Moyen-Orient, la grille des « maux croisés »
Ce jeu de mots permettrait-il d’appréhender les faits d’actualité au Moyen-Orient et d’analyser leurs dimensions paradoxales ? Pourrait-il satisfaire la quête de sens de l’analyste géopolitique ? Comment s’articule la carte géopolitique, par les procédures de contrôles et de contrepoids, le système « checks and balances » ?
Après la conjoncture d’escalade et la chute de Daech, la Syrie et l’Irak vivent une guerre continue. Leurs acteurs épuisés se résignent à admettre le statu quo. Par contre, la guerre du Yémen se radicalise et entretient de graves tensions, dans la péninsule arabique. Le tir d’un missile balistique vers l’aéroport de Riyad par les Houthis le 4 novembre, aggrava la situation. La coalition conduite par Riyad au Yémen estima que le tir - intercepté par l’Arabie mais dont des débris sont tombés dans le périmètre de l’aéroport -, constitue une « agression militaire flagrante par le régime iranien qui pourrait équivaloir à un acte de guerre ». Cette coalition se réserve le droit d’y riposter de « manière appropriée ». Il ne fait guère de doute que les rebelles, qui contrôlent depuis fin 2014 Sanaa et une bonne partie du nord et de l’ouest du Yémen, bénéficient de livraisons d’armes de l’Iran et de l’assistance d’experts iraniens en balistique qui leur permet d’allonger la portée de leurs missiles pour pouvoir atteindre des centres vitaux en Arabie saoudite.
Dans ce contexte, l’annonce à Riyad de la démission surprise du Premier ministre libanais Saad Hariri, le 4 novembre, semble mettre à l’ordre du jour une nouvelle donne. D’autre part, les arrestations, le 5 novembre, d’importants dirigeants de l’Arabie saoudite (11 princes, 4 ministres et plusieurs anciens ministres) - fût-elle inscrite dans « la lutte contre la corruption » - consolide le nouveau pouvoir, par un rééquilibrage des forces dynastiques, en faveur de l’héritier du trône, le fils du roi. Explicitant les raisons de sa démission, le Premier ministre libanais, un protégé de l’Arabie saoudite, dénonce la « mainmise » et « l’ingérence » de l’Iran dans les affaires libanaises, à travers son allié le Hezbollah. D’après des analystes, cette démission aura des conséquences plus graves qu’une simple péripétie politique dans un pays habitué aux crises gouvernementales. Elle fait craindre que le Liban, pays aux équilibres fragiles, ne plonge dans de nouvelles violences (Rouba EL Husseini, « au Liban, la peur d’un nouveau chaos après la démission de Hariri » AFP, 5 novembre 2017). « Hariri a commencé une guerre froide qui pourrait dégénérer en guerre civile, sachant que du point de vue militaire, le Hezbollah n’a pas de concurrent au Liban », estime Hilal Khashan, professeur de sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth (Ibid.). Pour Karim Emile Bitar, directeur de recherches à l’IRIS, « cette décision lui a visiblement été directement suggérée, ou même dictée, alors qu’il était en voyage en Arabie saoudite » (« Les leaders libanais n’ont pas la moindre souveraineté, les décisions sont prises à Téhéran ou à Riyad», in France info, 5 novembre 2017). Un analyste libanais estime que « le compromis, aux termes duquel
De fait, l’Arabie saoudite, confortée par son alliance avec les USA, confirme et développe son jeu de rôle régional, après avoir redimensionné le Qatar et mis fin à la concurrence de son ancien partenaire. La démission de Hariri atteste une volonté de réactiver le conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite.
le pouvoir actuel a été mis en place il y a un an, éclate en morceaux … » et affirme que « la démission de Hariri livre le Liban tout entier à la guerre des axes » (titre de l’article d’Abu Rizk, L’Orient le jour, 4 novembre 2017). Abdelbari Atwane affirme que la démission de Hariri fait partie d’une « feuille de route américano-saoudienne contre le Hezbollah … » (scoop.info, 6 novembre).
Réponse de l’Iran : les masques sont tombés, il s’agirait d’une décision saoudienne. Plus explicite, le conseiller du chef de la diplomatie iranienne Hossein Sheikholeslam n’hésita pas à affirmer que « la démission de Hariri s’est déroulée dans le cadre du plan du président Donald Trump et du prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane ». Selon lui, Washington et Riyad visent à « déstabiliser la situation au Liban et dans la région suite à la défaite de Daech et la débâcle de l’Amérique dans la région » (interview à la chaîne télévisée Al-Mayadeen, in https://fr.sputniknews.com, 4 novembre 2017). Une guerre contre le Hezbollah, relais de l’Iran, ferait-elle partie de l’ordre du jour ?
De fait, l’Arabie saoudite, confortée par son alliance avec les USA, confirme et développe son jeu de rôle régional, après avoir redimensionné le Qatar et mis fin à la concurrence de son ancien partenaire. La démission de Hariri atteste une volonté de réactiver le conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Au-delà de l’écume de la politique intérieure, dans les deux puissances régionales, il y a des fondements beaucoup plus conflictuels, sous couvert d’une pseudo guerre religieuse, entre sunnites et chiites. L’Arabie saoudite et l’Iran fondent une doctrine de « zones d’influences », mise en application par l’actualité moyen-orientale. Dans cet ordre d’idées, le conflit avec le Qatar aurait remis en cause le Conseil des pays du Golfe. Bahreïn a annoncé qu’elle n’assisterait pas à ses instances, avec le Qatar. L’émir du Koweït a annoncé la suspension de sa médiation. Le voyage du roi marocain Mohammed VI, le 7 novembre, aux Emirats et au Qatar, s’inscrit-il dans une velléité de prendre le relais du Koweït ? De fait, la donne nouvelle favoriserait plutôt la formation d’un partenariat régional avec la Jordanie et l’Egypte, conforté par les proches partenaires du Golfe.
Le Liban a longtemps été le terrain de compétitions arabes, entre nassériens, baathistes, saoudiens, etc. L’équation originelle et paradoxale du Liban, vivant actuellement des conflits de trois niveaux : local, régional et international, est de fait quasi généralisée, sur les terrains militaires, en Syrie, en Irak, au Yémen et en Libye. L’Iran soutient la Syrie, l’Irak et les Houthis, au Yémen. D’autre part, le Qatar et la Turquie soutiennent l’islam politique, alors que l’Arabie, les Emirats et l’Egypte prennent leurs distances de ces différentes connivences.
En ce qui concerne la géopolitique internationale, l’af frontement s’est certes, atténué ; mais le refroidissement des relations, durant l’été 2017, entre les USA et la Russie, attise les rivalités. De fait, la démarcation post-idéologique trace les aires d’alliances et marquent la géopolitique du Moyen-Orient. Alliée de l’Iran et de la Syrie, la Russie a bouleversé les dérives moyenorientales du « printemps arabe » et empêché la chute de l’Etat-nation de Syrie. Depuis lors, nous assistons à un rapprochement américano-russe, sur la scène syro-irakienne, dans le care de la guerre contre Daech ; mais la question de l’Iran et de ses relais (Hezbollah et au-delà) constituent un point de divergence entre les deux puissances. Les données nationales, régionales et internationales constituent la grille des « maux croisés » du Moyen-Orient