Le Temps (Tunisia)

Des visages ou des noms…

- Samia HARRAR

Une guerre en chasse une autre. Qui la surclasse au galop. Ce pourrait être un jour, très proche, le lot des humains. De se regarder dans un miroir sans pouvoir se reconnaîtr­e. Un peu comme sous l’effet d’un hallucinog­ène terrifiant : à la place de la tête, un monstre hybride.

Affreux, glaçant. De constater que l’indifféren­ce vient, très vite, remplacer la compassion. Au pied levé. Le constat ? L’indifféren­ce comme ligne de fuite ou d’oubli. Ou, pour être honnête et assumer : une anesthésie sans grands efforts à déployer, pour être capable de regarder sans regarder, et d’entendre, en apposant à la douleur du monde, une écoute bancale. De celle qui est capable de filtrer sans aménagemen­ts préalables, tout ce qui serait de nature de percuter de plein fouet, notre entendemen­t d’hommes. Qui n’auront bientôt plus rien d’humain puisque nous nous habituons à tout ; même aux guerres qui déchirent et qui brûlent. Et ne cautérisen­t pas les plaies de pays qui se défendent, d’avoir voulu, en enclenchan­t les haines et en les attisant, de participer au chaos. Les intentions restent « lettres mortes » lorsque le mal est déjà fait.

Il y a l’ukraine. Mais il n’y a pas que l’ukraine. Il n’y aurait que l’ukraine et ce serait, déjà, une guerre de trop. Une horreur de trop. Le plus terrible est de constater, qu’en effet, l’on s’y habitue. Comme on s’habitue à ce qu’un pays meure de soif, à ce qu’une terre se craquelle, et qu’une mer, monte dans des hauteurs insoupçonn­ées, avec des bancs de poissons putrides, mêlés à des drames par milliers. Échoués en pleine mer… Pendant ce temps, le monde accuse ses fractures et creuse ses béances, en croyant gagner d’autres conquêtes. Et toujours, ce rapport de forces terrifiant, porté par des conscience­s lénifiées, de ceux qui se targuent d’être aujourd’hui les maîtres sur leur propre galère. Nous devrions dire : leurs propres galères, parce que, tôt ou tard, et c’est inscrit dans l’histoire des peuples, la balance, qui aura par trop versé, dangereuse­ment, saura rétablir l’équilibre d’une toute autre façon. En s’arrangeant pour que des empires viennent habiter les flancs des mers, aveuglés par trop de certitudes pour arriver à y voir assez clair, pour arrêter l’hécatombe. Contre les Hommes, et contre la planète. A la fin, que restera-t-il de tout cela ? Une longue plainte, venue du fond des âges, et qui se répercute à l’infini. Nous n’aurions, bientôt pas fini, de le regretter. Mais alors, il sera peut-être trop tard. Pour comprendre que notre destin commun sur cette terre, ce n’est pas de courir, insensible­ment, à la perte de ce qui n’est pas nous. Mais de participer à ce que ce « nous », qui englobe toute l’humanité, porte des noms et des visages, que nous ne pourrions plus ignorer. Parce que, face au miroir, nous aurions récupéré, à notre tour, un visage. Qui soit un visage humain. Et une « écoute » qui soit vrai. Chevillée à un coeur battant. Mais est-ce qu’il est vraiment trop tard ?

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