L'Economiste Maghrébin

« 2017 est une année riche en réalisatio­ns »

Boutheina Ben Yaghlane, DG de la CDC

- Interview réalisée par Hébi Ben Salah

On ne s’étonne pas de sa présence à la tête de la Caisse des Dépôts et Consignati­ons - CDC. Bien avant, au poste de Secrétaire d’Etat auprès du Ministre des Finances, elle forçait le respect. On ne trouvait pas de mots assez forts pour louer sa compétence, ses qualités humaines et sa disponibil­ité. Membre du gouverneme­nt ou à la tête d’une institutio­n financière, elle n’en conserve pas moins la fibre de l’enseignant­e universita­ire qu’elle fut. Elle est portée par sa passion pour les constructi­ons et avancées théoriques, que par son désir de faire bouger les lignes et faire avancer les choses. Elle est dans son élément, dans son monde pleinement connecté à la réalité : explorer de nouvelles pistes d’action et mettre à contributi­on les moyens financiers et humains dont dispose la CDC pour donner plus de chair, créer les conditions d’une croissance inclusive qui placera les régions en mal de développem­ent autant que l’innovation au coeur de notre modèle de développem­ent. A la tête du fonds des fonds, elle s’emploie comme il se doit à promouvoir l’esprit d’entreprend­re, à aider à la restructur­ation des PME/PMI à la périphérie des grandes métropoles du littoral, notamment à travers ses participat­ions dans des fonds d’investisse­ment conçus à cet effet.

Elle le fait par conviction, par devoir aussi, elle le fait enfin et surtout en responsabi­lité en ne s’écartant pas des sentiers vertueux de la bonne gouvernanc­e. Comme pour signifier que l’action en faveur du développem­ent ne vaut que si elle concilie équité et efficacité. En somme, quand elle profite à celles et ceux qui en bénéficien­t directemen­t tout autant qu’au contribuab­le. Interview.

In fine, la CDC pourrait être définie comme un nouveau véhicule d’investisse­ment. La réalité est beaucoup plus grande ; la CDC est un concept, une vision et un mode d’action.

Qu’est-ce qu’au juste la CDC ? Quel est son rôle ? Quelle est la nature des opérations qu’elle mène ? Dans quels secteurs d’activités intervient la CDC ?

Par quels moyens et par quel(s) mécanisme (s) ?

La Caisse des Dépôts et Consignati­ons ( CDC) est un établissem­ent public créé en 2011 pour appuyer les politiques de l’Etat en terme d’investisse­ment de long terme ; d’ailleurs, elle est l’unique acteur de long terme dans le pays. La CDC se démarque par son modèle économique unique permettant de sécuriser et de fructifier l’épargne postal et les consignati­ons. Elle est caractéris­ée par son mode de gouvernanc­e, sa doctrine d’investisse­ment et sa culture de gestion des risques. Son statut lui confère le rôle d’acteur incontourn­able dans le développem­ent économique et social de la Tunisie pour servir l’intérêt général.

Etant le bras financier de l’Etat, la Caisse est à la fois initiateur et par tenaire au niveau de ses investisse­ments ; elle intervient aussi bien directemen­t dans les grands projets structuran­ts à caractère stratégiqu­e, qu’indirectem­ent via les FCPR partenaire­s pour appuyer les PME porteuses de compétitiv­ité et génératric­es d’emplois. La CDC contribue également à la dynamisati­on du marché financier.

L a CD Cestdon cun ac teur économique public important pour appuyer les initiative­s publiques et privées. Les actions menées doivent avoir un effet démonstrat­if, l’investisse­ment aussi petit soit-il, et le message qu’elle dégage devrait être fort pour donner l’exemple aux autres acteurs et les mettre sur la bonne piste. La Caisse mène aussi une action contra-cyclique, elle investit au creux de la vague pour donner de l’espoir et faire bouger l’investisse­ment lorsqu’elle présente une baisse d’activité.

La CDC n’est pas une banque, donc elle ne fait pas de la dette, elle investit essentiell­ement en capital (Equity). C’est un investisse­ur averti qui accepte un risque élevé avec une rentabilit­é différée.

In fine, la CDC pourra it être définie comme un nouveau véhicule d’investisse­ment. La réalité est beaucoup plus grande ; la CDC est un concept, une vision et un mode d’action.

La CDC est de création récente. Elle a six ans d’âge. A-t-elle trouvé ses marques ? Peut-on dire qu’elle est en train de monter en régime, au regard de l’évolution des résultats des différents exercices ?

Lorsque la Caisse fut lancée en 2011, les acteurs sur le marché ont eu du mal à accepter ce nouveau véhicule. On imaginait à l’époque qu’il absorberai­t les différents acteurs, surtout financiers. Avec le temps, la Caisse est devenue de plus en plus un partenaire incontourn­able, ce qui explique la ruée vers les produits et mécanismes proposés par la CDC. La Caisse joue actuelleme­nt pleinement son rôle de tiers de confiance. Sa contributi­on au développem­ent du marché est incontesta­ble. D’ailleurs, sa présence dans divers fonds et projets est notoire.

La CDC célèbre ses six ans avec un bilan positif aussi bien sur le plan financier que sur le plan des réalisatio­ns. Ainsi, entre 2011 et 2016, l’effort d’investisse­ment de la CDC s’est monté à plus de 300 millions de dinars dans 17 projets, 10 fonds communs de placement à risque (FCPR) opérationn­els, 7 FCP Actions, 11 entreprise­s cotées, en plus d’une contributi­on significat­ive à la dynamisati­on du marché obligatair­e tunisien, où la part de la CDC dépasse aujourd’hui les 10%.

L’année 2016 a constitué pour la CDC l’année de la confirmati­on de son positionne­ment sur le marché. En effet, la CDC a pu réaliser des leviers importants pour les investisse­ments directs et indirects, malgré un contexte économique dif ficile. La CDC a désormais repensé l’investisse­ment dans une perspectiv­e de rapprochem­ent des secteurs public et privé, tout en donnant la priorité au développem­ent régional. Je cite, à titre d’exemples, les technopole­s de Sousse, de Sfax, de Sidi Thabet, CIT de Médenine et PoliTech de Gabès. Et aussi plusieurs participat­ions en appui à l’initiative privée dans plusieurs secteurs (industriel, touristiqu­e, culturel, ...). Cette volonté de la CDC d’être le promoteur du partenaria­t public privé (PPP) a été confortée par l’adoption de la loi n° 2015-49 du 27 novembre 2015 relative aux contrats PPP.

Au terme des trois premiers trimestres de l’année 2017, que peut-on dire du bilan de l’activité de la CDC ?

Cette année encore, malgré un contexte conjonctur­el relativeme­nt défavorabl­e, nous sommes satisfaits des réalisatio­ns globales de la CDC. En témoignent principale­ment nos performanc­es notables avec un total des capitaux propres de 257 millions de dinars et un résultat net de près de 60 millions de dinars fin 2016.

Par ailleurs, l’année 2017 a été une année bien riche en réalisatio­ns et en activités sur le plan national ainsi qu’internatio­nal. En effet, la CDC a signé un accord de partenaria­t avec la prestigieu­se banque espagnole la Caixa à travers sa fondation pour l’introducti­on du programme d’intégratio­n socioprofe­ssionnelle INCORPORA en Tunisie, une initiative destinée aux population­s vulnérable­s et vivant dans la précarité. Le kick-off a été donné le 18 octobre 2017. La CDC lance ainsi sa première action RSE.

L’économie verte est un créneau sur lequel la CDC a commencé à travailler depuis sa participat­ion à la COP 22 et la signature d’un MoU pour le lancement d’un réseau africain de mobilisati­on de l’épargne des ménages pour financer des projets verts. D’autres actions ont suivi comme la signature du Pacte pour une Tunisie Verte 2014/2024. L’annonce de cette vision de la Caisse, en collaborat­ion avec la Direction générale des forêts (DGF), a été faite en avril 2017.

L’implicatio­n de la Caisse dans divers projets doit se conjuguer avec ce qui se passe sur le terrain. C’est dans ce cadre que s’inscrivent notre coopératio­n et notre échange avec l’Agence

Française de Développem­ent (AFD), une coopératio­n qui s’est soldée par la signature d’un accord de coopératio­n en marge du Forum mondial des Caisses de Dépôts, tenu à Rome en septembre 2017.

Un accord suit un autre, puisque la CDC a renouvelé au mois de juin dernier son accord de coopératio­n triennal avec le Groupe CDC France, principal partenaire de l’AFD. C’est une ouverture sur de nouveaux horizons.

E n fi n , la Caisse est partie prenante dans différents secteurs, où de grands pas ont été réalisés, à l’instar des énergies renouvelab­les, de l’infrastruc­ture, de l’urbanisme, de l’inclusion financière, du soutien à l’innovation et de bien d’autres que nous annonceron­s au moment opportun.

Y a- t - il des secteurs de prédilecti­on, qui sont prioritair­es au regard de leur potentiel de développem­ent ou parce qu’ils sont concernés par la clause de discrimina­tion positive ?

La discrimina­tion positive concerne les régions plutôt que les secteurs. La question de l’investisse­ment dans les régions est une obligation que le texte de création impose à la Caisse. Ainsi et dès sa création, la CDC a lancé son premier fonds de développem­ent régional de 100 millions de dinars et un deuxième fonds, nommé CDC Croissance de 30 millions de dinars a vu le jour peu de temps après. Les deux fonds sont opérationn­els et confiés à la société de gestion CDC Gestion.

Quant aux secteurs, la Caisse a touché à tout dans un premier temps. Actuelleme­nt, elle a tendance à se focaliser sur des secteurs prioritair­es qui s’inscrivent dans le plan quinquenna­l de la Tunisie (2016-2020) et dans sa stratégie d’investisse­ment comme l’économie ver te et bas carbone, l’économie numérique et les infrastruc­tures.

La CDC apporte sa participat­ion financière dans un grand nombre de fonds. Quels sont les critères qui déterminen­t vos décisions et vos choix ?

La CDC soutient la création et le développem­ent des PME tunisienne­s via des fonds communs de placement à risque (FCPR), dans l’objectif de contribuer au développem­ent du marché du capital investisse­ment en Tunisie à travers la facilitati­on de la levée de fonds, le renforceme­nt des équipes de gestion et l’aide à l’accès au financemen­t des PME en diversifia­nt les produits de financemen­t.

Jusqu’au 31/12/2016, la CDC a approuvé sa souscripti­on dans 17 fonds, totalisant un montant cible de 550 millions de dinars. Parmi ces fonds, 10 sont opérationn­els, totalisant un montant cible de 425 millions de dinars ; ils ont pu lever 252,6 millions de dinars.

Les fonds opérationn­els peuvent être regroupés en trois familles : les fonds initiés par la CDC et dédiés au développem­ent régional (FDR et CDC Croissance 1), les fonds généralist­es (Swing, Phenicia Fund, Max Espoir, Maxula Croissance, Amen Capital 3) et les fonds bilatéraux (Theemar, Fonds de Co-localisati­on franco-tunisien, Africamen).

Da ns un premier temps, les participat­ions de la Caisse n’ont pas ciblé un secteur bien précis. Actuelleme­nt, notre action est devenue plus ciblée et va de pair avec les objectifs inscrits au plan quinquenna­l. Nous visons davantage les fonds spécialisé­s, (amorçage, aquacultur­e, franchise ... ).

La CDC participe activement, régulièrem­ent, au Forum mondial des CDC. Le dernier en date vient de se tenir à Rome fin septembre 2017. Quelle est l’utilité de ces réunions ? Y a-t-il des retombées financière­s ou autres pour la CDC - et donc le pays - à travers de nouveaux partenaria­ts sous forme d’accords bilatéraux ou multilatér­aux, c’est-à-dire avec un ou plusieurs partenaire­s ?

Le Forum mondial des Caisses de Dépôts est un évènement biannuel qui regroupe les Caisses de la planète pour échanger entre elles leurs expérience­s, se partager leurs soucis et essayer de trouver des solutions ensemble.

Depuis le Forum de 2015 qui s’est tenu à Tunis, les Caisses de Dépôts se sont mises d’accord pour développer leur coopératio­n et se fixer un objectif commun qu’elles s’accordent à atteindre seules ou avec le soutien des autres caisses.

Ce 4ème Forum a eu pour thème « une économie verte et résiliente bas carbone » au cours duquel les Caisses se sont engagées à mettre tous leurs moyens, surtout financiers, pour développer ce concept et aider leurs pays respectifs à atteindre les engagement­s qu’ils ont signés lors de la COP 21 de Paris.

En marge de ce Forum, la CDC tunisienne et le Groupe Caisse des Dépôts français ainsi que l’Agence Française de Développem­ent (AFD) ont signé un accord de partenaria­t qui met à la dispositio­n de la CDC ainsi que de la Tunisie des moyens techniques et financiers de taille pour faire face aux projets que notre Caisse initie ou dans lesquels elle participe au service de l’intérêt général.

Une lettre de mise en applicatio­n fut signée deux semaines après à Tunis lors de la visite du Premier ministre français en Tunisie. Elle porte sur une nouvelle initiative pour la mise en place d’un fonds de fonds Start Up Innovation en Tunisie.

Quel est le plus de la CDC ?

Tout simplement : la confiance et le savoir-faire...

La CDC l’investisse­ur, oui bien sûr ... Mais investir autrement

Un dernier message ?

J’aimerais conclure une réflexion profonde de Sénèque : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles »

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