DONALD TRUMP, AVOCAT INVOLONTAIRE DU MULTILATÉRALISME?
Donald Trump entend mener la politique de ses électeurs qui se jugent maltraités par la mondialisation, et ce n’est pas à dix semaines des élections de mi-mandat qu’il va changer d’attitude. Ces deux dernières semaines, Trump a avancé dans l’entreprise de démolition de l’ALENA avec l’accord avec le Mexique et le chantage exercé sur le Canada. Il a multiplié les tweets compulsifs sur une multitude de sujets : Chine, Corée du Nord, OMC. Tout ceci s’ajoute aux mesures prises à l’encontre de l’UNESCO, des Accords de Paris, de l’aide retirée aux Palestiniens, au sabotage du G7 et au flou du Sommet de l’OTAN …
Le caractère systématique de ces décisions montre bien qu’il ne s’agit pas seulement de réactions impulsives et irréfléchies ni de défaire ce que son prédécesseur avait pu faire. Ces mesures procèdent d’une vision énoncée depuis le début de son mandat et durant la campagne électorale, celle d’un monde qui est une arène mettant aux prises des gladiateurs qui ne peuvent en sortir que la tête haute ou les pieds devant. D’un jeu à somme nulle, dans lequel il faut reprendre ce que ses prédécesseurs ont lâché au mépris de l’intérêt national. Donald Trump affirme que « America First » est la position normale d’un chef d’Etat et admet « India First », « Russia First », « China First » …
Le discours peut plaire à des populistes qui recourent aux slogans de l’identité nationale en danger pour gagner des voix voire des élections. Il peut servir de point d’appui pour s’attirer la sympathie d’un dirigeant égocentré qui joue certes plus l’intimidation que de la sympathie mais qui ne dédaigne pas la flatterie.
Le Président américain voit le monde comme la superposition de relations bilatérales qu’il domine bien sûr car les Etats-Unis restent la première puissance du monde par la force des armes, du dollar et de la technologie. Washington affiche sa volonté de garder sa suprématie et ne supporte pas l’idée qu’elle soit entamée ou menacée.
Cette volonté de suprématie trouve son origine idéologique dans la conviction de la destinée manifeste d’un pays né du refus des miasmes de la vieille Europe et de l’exercice de la liberté, source d’épanouissement et de créativité.
Cette suprématie a d’abord été régionale avec le pré carré américain, tel que l’entendait le Président Monroe qui prohibait la présence européenne dans l’espace régional américain, aussi économique quand il s’agissait d’ouvrir les marchés de l’Asie en recourant aux bâtiments de guerre américains.
La prééminence n’est devenue mondiale qu’après les deux guerres mondiales quand, poussés par le torpillage de Lusitania ou les bombardements de Pearl Harbour ainsi que par la peur de voir la liberté du commerce atteinte et de nouvelles puissances de rang mondial se profiler, Washington n’avait plus d’autre choix que de s’impliquer lors de la Seconde Guerre mondiale.
Un nouveau système a été établi qui est devenu strictement occidental quand le rideau de fer s’est abaissé en 1947. Ce système plaçait Washington au centre avec les instruments de commandement ou de prévention que sont le droit de veto, la minorité de blocage, la détention des postes-clés…
Les velléités de contestation de cette hiérarchie – gaulliste ou japonaise – ont été étouffées dans l’oeuf.
L’effondrement de l’Union Soviétique a renforcé l’hyperpuissance américaine qui a conservé pratiquement en l’état les instruments à la disparition de Washington.
L’OTAN n’a pas disparu alors que la menace soviétique s’estompait, que le Pacte de Varsovie disparaissait et que Pékin, ayant servi d’allié contre Moscou, n’était pas considéré comme une menace. Prompts à toucher les dividendes de la paix, les Européens voyaient leurs positions s’effriter au sein de l’OTAN, les Américains n’abaissant pas leur garde.
Le droit de blocage au FMI demeure et la révision des quotas qui donnerait une photographie plus juste du pouvoir économique mondial est systématiquement freinée par les Etats-Unis.
Les Etats-Unis savent s’affranchir du feu vert des Nations unies quand ils l’estiment nécessaire, en Yougoslavie comme en Irak. Les contraintes de Bretton-Woods supprimées, le dollar demeure l’astre central du système monétaire international comme monnaie de réserve ou de paiement.
Le Président américain voit le monde comme la superposition de relations bilatérales qu’il domine bien sûr car les EtatsUnis restent la première puissance du monde par la force des armes, du dollar et de la technologie. Washington affiche sa volonté de garder sa suprématie et ne supporte pas l’idée qu’elle soit entamée ou menacée.
A travers lui, l’extra-territorialité peut s’exercer à plein et les contre-mesures mises en place par l’Europe sont sans effet réel comme le démontrent les suites de la dénonciation de l’accord nucléaire américain.
C’est sur ce formidable système de pouvoir que peut s’appuyer Trump. Les choses étant ce qu’elles sont et non ce qu’elles devraient être, les règles s’imposent aux autres, sauf à en supporter un prix élevé.
Cet unilatéralisme - qui n’est pas de l’isolationnisme - provoque des réactions qui vont souvent à l’inverse de ce que recherche Donald Trump. Il veut dynamiter, miner le système multilatéral mais il provoque un mouvement contraire de pays qui, face à la puissance brutale de Washington, entendent resserrer les rangs. Cela ne va pas sans toutefois rencontrer des limites.
L’Allemagne et la France font désormais ouvertement le constat qu’ils ne peuvent se reposer sur les Etats-Unis pour la sécurité, Trump ne paraissant plus comme un phénomène à durée de vie limitée (un ou deux mandats) mais comme le produit de sentiments, de ressentiments durables. Là, comme ailleurs, la société américaine se renationalise et pousse vers la sortie la classe dirigeante traditionnelle, coupable de faiblesse face aux duretés de la mondialisation et aux migrations incontrôlées.
Le ministre allemand des Affaires étrangères dessine les contours d’un nouveau monde, moins dépendant de la puissance américaine, notamment en matière de défense et de monnaie. Devant les Ambassadeurs de France, le Président Macron fait le même constat.
Ces idées peuvent rassembler des Européens mais les obstacles à leur matérialisation sont de taille. La division entre Européens est forte et se creuse sans que l’on puisse réellement en anticiper l’issue. Les élections européennes de mai 2019 seront révélatrices de l’état réel de l’Union Européenne. L’union devant faire la force de l’Europe, la désunion ne peut que l’affaiblir. Le retour à l’Europe des nations, prônée avec lucidité par le Général de Gaulle, serait une voie mais les mécanismes et les imaginaires communautaires ne peuvent que l’entraver .Trop d’Europe d’un côté, trop de Nation de l’autre. Les Etats-Unis et la Russie trouvent dans cette situation des alliés et des motifs de satisfaction. La Chine le regrette mais noue des contacts particuliers avec les pays est-européens intéressés par l’assistance économique chinoise.
Par ailleurs, la disproportion des moyens et de la volonté politique en matière d’armements avec l’Amérique est telle que l’Europe devrait adopter une posture et une doctrine militaire réaliste, fondée sur sa propre sécurité et sans ambitions d’interventions tous azimuts. Les limites de la puissance sont difficiles à dissimuler.
L’euro n’a pas détrôné le dollar comme monnaie de paiement ou de réserve. En zone euro, l’asymétrie perdure. Atout pour les uns qui enregistrent des excédents records, l’euro agit comme une contrainte pour les autres qui ne peuvent avoir recours qu’à la dévaluation interne, à la déflation, sans réellement transformer la structure de leurs économies. Les transferts nécessaires pour atténuer ces écarts intra-européens et qui s’incarneraient dans un budget européen conséquent sont refusés par la moitié des membres de l’Union monétaire.
La montée des identités nationales
L’hypothèse d’un rapprochement avec la Chine pour contrebalancer efficacement les Etats-Unis apparaît peu crédible. L’Europe n’a guère d’affectio societatis avec un pays soumis à la férule d’un parti unique et d’un dirigeant qui craint avant tout le délitement, hanté par la chute de l’Union Soviétique et les traités inégaux du XIXe siècle. Les mesures pour mieux contrôler et limiter les investissements chinois se multiplient en Europe. Malgré quelques avancées conceptuelles (approche projets et non plus principes), la Route de la Soie continue à être vue comme « hégémonique » (Président Macron) et non comme une réelle opportunité de rapprocher des intérêts et des conceptions. Il est vrai que le dernier Sommet sino –européen en juillet à Pékin a éclairci la voie pour l’approfondissement sur certains sujets, contrairement au précédent. Il faut y voir une conséquence de l’effet Trump.
Les BRICS constituent une enceinte utile avec la vocation de favoriser le dialogue au plus haut niveau entre Etats qui, comme l’Inde et la Chine, peuvent traverser des moments de forte tension, et de concertation face aux puissances occidentales. Mais, là aussi, les divisions et la compétition sont réelles. Elles empêchent de s’entendre sur les réformes des institutions multilatérales et sur le choix de dirigeants de ces institutions qui ne soient pas essentiellement occidentaux.
Le G20 est adaptée aux temps de crise car il permet de coordonner les réponses et d’éviter l’unilatéralisme. Mais il végète par temps calme. Encore qu’il ne soit pas sûr qu’en cas de crise aujourd’hui le même climat de collaboration existerait avec Donald Trump que lors de la crise de 2008.
Le mécontentement et les frustrations face à la politique du gros bâton et du reniement des engagements menée par Donald Trump sont très largement partagés à travers le monde. Les aspirations à un nouvel ordre se manifestent universellement et précédaient d’ailleurs l’arrivée au pouvoir du Président Trump. Mais ce désir de réforme se heurte aux réalités d’un monde éclaté voire antagoniste ; ce qui rassemble est moins fort que ce qui divise. Le monde de 1945 s’est bâti selon les plans d’une puissance dominante et acceptée par des Etats partageant les mêmes valeurs. Le monde de 2018 doit être bâti en intégrant des pôles de puissances inégales et rivales, aux soubassements historiques et idéologiques différents des « berceaux de la démocratie », en acceptant la différence.
C’est dire la complexité de la tâche et la nécessité de disposer de leaders à même de dépasser les clivages et les intérêts strictement nationaux. Face à la montée des identités nationales et la difficulté à corriger la mondialisation pour la rendre moins douloureuse, le rejet de Donald Trump et d’une Amérique qui se tourne vers ses seuls intérêts risque fort de ne pas suffire pour voir apparaître un nouveau multilatéralisme à la hauteur des enjeux. Des avancées partielles sont cependant tout à fait réalisables, dès lors que l’on dépasse les positions habituelles et que l’on fasse preuve de réalisme