Le Président Trump en Asie, entre empirisme et cynisme
Le Président Obama avait fait du recentrage sur l’Asie le pivot, l’axe de sa politique étrangère. La montée en puissance de la Chine, l’émergence économique de ce continent, les enjeux militaires et stratégiques, l’importance de la rive pacifique du pays, tout cela justifiait une telle priorité. Cette politique était comprise et partagée par les Asiatiques qui, selon Pew Research, en 2016, accordaient à 78% leur confiance au Président Obama et à 71% avaient une opinion favorable des Etats-Unis. En quelques semaines, le nouveau locataire de la Maison Blanche a su dilapider ce capital de confiance. Aujourd’hui, toujours selon Pew Research, moins d’un quart des Asiatiques fait confiance au Président Trump, à peine la moitié juge positivement les Etats-Unis. Ils sont 41% à penser que cela ne peut qu’empirer et 17% à croire en une embellie. Les résultats de la tournée en Asie de Donald Trump ne vont pas réparer cette image dégradée.
Au pivot vers l’Asie a succédé « America first ». Au Trans-Pacific Partnership, destiné à contenir la Chine, abandonné dès la prise de fonctions, la dénonciation brutale des déficits commerciaux avec la Chine, le Japon, la Corée, le Vietnam, l’égoïsme sacré, l’absence de leadership et de capacité d’équilibrage de l’Amérique dans une zone qui en a tant besoin. Au comportement cérébral d’Obama, l’impulsivité et l’imprévisibilité d’un provocateur populiste.
Autant de sujets d’inquiétude, peu exprimée car le soutien américain face à Pékin et Pyongyang demeure indispensable ; il vaut bien flatteries et amour propre rentré. La tournée de Trump était attendue, car elle pouvait fournir des occasions de dialogue, d’explications susceptibles de faire évoluer un novice en la matière.
Les incidents diplomatiques ont pu être évités par la longanimité des interlocuteurs et la relative retenue du Président Trump, qui s’est résigné à suivre les notes de ses conseillers, plutôt que de se livrer à ses improvisations hasardeuses. Le malaise américano-asiatique n’a pas pu cependant être levé, sur le cadre stratégique, la sécurité et le commerce, qui constituaient la trame du déplacement de 12 jours de Donald Trump.
Du pivot asiatique au concept confus de « l’Indo-Pacifique libre et ouvert »
Reprenant une formule de Shinzo Abe, le Président Trump a évoqué à plusieurs reprises le concept d’une zone « Indo-Pacifique, libre et ouverte ». Si l’on voit bien qu’elle vise à marginaliser la Chine et à valoriser l’Inde, cette idée paraît pour le moins ambiguë et réductrice par rapport à l’Asie-Pacifique. Rassemblant les démocraties du Japon, de Corée, d’Australie et de l’Inde, elle met à l’écart les autres pays d’Asie et d’Amérique latine, membres de l’APEC. Malgré sa couverture géographique restreinte et des caractéristiques politiques communes, elle ne saurait être une enceinte multilatérale, car le multilatéralisme est rejeté catégoriquement par le Président Trump, qui veut se garder les mains libres. Si l’on comprend l’intérêt du Japon qui cherche le soutien de Washington face à la Chine, pour les autres membres putatifs et pour les Etats-Unis eux-mêmes, l’attrait est bien plus discutable. Créée en 1989, à l’initiative des Australiens, l’« Asia Pacific Economic Community » (APEC) a pour vocation de rassembler les pays de la région, afin de prévenir les tentations protectionnistes. Autour de la table se trouvent réunis 21 membres, ayant en commun d’être riverains du Pacifique ; l’Inde y est observateur, mais n’a pu être acceptée comme membre car n’ayant pas de côte sur le Pacifique. A noter, de manière inattendue, le chef d’Etat américain s’est lancé à l’APEC dans un vibrant hommage de l’Inde, tant pour ses performances économiques que pour la nature démocratique de son régime.
Le Président Trump a réitéré devant l’APEC à Da Nang sa vision du monde, qui avait déjà été exprimée dans la presse par deux de ses proches conseillers. Ceux-ci réfutaient l’idée d’une communauté internationale au profit d’une « arène » dans laquelle chaque acteur est en compétition pour obtenir des avantages sur les autres. Dans cette arène, les Etats-Unis peuvent compter sur leur puissance inégalée, pour peu que Washington accepte cet état de choses et ne pèche pas par naïveté ou faiblesse, ce que les Présidents n’ont su faire durant ces trente dernières années, selon D. Trump.
Donald Trump a présenté cette analyse comme une évidence. Des accords commerciaux peuvent être passés mais, dans un cadre bilatéral et non multilatéral, en mettant sur la table les atouts que l’on a dans le monde : garanties de sécurité et accès au plus grand marché mondial pour les Etats-Unis, capacité de pression sur la Corée du Nord pour la Chine,…
Cette vision digne de Hobbes n’est pas reprise par les interlocuteurs asiatiques, qui ne raisonnent pas en jeu à somme nulle mais gagnant/ gagnant et ont à l’esprit la dimension stratégique d’un partenariat américano-asiatique.
Le partenariat Trans-Pacifique a fait l’objet de soins intensifs pour le maintenir en vie et pour se préparer à un prochain - mais éventuel - revirement américain, qui permettrait de retrouver le cercle des 12 et non plus des onze parties prenantes. Les onze se sont fixé comme objectif de signer un texte révisé au début de l’année prochaine. Par ailleurs, a été adoptée au sommet de Da Nang une déclaration finale qui ne s’écarte guère de la doxa libre-échangiste et ignore les vues américaines.
Tout comme il l’avait fait en janvier dernier à Davos, le Président Xi Jinping a beau jeu de manifester à Da Nang son attachement aux enceintes multilatérales, aux accords de Paris sur le climat, à la promotion d’une zone Asie-Pacifique de libre-échange et de reconnaître que la mondialisation est un phénomène historique irréversible.
La sécurité, un fardeau à partager
Les Etats-Unis se retrouvent ainsi isolés face à des partenaires asiatiques perturbés par un comportement peu responsable du Président américain et face à Pékin qui compte les points.
Le Président Trump a lié dans ses interventions la question de la menace
nucléaire nord-coréenne et celle du déficit commercial, au moins pour partie. Il a laissé entendre que les choses progressaient sur le front nucléaire avec Pyongyang, car il avait su faire preuve d’autorité par la menace (détruire le pays) et démontré qu’il doit être pris au sérieux, comme l’atteste la présence d’une importante force navale (trois porte-avions, sous-marin nucléaire) dans le Pacifique. Il a évité de répéter ses attaques contre le Président Kim-Jong-Un (sauf un tweet puéril contre le « petit et gros » président coréen qui l’avait traité de « vieux lunatique »…) et de s’abandonner à un registre belliqueux.
Cela, au soulagement des Coréens qui craignent la perte de centaines de milliers de vies en cas de déclenchement des hostilités. La Chine avait d’ailleurs manoeuvrée, peu de temps avant la visite de Trump, pour faire baisser la tension entre Pékin et Séoul, née de l’installation de lanceurs anti-missiles (THAAD) destinés à intercepter des engins nord-coréens mais aussi, implicitement, chinois. La Corée du Sud a accepté de ne pas accueillir de nouveaux lanceurs, en échange du retour à la normale du commerce bilatéral. Malgré les différences d’approches avec le Président Moon, le Président Trump s’est gardé de renouveler ses critiques à son endroit.
Sur la Corée du Nord, le Président Trump n’a pas obtenu davantage de la Chine que ce qui avait fait l’objet d’un vote aux Nations unies : pas d’arrêt des approvisionnements en pétrole, pas de renvoi des travailleurs, fermeture des comptes bancaires.
La Chine redoute l’effondrement de son voisin, qui amènerait les troupes américaines à ses frontières. Ce fut la raison en 1950 de la guerre de Corée, et bien antérieurement en 1590, de l’affrontement avec les troupes du Général japonais Hidoyeshi. L’histoire peut se répéter.
Le commerce, loin d’être oublié
« America first » signifie que les Etats-Unis doivent agir pour réduire les déficits commerciaux qui les affligent. Pour Trump, élu par une minorité de citoyens mais qui sont souvent des laissés-pour-compte de la mondialisation, il faut rapatrier les usines et les emplois qui ont fui le pays, du fait de la faiblesse de ses prédécesseurs. Cela même si le chômage est bas (4%) et le déficit extérieur exprimé en PIB, modéré (2.5%, moins que le Royaume-Uni, le Canada, à peine plus que la France).
Donald Trump avait dénoncé, dès le début de son mandat, le fait que le Japon ou la Corée - sans parler de l’Europe - ne supportaient pas de manière équitable le coût de leur défense, le laissant largement à la charge du contribuable américain.
Cette affirmation avait suscité malaise et incompréhension au Japon et en Corée, car elle manifestait un certain détachement de Washington vis-à-vis de ses alliés - leur sécurité n’est pas la nôtre - et donc des doutes sur la détermination américaine à les défendre.
Le Président Trump a repris cette rhétorique, mais en la plaçant sur le terrain des importations de biens américains par les Asiatiques. Pour assurer leur défense, Japon et Corée doivent s’équiper en matériels militaires et pour cela, s’adresser aux fournisseurs américains… La balance commerciale s’en trouvera améliorée…
Comme lors de son précédent voyage au Moyen-Orient, les dirigeants asiatiques ont fait mine de s’exécuter en organisant des annonces impressionnantes de contrats signés, plus de 250 Mds $ en Chine, sans compter l’ouverture programmée au capital étranger des institutions financières locales.
Bien sûr, ces chiffres sont forgés pour la circonstance et regroupent des projets à des stades bien différents - de l’intention au déjà-acquis - mais ils peuvent servir auprès de l’électorat des régions américaines en difficulté.
Cet appel à la militarisation ne peut évidemment qu’indisposer Pékin qui voit ses voisins s’armer de matériels sophistiqués, même si elle peut se réjouir de ce coin enfoncé entre le Japon et la Corée, portés à nationaliser leur défense, et les Etats-Unis, qui se replient autour d’une vision étriquée de leurs intérêts.
A côté de ces torsions de bras à usage immédiat, les menaces qui pèsent sur les accords bilatéraux comme sur le fonctionnement de l’OMC sont bien présentes dans l’esprit des interlocuteurs de Trump, dont le commerce est un moteur essentiel de croissance.
Valeurs et droits de l’homme relégués au second plan
La question des valeurs et des droits de l’homme n’a été abordée par le Président Trump que de manière allusive. Alors que B. Obama en faisait un des repères de sa diplomatie, D. Trump la traite légèrement, par prétérition, à la satisfaction des régimes autoritaires de la région. Le Président Trump en fait un argument pour ramener le Président Duterte à de meilleurs sentiments à l’égard des Etats-Unis et à prendre davantage de champ vis-à-vis de Pékin. Quand B. Obama dénonçait les milliers d’exécutions extrajudiciaires, son successeur paraît approuver les mesures extrêmes de la lutte contre la drogue aux Philippines. Il n’est pas sûr que cette complaisance soit payée en retour. Quelques jours avant la visite de Donal Trump, Pékin avait obtenu de Manille l’arrêt de travaux sur un des îlots contestés de la Mer de Chine méridionale, signe supplémentaire de la volonté d’accommodement du Président Duterte avec la Chine, qui propose finances et un modèle politique acceptable.
Le voyage de Trump en Asie a poussé jusqu’à la caricature la comparaison entre un Président américain, prisonnier de son égo et d’une conception renfermée de son rôle, et un Président chinois, dont l’égo n’est peut-être pas moindre, mais qui a une vision à long terme de son pays et du monde , qui se donne les moyens de la faire devenir réalité. Bien sûr, la Présidence Trump ne peut qu’être une parenthèse dans l’histoire de la République Impériale, selon le mot de Raymond Aron, mais on ne peut jurer de rien quant aux choix des électeurs américains lors des prochaines élections. Les récents votes ont marqué un recul des Républicains et le Président connaît une impopularité rare. Mais, les Républicains n’ont aujourd’hui guère de marges de manoeuvre et les Démocrates demeurent peu attrayants. Les prochaines élections de mid-term, dans un an, devraient produire des changements au Sénat et à la Chambre des représentants, mais seront-ils suffisants ? Et un an, c’est bien long dans un domaine où les prérogatives présidentielles sont fortes et alors que les dangers pour la paix s’accumulent.
La Chine joue la durée, le charme (avec plus ou moins de succès) et la rationalité, donc tient à éviter les accidents de l’histoire. La Corée du Nord peut en être un, si Kim-Jung-Un sortait de la réserve observée (deux mois sans essais balistiques ou nucléaires…) et si la pression exercée par la Chine se révélait inopérante.
Le Moyen-Orient, avec l’Iran et l’Arabie saoudite, encouragée par les tweets compulsifs de Donald Trump, recèle à cet égard certainement plus de risques