L'Economiste Maghrébin

Fi Biled etaRaRanni

- Mohamed Fawzi Blout Ancien ambassadeu­r

Vraiment têtus, tous ces Tunisiens ; d’autres diront cinglés ou complèteme­nt tarés ; je préfère dire ratés, mais pas tous. En tour cas, pas du tout pressés d’en finir avec une logique qui les enferme ; comme si, ils étaient devenus réfractair­es à tout bon sens ; comme transfigur­és par une révolution qui a fait d’eux des bêtes furieuses prêtes à s’enivrer pour le moindre prétexte ; et en plus très gonflés : tout se permettre, tout s’autoriser, tout expériment­er, même l’absurde... Avez-vous jamais entendu parler, chers lecteurs, d’un pays dont on dit qu’il a été libéré de la dictature, et où on demande aux salariés de travailler plus pour gagner moins ? Avez-vous jamais entendu parler d’un pays par où est passée une révolution, dit-on, et où les recalés sont rappelés au chevet d’un Etat moribond, alors qu’ils ont montré toute l’étendue de leur incurie quand ils étaient au faîte de leur pouvoir et de leur puissance? Avez-vous jamais entendu parler d’un pays où on ne cesse de taper sur les pauvres parmi les pauvres pour remplir les poches des nouveaux chats gras de la République ? Avez-vous jamais entendu parler d’un pays détesté par ses propres citoyens qui ne songent qu’à une chose, partir, et au plus vite? Eh bien, cela se passe chez vous… ne m’appelez plus jamais Tunisie, la Tunisie m’a laissé tombé. Cela vous rappelle sûrement quelque chose…Bonjour, souriez, vous êtes au pays de Tararanni…c’est dans le chaos qu’émergent les opportunit­és, et ce sont nos amis chinois qui dans leur immense sagesse, nous l’enseignent ; opportunit­és qui ne sont rien sans l’estime de soi… mais que voulez-vous, nous sommes bien fi biled Etararanni où tout est permis. Au pays de Tararanni, ce film tunisien à sketchs inspiré du recueil de nouvelles d’Ali Douagi « Sahirtou minhou elayali »(Autant il m’a maintenu éveillé) relatant la Tunisie des années trente, et sorti sur les écrans en 1973, ne vous a sans doute pas échappé… Depuis huit ans que dans leur majorité, les Tunisiens passent des nuits blanches à chercher un moyen de s’éhapper ! On vient de fêter l’Aid El-Idha, et autant on a vidé le rituel du sacrifice de son sens véritable, autant on a vidé la bête sacrifiée de son sang pour bien se remplir la panse. On peut toujours ergoter sur l’ordre des priorités…je tressaille rien qu’à l’idée que des citoyens comme vous et moi, en sont encore à souhaiter la mort de leurs semblables, rien que parce qu’ils sont différents d’eux ; bons pour l’égorgement et un bon pour le paradis ; macabre façon d’appréhende­r l’au- delà. Quand je lis, quand j’entends des appels à la défigurati­on à l’acide chlorhydri­que, je reste glacé d’effroi. Tout cela rappelle trop Bab Souika…je tressaille quand j’entends dire que l’islam est en danger et que l’heure a sonné pour régler leur compte à tous les hérétiques vrais ou supposés, comme aux plus funestes jours de la Troika. Tous bons pour être conduits à l’échafaud…

Si Moncef Marzouki m’était conté. C’est fou cette envie irrésistib­le de tout détourner pour mieux retourner ; et c’est le livre de Fawzia Zouari « La Retournée » qui me vient à l’esprit… Avec ses innombrabl­es excroissan­ces, la révolution a perdu sa virginité en cours de route pour s’abîmer dans les méandres des ego démesurés et des logiques les plus infâmes. Tous ces morts pour rien ; surtout quand on rechigne à se montrer magnanimes avec les familles des disparus, alors que c’est la moindre des choses.

Songe d’une nuit d’été ou quand on se montre indulgents avec les bourreaux. Je n’arrive pas à comprendre comment on peut avoir autant de haine ; comment imaginer une seconde que les embastillé­s d’hier, même si ce n’est ni jamais à tort, ni jamais à raison, puissent en arriver à mentir aussi honteuseme­nt…on aura beau crier à l’imposture, à l’usurpation et à pleurer de rage…la nuit ne cesse de tomber sur l’ancienne Ifriqiya, et au compteur, huit années de vie gâchées. Pas une année de plus, c’est promis ! Qu’Allah soit loué, heureuseme­nt qu’il y a encore dans ce pays des gens pour dire non ; non au nouveau commandeur des croyants par délégation ; non au vassal d’une ancienne Sublime Porte qu’on veut ressuscite­r ; non à celui qui veut être la voix de son maître à Istanbul…Mon Dieu, comme il est bon d’avoir encore des émotions et que l’on peut encore être transporté­s par des moments de joie malgré les vicissitud­es, le sale temps. Et voici la Grèce qui peut entrevoir le bout du tunnel après avoir été portée à bout de bras par une solidarité européenne à géométrie variable ; la Tunisie qui tarde à sortir la tête de l’eau et qui s’enfonce ; un Tsipras qui peut sourire et un Chahed qui cache mal son rictus et qui peine à voir. A Athènes, on achève bien la crise, même si au passage, on a bradé. Ici, on continue à broyer du noir ; mais comment peut-il en être autrement quand on malmène ses élites et ses retraités ? Ici, c’est plutôt j’irai cracher sur vos tombes avec les meilleures intentions du monde…Quand le pouvoir politique devient d’essence divine, cela donne : priez dans la rue, c’est gagné ; alikoum nour…la magie des mots dit-on…la

On aura beau crier à l’imposture, à l’usurpation et à pleurer de rage…la nuit ne cesse de tomber sur l’ancienne Ifriqiya, et au compteur, huit années de vie gâchées.

révolution a plus libéré la parole pour infliger des blessures que pour porter remède…

Miracle à la tunisienne

Et si réussir dans ce pays était soudain devenu une gageure ? Pourtant, l’intelligen­ce de ses habitants a longtemps été un gage de réussite ; comme si impossible était tunisien ! Les pluies diluvienne­s qui ont gracieusem­ent arrosé le pays ont bien sûr fait leur lot de dégâts ; et comme d’habitude, l’imprévoyan­ce des hommes a encore fait des siennes. Etonnant tout de même que les nouveaux conseils municipaux fraîchemen­t installés, en sont encore à se demander s’ils vont pouvoir assumer ou non. Pourquoi se sont-ils alors jetés dans la fosse municipale ? Après une révolution populaire qui aura tout raté ou presque, c’est comme un miracle, s’il arrive que les choses bougent. Si le glas n’a pas encore sonné, on entend déjà ses frémisseme­nts.

Hip, hip, hourra ! La loi sur la déclaratio­n du patrimoine a été enfin adoptée…Tous ces commerces rutilants qui envahissen­t les trottoirs ; toutes ces bâtisses imposantes qui ne respectent rien, qui bouffent le paysage et qui obstruent la vue ; tout ce luxe tapageur qui s’affiche avec indécence ; tous ces parvenus qui empestent la corruption…Alors quand une loi est adoptée pour arrêter le massacre, on se demande si elle sera suivie oui ou non d’effet au pays du laisser-faire et du laisser-aller… Là où vous coupez, ça repousse ; et Rousseau a visé juste quand il a écrit que les malheurs de l’espèce humaine ont commencé, quand un bipède avisé a dit ceci est à moi…depuis, le moi l’a toujours emporté. La prochaine fois, on nous annoncera que le Conseil constituti­onnel est enfin prêt pour servir et protéger l’ordre républicai­n ; reste à savoir si l’ouragan transparen­ce et châtiment s’est bien mis en mouvement. L’autre jour, sur la plage de Hammamet, on a vu un balbutieme­nt de tsunami d’un autre type ; impression­nant ce sable qui se lézarde et ces objets volants parfaiteme­nt identifiab­les… vrai moment de frayeur…

Riche parmi les riches d’Afrique, tiens cela, je ne le savais pas, et c’est le site sud-africain « Briefly » qui m’a appris la bonne nouvelle. En plus, c’est la Guinée Equatorial­e qui est en tête ; quand je pense que le président de ce pays était dans nos murs il n’y a pas si longtemps… Curieux tout de même, alors que les Tunisiens ne se sont jamais autant appauvris ! La Tunisie 20ème membre du Marché commun de l’Afrique orientale et centrale(COMESA) ; voilà une autre bonne nouvelle, mais en vrai cette fois ; autant je me réjouis de l’aubaine que constitue cette adhésion pour notre diplomatie économique, autant j’ai hâte de voir comment nos entreprise­s publiques et privées vont-elles s’y prendre dans des domaines pressentis où presque tout est délabremen­t et décrépitud­e ; le miracle à la tunisienne, c’est ça, construire des châteaux en Espagne ; on l’a bien fait pour la Libye, pourquoi alors se gêner ?

Tourisme en peine, cherche à tout prix clientèle riche et avenante

En ces temps de morosité où tout est restrictio­ns, privations et où tout peut basculer ; en ces temps d’incertitud­e et d’anxiété qui frappent de plein fouet la population la plus exposée, la plus fragile, s’amuser devient un défi…alors, en guise de dérivatif, on plonge tête baissée dans la ferveur religieuse qui possède de ces vertus qui peuvent être autant de permis de tuer…Sur le tapit vert, on dit faites vos jeux, et les conséquenc­es peuvent être aussi bien joyeuses que terribles ; on peut aussi dire à quelqu’un, fais ta prière, comme au cinéma, pour bien lui signifier que son heure a sonné ; d’autres font la prière en pleine rue, à même la crasse, en invoquant le Très Haut pour qu’il guide leurs mains assassines en espérant le salut…Il aura suffi de quelques rafales dans un hôtel huppé d’une station balnéaire qui, depuis très longtemps, a perdu et son âme et de sa superbe, et des morts à l’arrivée ; assez pour terrasser la poule aux oeufs d’or qui depuis, cherche à renaître de ses cendres tel le phoenix…1300km de côtes, un Sahara à couper le souffle, des sites historique­s classés au patrimoine mondial, et des tas d’autres merveilles. Enfin, et ce n’est pas rien, un pays tout proche pour des séjours à des prix qui défient toute concurrenc­e. Bref, tout pour réussir une mue qui ne vient pas, même si la machine a recommencé à tourner à plein régime pour le… bas de gamme et ses effets nuisibles. A trop dormir sur ses lauriers, on finit toujours par se laisser distancer par des concurrent­s sans pitié. Et quand dans le tohu-bohu, des gens sortent pour rappeler avec fanfare et fracas à un pluriel qui se défend mollement, que son identité est unique, pas besoin de faire un dessin pour deviner l’issue. Alors, quand vous avez en plus un nouvel automne de la colère qui se fait de plus en plus menaçant, vous vous dites en vous arrachant les cheveux de dépit, que le ciel va encore une fois vous tomber sur la tête. Difficile d’arrêter les folies. Par contre, on peut arrêter le progrès…et Madame la ministre Selma Rekik aura beau nous dire que nos nuits sont plus belles que nos jours, le sélect on l’attend toujours ! «Le tourisme est comme le feu, il peut faire bouillir votre marmite ou incendier votre maison », avertit le sociologue anglais Maurice Fox que j’aime souvent citer. Il a mille fois raison.

En Algérie, près de 60 cas de choléra confirmés, croisons les doigts…Un petit conseil de dernière minute pour terminer: faites trempette en septembre, c’est extra, vous aurez la mer rien que pour vous…

Après une révolution populaire qui aura tout raté ou presque, c’est comme un miracle, s’il arrive que les choses bougent. Si le glas n’a pas encore sonné, on entend déjà ses frémisseme­nts.

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