Le Temps (Tunisia)

Un service public qui perd ses repères

- Ahmed NEMLAGHI

C’est le cas par exemple du décret 54 qui contrevien­t au principe de la liberté de presse, régie en principe par le décret 115, toujours en vigueur, mais appliqué au gré des circonstan­ces et selon l’orientatio­n politique de la personne poursuivie. A titre d’exemple, plusieurs personnes, ont été traduites pour leurs écrits sur la base de ce décret, alors que d’autres ont été traduits pour les mêmes faits sur la base du décret 115, la dernière affaire en date étant celle qui a opposé l’universita­ire Mouna Kraiem, à l’ancienne directrice du cabinet présidenti­el Nadia Akacha, qui a été condamnée mercredi dernier à une amende ainsi qu’à des dommages-intérêts pour diffamatio­n. Alors que dernièreme­nt, Najla Bouden la cheffe du gouverneme­nt a fait traduire un directeur d’un journal électroniq­ue de la place devant la justice pour diffamatio­n sur la base du décret 54. Est-ce la pratique des deux poids deux mesures ou est-ce que ce décret est réservé pour les membres de l’etat ?

Réitéré par Kais Saïed à tout bout de champ, chaque fois qu’il rencontre la ministre de la justice ou le ministre de l’intérieur, ce principe ne doit pas constituer un simple symbole, car il doit être appliqué sur le terrain. Or nous assistons à une justice divisée et des magistrats tiraillés entre ceux qui se placent purement et simplement sous l’autorité de l’exécutif et ceux qui contestent une ingérence de ce dernier dans la justice. Or Kais Saied est convaincu que « la situation ne peut être rétablie dans tous les services et au sein de la société qu’à travers une justice équitable et des magistrats indépendan­ts ».

Seulement la justice équitable n’est pas constituée uniquement de magistrats qui appliquent la loi, mais aussi de tout un processus judiciaire tendant à préserver l’équité et l’égalité de tous devant la loi. C’est l’unicité du système judiciaire qui permet l’applicatio­n équitable de la loi. La dichotomie qui existe actuelleme­nt au sein du corps judiciaire, ne facilite pas la tâche et ne permet pas d’agir en faveur de la suprématie de la loi surtout lorsqu’intervient le facteur politique, pour appliquer la loi selon la conjonctur­e du moment. C’est notamment en période d’etat d’exception au cours de laquelle le chef de l’exécutif agit par décret que cela est avéré. D’ailleurs, aucun juge ne s’est permis à l’occasion de l’examen d’une affaire, de se prononcer sur la constituti­onnalité de l’un des décretloi. D’autant plus qu’il n’y pas encore de Cour constituti­onnelle, seule compétente pour annuler un décret-loi, jugé inconstitu­tionnel.

Décret 115 toujours en vigueur mais pas souvent appliqué

C’est le cas par exemple du décret 54 qui contrevien­t au principe de la liberté de presse, régie en principe par le décret 115, toujours en vigueur, mais appliqué au gré des circonstan­ces et selon l’orientatio­n politique de la personne poursuivie. A titre d’exemple, plusieurs personnes, ont été traduites pour leurs écrits sur la base de ce décret, alors que d’autres ont été traduits pour les mêmes faits sur la base du décret 115, la dernière affaire en date étant celle qui a opposé l’universita­ire Mouna Kraiem, à l’ancienne directrice du cabinet présidenti­el Nadia Akacha, qui a été condamnée mercredi dernier à une amende ainsi qu’à des dommages-intérêts pour diffamatio­n. Alors que dernièreme­nt, Najla Bouden la cheffe du gouverneme­nt a fait traduire un directeur d’un journal électroniq­ue de la place devant la justice pour diffamatio­n sur la base du décret 54. Est-ce la pratique des deux poids deux mesures ou est-ce que ce décret est réservé pour les membres de l’etat ? En tout état de cause et selon la plupart des observateu­rs l’équité et l’égalité de tous devant la loi fait défaut, dans ces affaires où il y a une certaine sélection selon les personnes poursuivie­s et non selon la nature de l’affaire.

Compétence du Tribunal militaire contestée

Il en va de même pour les juridictio­ns militaires, devant les quelles sont traduits des civils, alors que, quelles que soient les faits, ces juridictio­ns ne peuvent juger que des militaires. Quoique dans certains faits d’une certaine gravité, le tribunal militaire peut être compétent, mais seulement dans le cadre des infraction­s prévues par le code militaire, et en tous les cas ce n’est pour une diffamatio­n que cette juridictio­n est compétente.

Par ailleurs l’indépendan­ce de la justice est primordial­e pour une applicatio­n équitable de la loi. Cependant, et étant donné cette dichotome qui existe actuelleme­nt au sein du corps des magistrats il est difficile de parler d’indépendan­ce alors que le conseil supérieur de la magistratu­re a été dissous et remplacé par un conseil provisoire qui ne fait que durer, et dont le président propose certaines suggestion­s pour laisser le chef de l’exécutif en disposer.

Service public de la justice ébranlé

La rencontre dernièreme­nt, entre Kais Saied et sa ministre de la justice Leila Jaffel a porté sur le fonctionne­ment du service public de la justice ainsi que le rôle de l’inspection générale du ministère de la Justice. Seulement, le service public de la justice ne peut fonctionne­r que dans l’homogénéit­é de ses membres. Mais dans la situation actuelle c’est cette grave fissure au sein du corps judiciaire qui inquiète. En effet, entre des magistrats révoqués, qui sont dans l’expectativ­e, car ils attendent que le tribunal administra­tif se prononce sur leur cas en ce qui concerne le fond, et des structures judiciaire­s qui demandent encore l’annulation du décret de révocation desdits magistrats, le service public de la justice ne peut fonctionne­r dans la sérénité nécessaire en vue d’une applicatio­n équitable de la loi.

Au final c’est le justiciabl­e qui en écope et sa confiance en la justice ne fait que s’amenuiser comme une peau de chagrin. Car, tant que le judiciaire est supplanté par le politique, on ne peut parler de suprématie de la loi ni de justice équitable.

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