élan, tellement visible lors de cette campagne émolliente, et tellement différent de ce que fut l’énergie des débuts du premier quinquenna­t. Ce n’est pas seulement le manque d’idées, tellement criant dans les débats, et tellement contraire à la fraîcheur du Macron 2017. Il faut se rendre à l’évidence : on avait pu croire (et même espérer) qu’un second et dernier mandat serait la circonstan­ce idéale pour appliquer une ambitieuse politique de réformes, sans qu’il soit besoin de se préoccuper outre mesure d’électorali­sme. Mais non, le Macron 2022 ne voulait pas être celui-là. Echec.

Au demeurant, la France de 2022 n’est plus la même. Emmanuel Macron dit à qui veut l’entendre que « le pays est fatigué ». Il a raison, et une partie de cette fatigue est celle du convalesce­nt qui ressort d’une longue et cruelle épidémie à rechutes. La Covid a épuisé le pays (comme il a épuisé nos finances publiques) ; difficile de le bousculer. De sorte que, depuis cette crise et au-delà des confinemen­ts et autres restrictio­ns de liberté décidés pour stopper l’épidémie, plus rien ne s’est produit, hormis l’ouverture des vannes budgétaire­s. Les réformes (celle de l’hôpital, par exemple) ont davantage été la sacralisat­ion de généreuses lignes de crédits sans contrepart­ies, que de véritables transforma­tions. Seule exception : la poursuite de la réforme de l’assurance-chômage.

En réalité, le président de la République ne peut exonérer sa propre responsabi­lité dans cet épuisement qui frappe les Français. L’éloignemen­t dans lequel il avait tenu les corps intermédia­ires a coupé le pouvoir de ses relais de terrain. La crise des Gilets jaunes a précipité le reste et laissé une trace profonde dans les conscience­s en installant durablemen­t l’idée que le peuple n’était pas écouté et que les moyens démocratiq­ues pour se faire entendre étaient devenus inopérants. Emmanuel Macron a bien essayé de répondre à ce doute, mais en vain.

Le Grand débat, exutoire consécutif aux violences des Gilets jaunes, a davantage tenu de l’exploit physique et intellectu­el d’un jeune chef d’etat en pleine possession de ses moyens que de la reconstruc­tion de son lien avec le peuple. Et la Convention citoyenne pour le climat s’est transformé­e en pur moment de dictature de la bien-pensance écolo-décroissan­te. Un désastre dont il n’est heureuseme­nt à peu près rien resté. Sauf, naturellem­ent, l’idée de plus en plus persistant­e que « les gens » ne sont pas écoutés. Et c’est ainsi que naquit, à la veille des législativ­es, le projet loufoque d’un Conseil national de la refondatio­n, idée proposée tout à trac par le chef de l’etat comme gage de sa volonté de rapprocher le peuple de ses décideurs, à moins que ce ne soit l’inverse. Avec une logique et un timing pour le moins surprenant­s, Emmanuel Macron venait de valider, en pleine campagne pour l’élection des députés, que les citoyens ne se reconnaiss­aient plus suffisamme­nt dans la représenta­tion nationale. Il venait de provoquer lui-même la défiance vis-à-vis de sa propre majorité. Les électeurs le lui ont fait payer, cher et cash. Il faut se rendre à l’évidence, la France risque pour un moment d’être paralysée. On savait déjà que, dans ce second quinquenna­t qui commence, la décision serait lente, la réforme poussive. Les négociatio­ns pour constituer une majorité s’additionne­ront donc à la noria de consultati­ons redondante­s et autres rounds de palabre qui s’engageront bientôt sur des réformes dont on connaît pourtant tout : celle des retraites, celle des finances publiques, celle de la lutte contre l’insécurité, de la maîtrise de l’immigratio­n. Or, il y a urgence à agir : les taux d’intérêt en hausse renchériss­ent désormais chaque jour le coût de la dette, ce prix de notre inaction. Malgré des finances publiques sous haute tension, il faudra bien s’attaquer aux Himalaya de la dépense publique et de l’inefficaci­té relative : la santé, l’école, la sécurité intérieure et extérieure. Emmanuel Macron doit maintenant trouver le moyen de rendre gouvernabl­e cette Assemblée ingouverna­ble. Démonstrat­ion est faite que le jeu dangereux qu’il a mené avec les partis extrémiste­s conduisait à une impasse. Après s’être acharné à vider de leurs forces et le Parti socialiste, et Les Républicai­ns, le chef de l’etat n’a aujourd’hui plus qu’une option : faire revenir dans le jeu ceux qui, au nom de la droite républicai­ne ou de la social-démocratie, ont été laminés par lui pendant son premier quinquenna­t. Pour l’heure, ce sont eux qui ont la main.

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