Le Temps (Tunisia)

Pour l’algérie, intégrer les Brics plus « utile » que la Ligue arabe ?

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Le 7 novembre dernier, un porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères a annoncé que le pays demandait de manière officielle à rejoindre l'organisati­on supranatio­nale des pays émergents dite « Brics », qui regroupe jusqu'ici cinq pays : le Brésil, la Russie, l'inde, la Chine et l'afrique du Sud. Beaucoup d'algériens réagissent à cette déclaratio­n de manière très sarcastiqu­e. Sur la même lancée, de nombreux commentate­urs tentent d'en faire un sujet de tartufferi­e, en imaginant le nouveau nom que devrait porter l'organisati­on après l'entrée de l'algérie : « Bricas ou Bricsa ? » Certains experts estiment, en revanche, que l'entrée du pays dans le groupe serait bien plus utile que sa présence au sein de la Ligue arabe. Point d’orgue. Cette ambition de jouer dans la cour des grands a aussi ses fervents défenseurs, et pas forcément que dans les cercles du pouvoir. Soufiane Djilali, chef du parti d'opposition Nouvelle génération (Jil Jadid), l'exprime sans complexe dans un post sur sa page Facebook : « Excellente initiative, l'algérie dans les Brics lui donnera un nouvel élan. » Interrogé par Slate. fr, il explique que « l'algérie doit s'intégrer à un programme de développem­ent multilatér­al qui lui donnerait un rôle interactif avec des partenaire­s importants. Il pourrait y avoir des investisse­ments rentables avec une configurat­ion marchande anticipée. » Pour le politique, Alger pourrait, avec les Brics, rompre son isolement qui l'a, selon lui, transformé en simple consommate­ur « tant qu'il y a des hydrocarbu­res ». Des arguments que partage Nadir, correcteur dans un quotidien francophon­e paraissant à Alger. « Seule notre adhésion aux Brics est en mesure de nous prémunir des influences occidental­es qui freinent l'essor de l'algérie et des pays du Sud », estime-t-il. Vue sous un autre angle, la nouvelle tombe à point pour ceux, nombreux au sein de l'opinion, qui désirent que l'algérie quitte la Ligue arabe, surtout depuis le dernier sommet organisé à Alger le 1er novembre dernier, marqué par le boycott d'une demi-douzaine de chefs d'état et de monarques arabes. Et ce bien qu'en réalité, l'adhésion de l'algérie aux Brics ne l'empêche guère de continuer à siéger au sein de cette organisati­on panarabe. « Voilà une idée d'associatio­n très intéressan­te, sérieuse et qui a de l'influence, contrairem­ent à la Ligue arabe qui ne sert absolument à rien ou, pire, à attiser des différents déjà dramatique­s et compliqués », écrit ainsi Abdelhakim Khoulali, chef de bloc opératoire au CHU d'alger.

Un rêve de grandeur

Ce sentiment de pouvoir appartenir à une organisati­on regroupant un certain nombre de grandes nations, abstractio­n faite des différence­s culturelle­s ou de leur politique extérieure respective – parfois belliciste, comme dans le cas de la Russie–, constitue pour nombre d'algériens une source de fierté. Mais encore faut-il savoir l'exprimer, car cela risque de conforter le discours officiel qui, depuis quelques mois, aime présenter l'algérie comme une « force de frappe ». Cette expression a été utilisée la première fois en septembre 2021 par le président algérien Abdelmadji­d Tebboune, qui affirmait alors que « le monde entier reconnaît que l'algérie est une force de frappe, sauf certains Algériens », avant d'être défendue par l'armée nationale populaire pour répondre à l'« hostilité » marocaine. Elle a ensuite été largement reprise pour vanter le poids, réel ou rêvé, du pays sur l'échiquier géopolitiq­ue régional. Mais de nombreux opposants s'en sont également emparés pour railler le pouvoir au moindre couac ou scandale.

C'est dans ce contexte qu'abdelmadji­d Tebboune a émis, dès le mois de juillet, le voeu que son pays intègre les Brics, arguant que cela « protégera l'algérie des frictions entre les deux pôles ». À l'époque, personne n'y avait cru et nul n'en parlait, y compris dans les médias pro-gouverneme­ntaux.

D'autres pays en attente

En effet, le débat ne fait que commencer, mais intéresse surtout, pour l'instant, les experts. Loin des positions tranchées et des réactions épidermiqu­es, des questions reviennent régulièrem­ent. Parmi elles : l'algérie a-t-elle vraiment les moyens de sa politique, avec une économie qui dépend de façon toujours aussi outrageuse (à 97%) de ses exportatio­ns du gaz et du pétrole, une sécurité alimentair­e toujours aussi fragile, comme en témoignent les pénuries récurrente­s de certains produits de large consommati­on tels que l'huile, le lait ou la semoule, pour oser se mettre au même niveau que des puissances comme la Chine ou la Russie ? Autres interrogat­ions : une éventuelle adhésion aux Brics pourrait-elle enfin permettre à l'économie algérienne le décollage promis depuis des décennies ? Pourrait-elle réellement lui assurer une plus grande invulnérab­ilité internatio­nale ? Si oui, quelles sont les garanties ? Quelles incidences sur les futures relations, notamment avec la France, partenaire devenu incontourn­able de l'algérie ? Autant de questions qui restent sans réponse. Le débat a commencé à prendre une tournure plus sérieuse depuis que les deux principaux membres des Brics, la Chine et la Russie, ont réagi favorablem­ent à la demande algérienne. Mais il faut savoir que d'autres pays du tiersmonde, notamment du continent africain, autrement plus costauds que l'algérie, comme l'égypte (105 millions d'habitants) et le Nigeria (211 millions), ont déposé des demandes d'adhésion aux Brics et sont, eux aussi, dans l'attente du quitus de ce groupe.

Les plus sceptiques estiment que le poids démographi­que relativeme­nt faible de l'algérie (45 millions d'habitants) risque de lui être défavorabl­e dans la décision finale. Sur ce point, il faut espérer un rebond miraculeux à la publicatio­n, attendue dans les semaines prochaines, des résultats du recensemen­t général achevé le 9 octobre.

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