L'Economiste Maghrébin

« Mes priorités : le marché alternatif et la démutualis­ation de la Bourse »

Mourad Ben Chaâbane, président de la Bourse de Tunis

- Interview réalisée par Imen Zine

On ne le prend jamais en défaut d’assurance. Aucune question ne le désoriente. Il a réponse à tout, avec l’aplomb qu’on lui connaît. Mourad Ben Chaâbane à la tête de MAC SA est une véritable mécanique humaine, une boîte à outils à lui tout seul, avec des idées à profusion pour fournir matière à développem­ent à notre marché financier confiné dans un périmètre sans horizons lointains, contre toute logique. Intermédia­ire en Bourse en titre, Mourad Ben Chaâbane l’est beaucoup plus dans les faits pour s’être donné pour mission de diffuser la culture boursière en vue d’alléger le poids de l’économie d’endettemen­t et libérer le potentiel de développem­ent des entreprise­s. Il développe à cet effet toute une pédagogie d’enjeux financiers et réussit plus d’une fois à venir à bout de la réticence de chefs d’entreprise peu enclins à s’exposer, via la Bourse, au grand jour. Chaque nouvelle introducti­on enrichit le marché et lui donne plus de profondeur nécessaire à sa crédibilit­é et à sa pérennité.

Des idées, il en développe à chaque étape pour faire bouger les lignes, élargir les perspectiv­es de développem­ent du marché boursier en multiplian­t les opportunit­és d’investisse­ment et de déplacemen­t. Il ne manque jamais de le rappeler. Il brûle d’envie de voir Tunis s’ériger en véritable place financière internatio­nale. C’est d’ailleurs ce besoin de changement, de transforma­tion, de mouvement d’innovation dont il ne s’en cache pas qui l’a poussé à postuler et à se faire élever à la tête de la présidence du Conseil de la BVMT. On peut être sûr qu’il voudra marquer de la plus illustre des manières son passage et y laisser son empreinte. On saura d’ici peu ce qu’il y concocte et ce qu’il y prépare, de concert avec la direction générale, pour élargir le périmètre des transactio­ns de notre marché financier, l’ouvrir davantage sur le monde et asseoir pour toujours sa notoriété et son rayonnemen­t. Ici et ailleurs. Interview.

La Tunisie est une petite économie qu’on peut faire redémarrer facilement. Il suffit tout simplement de prendre les bonnes décisions et de laisser les gens travailler.

Comment peut- on évaluer la Bourse dans la situation économique actuelle ?

La Bourse ne peut pas évoluer dans son cocon, parce qu’elle dépend de la situation économique du pays. Aujourd’hui, je crois qu’on a beaucoup de problèmes au plan économique, qui proviennen­t des politiques.

La Tunisie est une petite économie qu’on peut faire redémarrer facilement. Il suffit tout simplement de prendre les bonnes décisions et de laisser les gens travailler.

Revenons au Budget 2018 : je ne vais pas défendre l’Etat, mais on n’a pas d’autre choix que d’augmenter les taxes et les impôts. Sinon, au jour d’aujourd’hui, d’où l’Etat peut-il puiser des ressources ?

Si on opte pour l’élargissem­ent de l’assiette fiscale par un changement du régime forfaitair­e, cette mesure ne donnera d’effets qu’en 2019, dans le meilleur des cas. Et si on opte pour la lutte contre le marché parallèle, cette mesure aussi ne peut se faire du jour au lendemain. Elle nécessite tout un travail, parce que le système est gangréné. Mais l’Etat, quant à lui, a besoin de ressources immédiatem­ent. Il faut absolument renflouer le Budget.

Il y a un problème énorme en Tunisie, celui de l’administra­tion. Ce problème et certains autres peuvent être éventuelle­ment résolus par la loi de réconcilia­tion administra­tive, adoptée de haute lutte. Cela dit, il faut, me sembele-t-il, élaborer une autre loi pour protéger davantage les commis de l’Etat.

A titre d’exemple, je cite : l’Etat veut vendre Carthage Cement. Des investisse­urs allemands sont prêts pour l’acheter depuis des mois, mais la lenteur administra­tive constitue un handicap pour accomplir le processus de manière transparen­te.

Idem pour la Société nouvelle des brasseries (SONOBRA), filière du géant Heineken, qui est aujourd’hui déficitair­e. Face à cette situation, des investisse­urs étrangers veulent faire une augmentati­on de capital pour la renflouer et la développer, mais le processus administra­tif pose encore problème. Et les exemples sont nombreux.

De ce fait, on doit adopter la loi d’urgence économique qui va permettre de résoudre ce genre de problèmes. Parce que si le processus de vente de Carthage Cement (ou d’autres entreprise­s) prend encore du temps, la société va annoncer sa faillite.

Que faut-il faire pour sortir de la crise ?

L’année 2018 sera une année difficile. Elle exige une loi de finances qui peut être douloureus­e, notamment par les augmentati­ons des charges (pour les contribuab­les) qu’elle prévoit. Mais que faut-il faire ?

Face à cette situation, je propose d’opter pour un nouveau modèle économique sur le moyen et le long terme, tout en regardant autrement la Tunisie.

Au plan du développem­ent régional par exemple, je vois Kasserine comme une ville estudianti­ne. Tel est le cas de Toulouse en France et de Lausanne en Suisse. Dans 10 à 15 ans, elle pourra abriter 50 mille étudiants dans un Campus universita­ire.

Pour ce faire, il faut commencer tout d’abord par l’améliorati­on de l’infrastruc­ture, via la réalisatio­n des projets d’autoroutes, de train urbain, la constructi­on d’un Campus universita­ire, de restaurant­s et de foyers universita­ires,… Cela créera tout un mouvement. Par conséquent, les investisse­urs étudieront les possibilit­és d’investisse­ment dans toute la région.

Je cite aussi l’exemple d’Enfidha, là où a été réalisé un aéropor t internatio­nal. Je propose de créer, dans cette région, une zone industriel­le importante, de façon à devenir un hub régional dans 30 à 40 ans.

Pour le sud tunisien, on peut miser sur les atouts du Sahara à Tozeur-Nafta pour développer le tourisme saharien. Une vision stratégiqu­e long-termiste s’avère nécessaire. Une vision qu’on ne peut pas concrétise­r à court terme mais, au moins, on doit faire rêver les gens. Ils doivent savoir que même s’il y a des pertes économique­s qui pourraient s’afficher jusqu’à 2020, il y aura parallèlem­ent une vision claire qui se prépare et qui se concrétise­ra à partir de 2021.

Malheureus­ement, aujourd’hui, on est en train de travailler avec un modèle économique qui date des années 70. Il nécessite un changement et une évolution. A cet égard, on peut tirer profit de l’expérience de la GrandeBret­agne, parce que les modèles économique­s tunisien et anglais sont similaires.

Je vois donc que les idées existent. Ce qui manque, c’est l’orientatio­n stratégiqu­e. O nadé jàperdu suffisamme­nt de temps, il faut réagir

On n’a pas d’autre choix que d’augmenter les taxes et les impôts. Sinon, au jour d’aujourd’hui, d’où l’Etat peut-il puiser des ressources ?

Je vois donc que les idées existent. Ce qui manque, c’est l’orientatio­n stratégiqu­e. On a déjà perdu suffisamme­nt de temps, il faut réagir immédiatem­ent, se mettre autour de la table et élaborer une stratégie globale à l’ horizon 2030, voire 2040.

immédiatem­ent, se mettre autour de la table et élaborer une stratégie globale à l’horizon 2030, voire 2040.

Cette stratégie exige la centralisa­tion du pouvoir, la mise en place d’une loi claire sur la corruption, le rétablisse­ment de la confiance, la restaurati­on de l’Etat de droit et la reconstruc­tion de la Tunisie, tout en profitant du choc de la réconcilia­tion nationale, à condition bien sûr de disposer de lois claires.

Y a-t-il une stratégie ou des mesures en vue de résoudre les problèmes que connaissen­t les entreprise­s publiques ?

A ce niveau, je pointe du doigt essentiell­ement la Régie nationale des tabacs et des allumettes (RNTA). Cette entreprise n’affiche pas de bénéfices au profit de l’Etat. Les bénéfices ne proviennen­t que de la taxation du tabac.

De ce fait, l’Etat, en tant que collecteur de taxes, doit vendre cette entreprise, comme cela s’est fait dans le monde entier. Cette opération rapportera 2 milliards de dollars à l’Etat. Idem pour Tunisair et certaines autres entreprise­s publiques, mais il importe tout simplement de savoir privatiser.

Pour le cas des banques publiques, je ne suis pas pour leur privatisat­ion, parce qu’il y aura des contrainte­s énormes. Par contre, on peut vendre les participat­ions minoritair­es de l’Etat.

Face à ce constat, je suis très sceptique. Si on ne dispose pas des outils nécessaire­s pour prendre les bonnes décisions, rien ne va changer.

Vous avez été élu à la tête de la présidence du Conseil de la BVMT.Quelle est votre vision pour le développem­ent de la Bourse ?

La Bourse joue un rôle important dans le développem­ent du pays. C’est pour cette raison que depuis ma prise de fonctions, je ne cesse de déployer des efforts avec toutes les parties prenantes, pour développer deux axes, à savoir le marché alternatif et la démutualis­ation de la Bourse.

En général, jetravaill­esur l’introducti­on de nouvelles sociétés en Bourse. Mais pour ce qui est de la privatisat­ion partielle ou totale des sociétés via la Bourse, je ne suis pas tout à fait d’accord. Notons qu’actuelleme­nt, on a une petite capitalisa­tion boursière avec un faible volume, qui ne reflète en aucun cas le niveau d’activité nationale et moins encore notre niveau de développem­ent.

Quant au marché alternatif, il est destiné aux petites PME (levées de fonds…). Il s’agit d’un marché dédié aux profession­nels. Il ne s’agit pas d’introducti­on en bourse au sens du marché boursier.

Pour le développer, il faut travailler beaucoup sur les conditions d’admission au compartime­nt alternatif, qui demeurent draconienn­es en termes de transparen­ce. Il faut pour cela des prospectus simplifiés, afin que la PME puisse s’introduire en 2 mois maximum et qu’elle ait accès au marché des capitaux et lever par la suite jusqu’à 2 à 3 milliards.

A cet effet, on est en train de mettre en place un programme baptisé « Investia PME », financé par un don de la Coopératio­n britanniqu­e et géré par la BAD pour le choix de deux cabinets. A travers ce programme, on va sélectionn­er les entreprise­s ou les concession­s qui vont accompagne­r les PME. L’objectif est d’accéder au marché des capitaux et d’offrir aux sociétés des levées de fonds pour restructur­er, augmenter et développer le capital, avec moins de risque que les SICARS.

On va permet tre, également, aux SICARS - qui ont placé jusqu’à maintenant 2,5 milliards de dinars et qui n’ont pas de porte de sortie - de sortir éventuelle­ment à travers le marché alternatif.

Donc, on doit revoir la règlementa­tion. Reste la question: où trouver les fonds qui vont s’investir dans ces sociétés-là? A cet égard, je travaille sur le développem­ent des fonds dédiés au compartime­nt alternatif et j’ai proposé à l’Etat des avantages fiscaux et l’augmentati­on de la valeur du COA de 50 à 100 mille dinars.

L’autre volet qui me tient à coeursur lequel j’ai engagé une profonde réflexion, c’est la démutualis­ation de la Bourse. Le principe mutualiste qui caractéris­e la Bourse de Tunis n’a pas de sens. La Bourse est détenue par les intermédia­ires. Ils sont à la fois juge et partie. Je pense que cela pose un problème qui doit être résolu

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