Le spectre des pourritures terrestres
Les services de contrôle viennent de verbaliser un agriculteur et de détruire ses légumes irrigués avec les eaux usées traitées. L’usage de celles-ci est réservé, de façon exclusive, aux cultures arbustives. Mais le traitement de ces eaux récupérées n’élimine pas les germes bactériologiques. A cet inconvénient sanitaire le passage du sec à l’irrigué, en agriculture, ajoint la salinisation des sols. Ces constats clignent vers un problème de fond. Par leur volume exorbitant, les déchets amoncelés menacent les populations de la terre tout entière. Les études menées par l’Agence nationale de gestion des déchets ont porté l’accent sur l’usage excessif des pesticides et des herbicides. Les rebuts n’épargnent ni l’espace ni les sols, ni le fond des mers. Les poissons, analysés partout, colportent les traces toxiques des produits utilisés en agriculture. En Tunisie, le phosphogypse pollue le golfe de Gabès. Une étude que j’ai eu à mener pour le ministère de l’Environnement montrait les dégâts dénoncés par les pêcheurs à puiser dans le stock de poulpes et d’autres espèces de taille minuscule et jadis épargnées. Les études menées pour le transport du phosphogrypse par camion pour l’enterrer dans des puits butent sur le risque de pollution de la nappe phréatique. L’injection des déchets dans les entrailles de la terre peut avoir des effets incontrôlés. L’inconvénient des solutions préconisées met en présence des signaux contradictoires.
Comment produire sans orienter l’humanité vers l’obligation de finir par consommer ses déchets ?
A Shangaï l’usage du charbon et l’émission des gaz d’échappement contraignent les Chinois à limiter la respiration d’un air pollué par le port de masques appliqués sur le nez. Largement médiatisé, pareil spectacle taraude l’esprit de l’humanité car il symbolise le partage du même s ort à divers degrés. Les effets dévastateurs prennent de vitesse les moyens de protection. Et tout comme si la perspective de la mort lente ne suffisait pas, le surarmement nucléaire ajoute le spectre de la mort soudaine. Selon les présidents nord-coréen et américain, les deux habilités à provoquer la grande catastrophe, seraient des fous à lier. En Tunisie, avec la récession qui a l’air de s’éterniser les accusations incriminent tantôt la terreur, tantôt la corruption et tantôt le modèle économique.
Cependant, ce florilège de présomptions tangue sur un remous d’une tout autre dimension ; celle de la destruction, peut-être irréversible de l’environnement. Déjà, les prospectivistes essayent de déterminer l’instant où le déséquilibre établi entre le croît démographique et les ressources disponibles à l’échelle mondiale pourrait compromettre la vie sur terre. Mais bien avant les statisticiens chevronnés, André Levi Gourhan, l’éminent préhistorien et anthropologue de renom, lançait le premier signal d’alerte : « D’ici, je vois le dernier homme faisant cuire le dernier rat sur la dernière poche de pétrole en l’accompagnant de la dernière touffe d’herbe. »
Nous sommes en train de brouter le substrat tellurique, animal et végétal sans pouvoir, ni savoir comment reculer. Jusqu’ici, la réduction des gaz à effet de serre n’ont abouti qu’à des voeux pieux. Dans ce vaste capharnaüm prédictif, l’urbanisation des campagnes, la ruralisation des villes, la tiers-mondisation de l’Occident et la croissance exponentielle de la criminalité n’exhibent que la partie émergée de l’iceberg. La mort n’est pas un accident qui surviendra le plus tard possible, elle nous habite. Heidegger l’avait déjà signalé bien avant l’actuelle investigation cellulaire qui donne à voir un processus déclenché dès la formation initiale des cellules. Etre en train de vivre c’est être en train de mourir. Le vieillissement cellulaire le dit a priori