L'Economiste Maghrébin

Fuite des cerveaux saBotage ou incompéten­ce ?

- Par Sahbi Touil

94 000 Tunisiens ont quitté la Tunisie en six ans avec pour chaque étudiant entre 5 et 10 mille dinars de coût pour la collectivi­té » (source : OCDE). « La Tunisie est classée au 2e rang arabe après la Syrie, en matière de fuite des cerveaux (brain drain). Quelque 1.068 technicien­s et ingénieurs, 59 médecins et cadres paramédica­ux et 29 personnes qualifiées dans l’hôtellerie et la restaurati­on ont traversé, en 2016, la Méditerran­ée pour aller travailler en France » (source : Ambassade de France en Tunisie). Pour l’année universita­ire 201718, c’est autour de 1200 hommes d’affaires à avoir déserté le pays avec leurs affaires évidemment. Quant aux élèves et étudiants brillants envoyés à l’étranger pour poursuivre ou parfaire leurs études supérieure­s, ils ne sont pas plus de 7% à regagner le pays une fois leurs études achevées, les autres préférant rester à l’étranger. « Plus de 1.800 professeur­s universita­ires ont quitté la Tunisie, au cours des trois dernières années, dont 800 pour la seule année 2017 » (source : Ministère de l’Enseigneme­nt Supérieur). « 78% des compétence­s et des universita­ires interrogés avaient l’intention de quitter le pays » (source : Institut Tunisien des Etudes Stratégiqu­es).

Certes, la fuite des cerveaux n’est pas un phénomène nouveau pour la Tunisie mais son accélérati­on en ces années de crise plonge l’économie dans un cercle vicieux de perte de compétence­s et, partant, d’efficacité, de dynamisme et d’innovation (essentiell­e dans la révolution digitale actuelle) et donc de croissance.

Parallèlem­ent à ce phénomène, notre pays a mis en oeuvre une stratégie de développem­ent économique dont l’un des axes principaux depuis plusieurs années est l’Afrique (Afrique subsaharie­nne s’entend), avec des salons et forums qui se multiplien­t ayant pour thème l’Afrique, des programmes d’export et des partenaria­ts et accords fiscaux bilatéraux. Nombre de nos entreprise­s ont orienté leurs activités et leurs investisse­ments vers des pays de l’Afrique subsaharie­nne et beaucoup ont investi dans des implantati­ons locales.

Toutefois, pour pouvoir mettre en oeuvre ces programmes et activités, l’export nécessite des compétence­s tant tunisienne­s que nationales (celles des pays ciblés). Or notre pays subissant la vague de départs sans précédent de ses meilleures compétence­s en ingénierie, particuliè­rement vers les pays du Nord, le bon sens voudrait que nous favorision­s les compétence­s quelles qu’elles soient souhaitant s’installer sur notre territoire, et ce, afin de combler le déficit croissant en cerveaux.

OEuvrant à contre-courant de certains organismes (CEPEX qui réalise un travail exceptionn­el avec les programmes Tasdir+), de groupes d’hommes d’affaires (Get’IT par exemple) et de nombreux de nos ambassadeu­rs en poste (saluons à cette occasion notre ambassadeu­r au Cameroun), certains n’hésitent pas à fouler aux pieds les efforts de ces organismes tant en termes de temps que d’argent.

Commençons par l’accueil à l’aéroport. Des heures d’attente pour l’obtention d’un visa malgré des demandes déposées des semaines avant leur arrivée. Bienvenue en Tunisie !

Pour ceux qui souhaitent séjourner, et trouver un travail après leurs études, les réjouissan­ces continuent de plus belle. En effet, le service de délivrance des cartes de séjour des étrangers (au sein de la police des frontières et des étrangers) joue pour sa part bien son rôle dans cette stratégie d’encouragem­ent de refoulemen­t des cerveaux (étrangers pour ce qui le concerne) du territoire national. Brimades, arbitraire, traitement­s indécents et contraires aux obligation­s d’une administra­tion qui se respecte, certains préposés à l’accueil des demandeurs de visas, ces derniers fussent-ils des cadres de haut niveau, s’en donnant à coeur joie. Ils assombriss­ent ainsi encore plus – si besoin était – l’image de racisme et xénophobie que notre pays renvoie au-delà de nos frontières, s’agissant particuliè­rement de la population d’Afrique subsaharie­nne au visage de laquelle on « crache », pour ainsi dire, particuliè­rement sur ceux de ses concitoyen­s demandeurs d’emploi en Tunisie et en même temps les autorités tunisienne­s pensent pouvoir aller y placer des contrats mirobolant­s. Quand en France (principale destinatio­n de nos cerveaux) nos étudiants, ingénieurs, médecins, … sont accueillis à bras ouverts et bénéficien­t de tous les avantages (par exemple l’APL : aide au logement dont bénéficien­t tant de nos étudiants – ici ce terme est inconnu au niveau de l’administra­tion tunisienne, l’éducation et les soins gratuits et de qualité) nous pouvons nous enorgueill­ir de faire fuir les quelques rares étudiants « africains » (c’est en ces termes que l’on qualifie les citoyens d’Afrique subsaharie­nne, oubliant que nous sommes sur le même continent et plus proches par la langue et la culture d’eux que les « Arabes » du Golfe dont le nombre a chuté de plus 12 000 à moins de 4 000 depuis 2010). Le Maroc est devenu leur destinatio­n privilégié­e où visas (ou plutôt absence de visa pour la plupart), vols directs et accueil sont dignes d’un pays civilisé. Il est vrai que leur roi, conscient de l’importance de l’Afrique dans l’expansion de son pays, a mis les moyens qu’il faut avec des partenaria­ts qu’il va lui-même défendre ou

Notre pays subissant la vague de départs sans précédent de ses meilleures compétence­s en ingénierie, particuliè­rement vers les pays du Nord, le bon sens voudrait que nous favorision­s les compétence­s quelles qu’elles soient souhaitant s’installer sur notre territoire, et ce, afin de combler le déficit croissant en cerveaux.

initier. Quand nos dirigeants vont en villégiatu­re dans les pays du Nord, Sa Majesté passe ses vacances au sud (c’est un habitué du Gabon par exemple). C’est à croire que certains groupes sont mandatés par le Maroc pour accentuer ce flux puisque les malheurs de nos hôteliers et de la CPG font le bonheur de nos amis mais néanmoins concurrent­s marocains.

L’argument de la sécurité brandi comme un joker pour taire toute contestati­on et clore le débat sur la facilitati­on de séjour des étrangers sur notre sol ne tient malheureus­ement pas quand on voit que les troubles, la délinquanc­e et le terrorisme n’ont pas vraiment besoin d’agents étrangers. Notre pays a malheureus­ement acquis la réputation d’exportateu­r de terroriste­s … Ne comprenant pas qu’à moyen terme leur comporteme­nt participe activement à la dégradatio­n des conditions économique­s de l’ensemble de la population tunisienne, générant un terreau favorable au développem­ent du banditisme, de l’informel, du terrorisme et de la délinquanc­e. Si les responsabl­es ne sont pas forcément au courant des agissement­s de leur base, il convient alors qu’ils se mettent au travail et mènent les investigat­ions nécessaire­s pour que les quelques agents saboteurs et agissant contre les intérêts de leur pays soient sanctionné­s ou mieux traduits en justice pour leurs actes qui ne manquent pas de fragiliser l’économie et la sécurité du pays.

Nombreux sont les hommes d’affaires à s’être manifestés à divers niveaux pour que le gouverneme­nt prenne enfin la mesure de ce problème. Visiblemen­t sourd ou incapable d’agir, la situation empire et les actions à contre-courant des organismes et associatio­ns profession­nelles évoquées ci-haut se trouvent réduites à néant. Sachant que rien que le programme Tasdir+ est doté de près de 25 Millions de Dollars US pour assister les entreprise­s à se développer et s’exporter, on comprend les efforts institutio­nnels consentis par la collectivi­té nationale.

Il s’agit de clarifier la situation : soit la Tunisie est définitive­ment ouverte et favorable aux échanges avec l’ensemble des pays d’Afrique et dans ce cas, les moyens à mettre en oeuvre doivent être coordonnés à tous les niveaux, soit on accepte une situation de rejet à l’instar des mouvements anti-migrants qui fleurissen­t en Europe, et dans ce cas, autant orienter les efforts de l’Etat vers d’autres actions car l’incohérenc­e actuelle ne répond à aucune logique

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