Le Temps (Tunisia)

Gad Elmaleh et Mehdi Djaadi : secrets de confession­s

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L'un a vu la Vierge, l'autre, le Christ. Résultat ? Un film et un spectacle autobiogra­phiques sacrément culottés et sacrément drôles !

C'est l'histoire d'un juif et d'un musulman qui rentrent dans une église : l'un voit la Vierge, l'autre le Christ, et les voilà tous deux propulsés au paradis des crises existentie­lles ! Gad Elmaleh en fait un film, Reste un peu ; Mehdi Djaadi, un one man-show, Coming out. Deux ovnis sociocultu­rels qui mettent les pieds dans le plat avec une infinie délicatess­e. Le plat ? Celui de la religion, de l'identité, du communauta­risme, bref tous ces sujets que l'on évite poliment en public parce qu'ils sont… « touchy ». « Je déteste ce mot, mais c'est celui que l'on m'oppose en ce moment. De grands journalist­es me disent : "Désolé, Gad, j'adore ton film, j'aimerais tellement t'accueillir pour en parler mais, tu comprends… c'est trop touchy !" C'est la première fois de ma vie que je vois ça. »

C'est la première fois aussi qu'on le voit se livrer à ce point. Mais ce n'est la première fois qu'il s'intéresse de près au miracle de la foiqu'il évoquait au fil de ses spectacles. Dans cette comédie touchante aux faux airs de documentai­re, il révèle son cheminemen­t vers la foi catholique depuis sa rencontre avec la Vierge Marie, enfant, dans une église de Casablanca, puis,à Lourdes, lorsqu'il a co-prodruit un spectacle musical sur Bernadette Soubirous. Malgré son sujet périlleux, Reste un peu trouve le ton juste entre le rire et l'émotion, entre l'intime et l'universel.

« Au départ, le scénario racontait l'histoire d'un romancier juif confessant son amour pour Marie à la grande stupeur de ses parents », explique l'humoriste. « Mon producteur, Isaac Sharry, juif pratiquant, m'a dit : "Mais pourquoi tute dissimules ? Ça fait 30 ans que je te connais et que tu me parles de la Vierge Marie en permanence. Tu m'emmènes dans les églises en cachette. Pourquoi tu ne racontes pas ta propre histoire ? Elle est beaucoup plus belle". » Plutôt que d'embaucher des acteurs, il convainc alors ses parents de participer au tournage en cachant le sujet du film. De même, il fait appel à de vrais religieuxl­e père Barthélémy de l'église de Boulogne-billancour­t, soeur Catherine, frère Benoît, les rabins Delphine Horvilleur et Pierre-henri Salfati - et à son camarade Mehdi Djaadi, croisé au détour d'une recherche sur Google .« C'était l'époque où je dévorais tout ce que je pouvais sur le sujet. En tapant “conversion”, je suis tombé sur Mehdi. »

Le regard des autres et la pression sociale

D'origine algérienne et de confession musulmane, Mehdi Djaadi, lui, met en scène l'étonnant parcours qui l'a conduit de la délinquanc­e au christiani­sme dans un spectacle sacrément culotté mais toujours bienveilla­nt et drôle. « Il y avait une forme d'urgence artistique à parler de ça », confie-t-il. C'était une période où on entendait dire qu'il y avait beaucoup de conversion­s de Français à l'islam et je trouvais qu'il manquait cette autre histoire. » Celle des plus de 300 musulmans (entre 5 et 10 % des baptêmes d'adultes) qui, chaque année, se convertiss­ent au catholicis­me. « Ce que je montre dans mon spectacle, et c'est aussi ce que pointe le film de Gad, c'est un questionne­ment sur le déterminis­me, sur l'identité : est-ce qu'on est obligés d'être ce que les gens pensent que nous sommes ? »

Le regard des autres, la pression sociale, c'est ce qui fait vaciller Gad Elmaleh dans Reste un peu où amis et parents l'accusent de se renier lui-même. « Il faut savoir qu'une conversion, c'est un séisme, surtout pour une famille juive séfarade », avoue l'intéressé. « Ça relève de la tragédie. La philosophe Edith Stein raconte que la première fois qu'elle a vu sa mère pleurer, c'est le jour où elle a appris qu'elle s'était convertie au catholicis­me. On parle d'une personne qui a connu la Shoah… » Si l'ex-chouchou a réussi à embarquer ses parents dans l'aventure, Mehdi Djaadi, lui, n'a jamais pu les faire venir à son spectacle et a dû couper les ponts avec ses frères et avec l'algérie où son apostasie lui vaut des menaces de mort. « Quand j'ai voulu raconter ça dans un film, on m'a dit que ce sujet était trop délicat », note-t-il. « Bizarremen­t, la même année, il y a eu le film Qu'allah bénisse la France où Abd al Malik raconte son chemin du catholicis­me vers le soufisme. Parfois, la tolérance ne tolère qu'ellemême… Notre parcours est pourtant une ode à la laïcité et à la fraternité. » Et Gad Elmaleh de rebondir : « Dans le spectacle de Mehdi, l'islam est interrogé. Il est bousculé, il est cabossé, remis en question, mais il est aussi lumineux et valorisé. Et de mon côté, je n'ai jamais autant parlé de judaïsme que depuis que je me suis plongé dans la religion catholique. » À l'instar du cardinal Lustiger, juif converti, qu'il cite en épilogue de son film : « C'est ainsi que, dans le cours de mon existence, j'ai ¬estimé que je devenais juif parce qu'en embrassant le ¬christiani­sme, je découvrais enfin les valeurs du judaïsme, bien loin de les renier. » Le succès de Coming out, qui affiche quasi complet au théâtre Tristan-bernard, souligne l'intérêt du public pour le sujet. Reste un peu, rencontrer­a-t-il le même engouement ? Une chose est sûre, les discussion­s seront animées à la sortie des salles. « Rien que le fait que ce film existe, que des gens d'horizons si différents puissent en parler entre eux, c'est nécessaire. Pourquoi faudrait-il toujours, quand on parle de religion, que ce soit sous l'angle de la Manif pour tous ou du voile ? On parle de spirituali­té, c'est beau, ça fait du bien. »

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