Des perspectives en demi-teinte
Dans une économie comme celle de la Tunisie qui cherche à mobiliser le maximum de ressources, la Bourse devrait être au coeur des intérêts. Malheureusement, cela est loin d’être le cas. Le pays est en train de se priver d’une mine d’or capable de financer une grande partie des besoins de l’économie.
Un tableau peu flattant
La Bourse de Tunis pèse aujourd’hui plus de 21,017 milliards de dinars. Un chiffre qui peut paraître, en terme absolu, important. Néanmoins, il demeure peu significatif par rapport aux objectifs souvent annoncés par les responsables politiques. Il suffit de le convertir en dollar pour s’apercevoir qu’il s’agit uniquement de l’équivalent d’une startup américaine.
Depuis le début de l’année 2017, les volumes des échanges se sont effondrés, avec une baisse de 15.6% depuis à 1,048 milliard de dinars. Si nous tenons des transactions de blocs, nous trouvons un volume moyen quotidien récurrent de seulement 3,642 MTND. C’est un vrai souci, si nous savons qu’il y a 23 brokers dans la Place.
L’un des problèmes majeurs de la Bourse en Tunisie, c’est la répartition de ce faible volume entre les différents intervenants. Nous trouvons essentiellement les investisseurs individuels (mode gestion libre) qui s’accaparent 60% des achats et 55% des ventes. C’est une épée à double tranchant. D’une part, cela offre au marché une grande liquidité, puisque les petits épargnants sont supposés changer rapidement de positions, et donc donner une dynamique unique. Toutefois, nous n’apercevons que l’aspect négatif, puisque d’autre part, ces investisseurs sont facilement influencés par les rumeurs qui circulent dans le marché. La plupart d’entre eux se sont positionnés sur des titres qui, par la suite, ont laissé des plumes. Ces pertes ont traumatisé une grande partie de ces investisseurs et certains ont même déserté le marché ou ont gardé leurs positions en espérant une reprise qui ne viendrait, probablement, jamais.
En même temps, les investisseurs institutionnels restent peu actifs. Les OPCVM ne constituent que 120,568 MTND des achats (16% du volume total) et 122,736 MTND des ventes (17% du volume total). Le problème de collecte pour la majorité des fonds est l’entrave essentielle au développement de l’intervention des organismes de placement collectif dans le marché. Ceux qui disposent d’un matelas confortable se sont orientés vers les investissements en titres de dettes (BTA, obligations corporate) qui rapportent aujourd’hui un revenu élevé sans prise de risque.
Il y a enfin les ét ra nger s qui dispa ra is sent progressivement. En 2016, nous avons remarqué un flux négatif de capitaux de l’ordre de 119 millions de dinars. Cette tendance s’est confirmée en 2017. Selon les chiffres de la physionomie de la BVMT, nous constatons que les achats ont atteint, au bout de 204 séances de cotation, 177,632 MTND contre des ventes de 234,835 MTND. C’est alors une nouvelle année de pertes d’investissements étrangers qui se dessine, sauf changement de dernière minute.
Des indicateurs de performance biaisés
En matière de performance, nous pouvons confirmer que les banques ont déformé le rendement du marché. Le secteur bancaire affiche déjà une croissance à deux chiffres. Etant donné qu’il pèse près de 50% dans le Tunindex, la progression notable de l’indice de la Place de Tunis ne reflète pas la réalité de la Place que nous venons de décrire. D’ailleurs, depuis la rentrée, le marché ne cesse de baisser.
Derrière cette surperformance des établissements de crédit, nous trouvons un modèle économique obsolète, mais très rentable, basé sur les commissions fixes et sur les revenus de portefeuille. Les banques ne cessent de profiter de la hausse des taux pour doper leurs revenus d’investissement, qui représentent aujourd’hui près de 29% de leur PNB. Ainsi, les résultats de 2016 étaient exceptionnels et les dividendes distribués ont atteint des niveaux très élevés. Les investisseurs ont continué à investir dans le secteur jusqu’à ce que certains d’entre eux aient commencé à voir l’autre face de la médaille : le coût du risque. Avec la publication du projet de la loi de finances 2018, qui comporte un taux d’imposition de 41% pour 2017 et 38,5% pour 2018, la pression sur les titres bancaires a augmenté d’un cran, et le Tunindex s’est inscrit dans une forte tendance baissière.
Le reste du marché n’offre pas un paysage plus intéressant. Plusieurs titres intéressants ont été délaissés au profit des banques. C’est le cas des entreprises exportatrices, qui vont profiter de la dépréciation du dinar pour augmenter significativement leurs revenus sans fournir le moindre effort. Ce n’est que durant les trois derniers mois que les investisseurs se sont aperçus de ces opportunités, et nous sommes convaincus que de très belles journées attendent ces sociétés. Néanmoins, il faut bien savoir qu’elles ne pèsent pas beaucoup dans le Tunindex.
En manque d’IPO
Durant 2017, il n’y a eu qu’une seule introduction en Bourse. En réalité, les candidats ne manquent pas, mais le grand problème reste, à notre avis, la crise de confiance entre tous les intervenants. La Bourse est devenue très sélective après le fiasco Syphax Airlines. La BVMT est plutôt en train d’orienter des dossiers vers les pré-IPO et, probablement, on verra un flux de nouvelles introductions d’ici quelques années. Pour sa part, le Conseil du Marché Financier est de plus en plus exigeant quant à la qualité des dossiers présentés. Les opérateurs de la Place se souviennent bien du dossier qui allait passer à la fin de l’année dernière mais qui a été refusé, non pas pour des raisons de solidité financière, mais plutôt pour des problèmes de gouvernance. A ce rythme, nous ne pouvons pas atteindre le seuil de 100 entreprises cotées avant la fin de 2020, dans le meilleur des cas. Payer moins d’impôts sur les sociétés ne semble plus suffisamment attractif pour que les meilleures compagnies du pays ouvrent leur capital au public.
Une révolution s’impose
La seule chose qui peut relancer le marché est, à notre avis, d’ordre réglementaire. Le Conseil de la Bourse de Tunis avait proposé, il y a plus d’une année, le projet d’un nouveau règlement de parquet, mais qui n’a pas été adopté par le régulateur. Ce nouveau règlement comportait quelques bonnes idées qu’il faut aujourd’hui retenir et améliorer.
Il faut d’abord abandonner les fourchettes actuelles et passer à des seuils plus larges. Cela permettra au marché de devenir plus efficient et d’augmenter le nombre de transactions. Nous n’allons plus voir des actions qui terminent en hausse grâce à l’échange d’un seul titre. A titre d’exemple, la STEQ a terminé la semaine du 20 octobre sur la première marche du podium, avec une hausse de plus de 24% avec l’échange de zéro action ! Cela n’a aucun sens pour une place financière qui se respecte. Ouvrir les fourchettes signifie avertir chaque intervenant qu’il a toutes les chances de voir sa demande ou offre satisfaite, indépendamment du prix affiché.
Autre point important : imposer un nombre minimal de titres pour que la transaction soit validée, 10 à titre d’exemple. Ce n’est plus admissible de voir un ordre portant sur une seule action, dont le courtage et les frais dépassent même sa valeur ! C’est effectivement de la pure manipulation de cours.
Il faut également donner aux institutionnels la possibilité d’acheter et de vendre à découvert, même dans la limite de 10% comme début. Cela permettra, au moins, de donner une dose de rationalité au marché, puisque des fonds importants seront engagés sur la base des estimations macroéconomiques, et relatives aux différentes sociétés cotées. Enfin, il faut aussi baser le Tunindex sur les cours moyens et non pas sur ceux de clôture. Cela reflètera mieux l’évolution du marché.
En dépit de tous ces manquements, le marché actions tunisien peut se redresser. Il suffit d’avoir de la volonté et un minimum de moyens humains et techniques pour que la machine redémarre. Il faut y croire