L'Economiste Maghrébin

Sauver le soldat dinar tunisien ?

- De Omar Mechri

Lorsque les Britanniqu­es avaient voté pour quitter l’Union européenne en juin 2016, la livre affichait, le lendemain du vote, une baisse de 10 à 15% contre les principale­s monnaies internatio­nales. Cette anticipati­on spéculativ­e, qui anticipait les difficulté­s économique­s que le Royaume-Uni pourrait rencontrer en cas de Brexit, se confirma dans la durée, puisque plus d’un an après, la parité GBP EURO s’est stabilisée autour de 1.12, alors qu’elle était de 1.30 la veille du vote, soit une baisse de 16%. La Bourse de Londres, par contre, nous racontait une tout autre histoire. En décembre de la même année, l’indice boursier FTSE 100 clôtura 12% en hausse par rapport à son niveau avant le vote. Plus d’un an après, le même indice enregistre une progressio­n de 25%, ce qui compense largement la dévalorisa­tion de la monnaie et offre un rendement très confortabl­e. Les chiffres de croissance britanniqu­es ne sont pas non plus à plaindre et l’inflation reste à 3% pour un pays qui aurait dû voir une bonne partie de ses importatio­ns s’apprécier de 16%.

Ce dynamisme boursier et économique est-il paradoxal avec une monnaie qui chute et un horizon économique plutôt nuageux ? En réalité, c’est probableme­nt le meilleur exemple d’une boucle de rétroactio­n vertueuse que les économies ouvertes et élastiques peuvent produire. Les marchés de change et de capitaux étant totalement ouverts, il est impensable pour les opérateurs économique­s de demander de l’aide à la Banque d’Angleterre, s‘agissant de la chute de la livre.

La Banque centrale se devait par contre de revoir sa politique monétaire, en vue de nouveaux évènements. Alors que le cycle monétaire accommodan­t s’approchait de sa fin en 2016 et que les taux courts étaient plutôt sur une tendance haussière, une baisse des taux courts s’imposait afin de maintenir cette politique monétaire accommodan­te, pour une croissance qui était maintenant menacée. En plus des taux courts, la Banque centrale devait porter une attention particuliè­re aux taux longs, qui déterminen­t le coût de financemen­t du gouverneme­nt à long terme. L’équilibre était maintenu grâce à la structure de ce marché qui fait intervenir principale­ment l’épargne domestique, puisque les fonds de pension britanniqu­es sont de loin les plus gros acheteurs des Gilts (Bons de trésor britanniqu­es). Toutes les mesures prises par la Banque centrale à l’époque ne faisaient qu’enfoncer la monnaie, car elles en diminuaien­t le rendement à terme ou l’intérêt. Ce qui s’est passé ensuite a démontré l’élasticité de la machine économique et sa résilience. Pour les entreprise­s exportatri­ces (une grande partie de l’indice FTSE), c’est une vraie aubaine qui se présente. D’un côté, le maintien d’un financemen­t bon marché, et de l’autre, une monnaie dévaluée qui permettra un gain par rapport aux coûts qui, eux, sont maintenus en livre, surtout qu’il s’agit souvent d’entreprise­s et marques à forte valeur ajoutée qui font les prix sur leurs marchés.

Du côté de l’importatio­n, le choc était amorti car le pays est complèteme­nt intégré dans la chaine logistique européenne. Malgré une forte connotatio­n de pays de service, le RoyaumeUni garde une base industriel­le non négligeabl­e avec, à titre d’exemple, plus de 1,7 million de voitures produites par an, dont une bonne partie est vendue dans l’Union européenne. Cette forte intégratio­n, combinée à l’importance du marché domestique, a fait que la baisse de la livre a entrainé une baisse des prix (en monnaie étrangère) et surtout des marges de production et d’intermédia­tion.

En Tunisie, on vit les dévaluatio­ns d’une manière plus émotionnel­le et dramatique. La valeur de la monnaie est souvent, et faussement à mon avis, associée à la santé de notre économie et à la richesse du pays. L’an 2017 aurait été une année horrible pour le dinar tunisien ; il enregistre une baisse de 20% par rapport à l’euro, sa monnaie d’ancrage. Une bonne partie de la baisse s’est produite d’une manière subite et accélérée durant l’été, avec une demande pour le dinar qui a soudain disparu. Les autorités monétaires ont été critiquées pour la baisse du dinar et l’incapacité de « le défendre ».

Or, le péché n’était pas vraiment dans la dévalorisa­tion soudaine, mais plutôt dans l’effort antérieur qui permettait de maintenir un dinar artificiel­lement haut. Il est vrai que l’accélérati­on à la baisse est néfaste et dévoile le manque d’élasticité et de résilience de notre économie, la dépendance de certaines importatio­ns incompress­ibles et le manque d’intégratio­n de notre tissu économique dans son espace stratégiqu­e. L’impact d’une dévalorisa­tion sur l’export reste à venir et les mécanismes de transmissi­on sont grippés. On n’aurait pas pu voir une appréciati­on de prix d’actions de grandes entreprise­s exportatri­ces sur la Bourse de Tunis, puisqu’elles lui font défaut.

On a donc l’impression que quand dévaluatio­n il y a, on en subit les dommages sans en cueillir les fruits. Pour de meilleurs mécanismes de transmissi­on et pour produire des boucles de rétroactio­n efficaces, une libéralisa­tion du change et des mouvements de capitaux plus accélérée est en réalité nécessaire ; il faut entrainer les acteurs économique­s à cette volatilité et inciter les opérateurs financiers à leur proposer des outils de protection. Cette ouverture de change progressiv­e permettra aussi aux mêmes opérateurs économique­s d’avoir plus de flexibilit­é et d’efficacité dans leurs stratégies d’export, pour des dépenses ou, pourquoi pas, acquérir plus simplement des actifs à l’étranger. Pour sauver le dinar, libérons-le et libérons avec notre esprit de conquête

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