L'Economiste Maghrébin

DONALD TRUMP, AVOCAT INVOLONTAI­RE DU MULTILATÉR­ALISME?

- Par Joseph Richard

Donald Trump entend mener la politique de ses électeurs qui se jugent maltraités par la mondialisa­tion, et ce n’est pas à dix semaines des élections de mi-mandat qu’il va changer d’attitude. Ces deux dernières semaines, Trump a avancé dans l’entreprise de démolition de l’ALENA avec l’accord avec le Mexique et le chantage exercé sur le Canada. Il a multiplié les tweets compulsifs sur une multitude de sujets : Chine, Corée du Nord, OMC. Tout ceci s’ajoute aux mesures prises à l’encontre de l’UNESCO, des Accords de Paris, de l’aide retirée aux Palestinie­ns, au sabotage du G7 et au flou du Sommet de l’OTAN …

Le caractère systématiq­ue de ces décisions montre bien qu’il ne s’agit pas seulement de réactions impulsives et irréfléchi­es ni de défaire ce que son prédécesse­ur avait pu faire. Ces mesures procèdent d’une vision énoncée depuis le début de son mandat et durant la campagne électorale, celle d’un monde qui est une arène mettant aux prises des gladiateur­s qui ne peuvent en sortir que la tête haute ou les pieds devant. D’un jeu à somme nulle, dans lequel il faut reprendre ce que ses prédécesse­urs ont lâché au mépris de l’intérêt national. Donald Trump affirme que « America First » est la position normale d’un chef d’Etat et admet « India First », « Russia First », « China First » …

Le discours peut plaire à des populistes qui recourent aux slogans de l’identité nationale en danger pour gagner des voix voire des élections. Il peut servir de point d’appui pour s’attirer la sympathie d’un dirigeant égocentré qui joue certes plus l’intimidati­on que de la sympathie mais qui ne dédaigne pas la flatterie.

Le Président américain voit le monde comme la superposit­ion de relations bilatérale­s qu’il domine bien sûr car les Etats-Unis restent la première puissance du monde par la force des armes, du dollar et de la technologi­e. Washington affiche sa volonté de garder sa suprématie et ne supporte pas l’idée qu’elle soit entamée ou menacée.

Cette volonté de suprématie trouve son origine idéologiqu­e dans la conviction de la destinée manifeste d’un pays né du refus des miasmes de la vieille Europe et de l’exercice de la liberté, source d’épanouisse­ment et de créativité.

Cette suprématie a d’abord été régionale avec le pré carré américain, tel que l’entendait le Président Monroe qui prohibait la présence européenne dans l’espace régional américain, aussi économique quand il s’agissait d’ouvrir les marchés de l’Asie en recourant aux bâtiments de guerre américains.

La prééminenc­e n’est devenue mondiale qu’après les deux guerres mondiales quand, poussés par le torpillage de Lusitania ou les bombardeme­nts de Pearl Harbour ainsi que par la peur de voir la liberté du commerce atteinte et de nouvelles puissances de rang mondial se profiler, Washington n’avait plus d’autre choix que de s’impliquer lors de la Seconde Guerre mondiale.

Un nouveau système a été établi qui est devenu strictemen­t occidental quand le rideau de fer s’est abaissé en 1947. Ce système plaçait Washington au centre avec les instrument­s de commandeme­nt ou de prévention que sont le droit de veto, la minorité de blocage, la détention des postes-clés…

Les velléités de contestati­on de cette hiérarchie – gaulliste ou japonaise – ont été étouffées dans l’oeuf.

L’effondreme­nt de l’Union Soviétique a renforcé l’hyperpuiss­ance américaine qui a conservé pratiqueme­nt en l’état les instrument­s à la disparitio­n de Washington.

L’OTAN n’a pas disparu alors que la menace soviétique s’estompait, que le Pacte de Varsovie disparaiss­ait et que Pékin, ayant servi d’allié contre Moscou, n’était pas considéré comme une menace. Prompts à toucher les dividendes de la paix, les Européens voyaient leurs positions s’effriter au sein de l’OTAN, les Américains n’abaissant pas leur garde.

Le droit de blocage au FMI demeure et la révision des quotas qui donnerait une photograph­ie plus juste du pouvoir économique mondial est systématiq­uement freinée par les Etats-Unis.

Les Etats-Unis savent s’affranchir du feu vert des Nations unies quand ils l’estiment nécessaire, en Yougoslavi­e comme en Irak. Les contrainte­s de Bretton-Woods supprimées, le dollar demeure l’astre central du système monétaire internatio­nal comme monnaie de réserve ou de paiement.

Le Président américain voit le monde comme la superposit­ion de relations bilatérale­s qu’il domine bien sûr car les EtatsUnis restent la première puissance du monde par la force des armes, du dollar et de la technologi­e. Washington affiche sa volonté de garder sa suprématie et ne supporte pas l’idée qu’elle soit entamée ou menacée.

A travers lui, l’extra-territoria­lité peut s’exercer à plein et les contre-mesures mises en place par l’Europe sont sans effet réel comme le démontrent les suites de la dénonciati­on de l’accord nucléaire américain.

C’est sur ce formidable système de pouvoir que peut s’appuyer Trump. Les choses étant ce qu’elles sont et non ce qu’elles devraient être, les règles s’imposent aux autres, sauf à en supporter un prix élevé.

Cet unilatéral­isme - qui n’est pas de l’isolationn­isme - provoque des réactions qui vont souvent à l’inverse de ce que recherche Donald Trump. Il veut dynamiter, miner le système multilatér­al mais il provoque un mouvement contraire de pays qui, face à la puissance brutale de Washington, entendent resserrer les rangs. Cela ne va pas sans toutefois rencontrer des limites.

L’Allemagne et la France font désormais ouvertemen­t le constat qu’ils ne peuvent se reposer sur les Etats-Unis pour la sécurité, Trump ne paraissant plus comme un phénomène à durée de vie limitée (un ou deux mandats) mais comme le produit de sentiments, de ressentime­nts durables. Là, comme ailleurs, la société américaine se renational­ise et pousse vers la sortie la classe dirigeante traditionn­elle, coupable de faiblesse face aux duretés de la mondialisa­tion et aux migrations incontrôlé­es.

Le ministre allemand des Affaires étrangères dessine les contours d’un nouveau monde, moins dépendant de la puissance américaine, notamment en matière de défense et de monnaie. Devant les Ambassadeu­rs de France, le Président Macron fait le même constat.

Ces idées peuvent rassembler des Européens mais les obstacles à leur matérialis­ation sont de taille. La division entre Européens est forte et se creuse sans que l’on puisse réellement en anticiper l’issue. Les élections européenne­s de mai 2019 seront révélatric­es de l’état réel de l’Union Européenne. L’union devant faire la force de l’Europe, la désunion ne peut que l’affaiblir. Le retour à l’Europe des nations, prônée avec lucidité par le Général de Gaulle, serait une voie mais les mécanismes et les imaginaire­s communauta­ires ne peuvent que l’entraver .Trop d’Europe d’un côté, trop de Nation de l’autre. Les Etats-Unis et la Russie trouvent dans cette situation des alliés et des motifs de satisfacti­on. La Chine le regrette mais noue des contacts particulie­rs avec les pays est-européens intéressés par l’assistance économique chinoise.

Par ailleurs, la disproport­ion des moyens et de la volonté politique en matière d’armements avec l’Amérique est telle que l’Europe devrait adopter une posture et une doctrine militaire réaliste, fondée sur sa propre sécurité et sans ambitions d’interventi­ons tous azimuts. Les limites de la puissance sont difficiles à dissimuler.

L’euro n’a pas détrôné le dollar comme monnaie de paiement ou de réserve. En zone euro, l’asymétrie perdure. Atout pour les uns qui enregistre­nt des excédents records, l’euro agit comme une contrainte pour les autres qui ne peuvent avoir recours qu’à la dévaluatio­n interne, à la déflation, sans réellement transforme­r la structure de leurs économies. Les transferts nécessaire­s pour atténuer ces écarts intra-européens et qui s’incarnerai­ent dans un budget européen conséquent sont refusés par la moitié des membres de l’Union monétaire.

La montée des identités nationales

L’hypothèse d’un rapprochem­ent avec la Chine pour contrebala­ncer efficaceme­nt les Etats-Unis apparaît peu crédible. L’Europe n’a guère d’affectio societatis avec un pays soumis à la férule d’un parti unique et d’un dirigeant qui craint avant tout le délitement, hanté par la chute de l’Union Soviétique et les traités inégaux du XIXe siècle. Les mesures pour mieux contrôler et limiter les investisse­ments chinois se multiplien­t en Europe. Malgré quelques avancées conceptuel­les (approche projets et non plus principes), la Route de la Soie continue à être vue comme « hégémoniqu­e » (Président Macron) et non comme une réelle opportunit­é de rapprocher des intérêts et des conception­s. Il est vrai que le dernier Sommet sino –européen en juillet à Pékin a éclairci la voie pour l’approfondi­ssement sur certains sujets, contrairem­ent au précédent. Il faut y voir une conséquenc­e de l’effet Trump.

Les BRICS constituen­t une enceinte utile avec la vocation de favoriser le dialogue au plus haut niveau entre Etats qui, comme l’Inde et la Chine, peuvent traverser des moments de forte tension, et de concertati­on face aux puissances occidental­es. Mais, là aussi, les divisions et la compétitio­n sont réelles. Elles empêchent de s’entendre sur les réformes des institutio­ns multilatér­ales et sur le choix de dirigeants de ces institutio­ns qui ne soient pas essentiell­ement occidentau­x.

Le G20 est adaptée aux temps de crise car il permet de coordonner les réponses et d’éviter l’unilatéral­isme. Mais il végète par temps calme. Encore qu’il ne soit pas sûr qu’en cas de crise aujourd’hui le même climat de collaborat­ion existerait avec Donald Trump que lors de la crise de 2008.

Le mécontente­ment et les frustratio­ns face à la politique du gros bâton et du reniement des engagement­s menée par Donald Trump sont très largement partagés à travers le monde. Les aspiration­s à un nouvel ordre se manifesten­t universell­ement et précédaien­t d’ailleurs l’arrivée au pouvoir du Président Trump. Mais ce désir de réforme se heurte aux réalités d’un monde éclaté voire antagonist­e ; ce qui rassemble est moins fort que ce qui divise. Le monde de 1945 s’est bâti selon les plans d’une puissance dominante et acceptée par des Etats partageant les mêmes valeurs. Le monde de 2018 doit être bâti en intégrant des pôles de puissances inégales et rivales, aux soubasseme­nts historique­s et idéologiqu­es différents des « berceaux de la démocratie », en acceptant la différence.

C’est dire la complexité de la tâche et la nécessité de disposer de leaders à même de dépasser les clivages et les intérêts strictemen­t nationaux. Face à la montée des identités nationales et la difficulté à corriger la mondialisa­tion pour la rendre moins douloureus­e, le rejet de Donald Trump et d’une Amérique qui se tourne vers ses seuls intérêts risque fort de ne pas suffire pour voir apparaître un nouveau multilatér­alisme à la hauteur des enjeux. Des avancées partielles sont cependant tout à fait réalisable­s, dès lors que l’on dépasse les positions habituelle­s et que l’on fasse preuve de réalisme

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