le coût de l’héRitage
La frénésie qui s’est emparée du pays à l’occasion du rapport de la COLIBE frise l’hystérie et montre simplement que derrière les rituels de la démocratie élective et parlementaire se cachent des desseins guère avouables. On savait que des politiques plus ou moins bien intentionnés avaient mis le couvercle sur la marmite bouillonnante et on se rend compte que les têtes avaient simplement des perruques. L’hystérie n’est pas bonne conseillère, mais il y a des pathologies dont on ne sort jamais indemne.
L’hystérie a ceci de particulier de faire perdre le sens des réalités. Il a donc été peu question des ravages économiques et sociaux occasionnés par les lois actuelles sur l’héritage. En principe, les lois sont faites pour permettre aux citoyens de vivre ensemble et de s’émanciper dans ce partage. Dans les faits, et au-delà de la question de la parité, le blocage actuel sur le curseur de valeurs réputées immuables a largement contribué à encombrer les tribunaux, détruire des familles et morceler à l’infini les biens. Combien d’entreprises tunisiennes florissantes ont fait faillite en raison de tiraillements passionnels entre les ayants droit ? Combien de terres agricoles sont laissées à l’abandon à la suite de successions aboutissant à des morcellements non viables ? Combien de propriétés tombées en ruine pour cause d’arithmétique successorale sans rapport avec la réalité ?
L’Etat de droit a raison de décrocher les lois de l’emprise de valeurs obsolètes. Cela n’en fait pas moins que l’entrée dans le sujet n’a probablement pas été la meilleure. Il fallait répondre, en vertu de la commande initiale, à la question de l’égalité entre hommes et femmes. La réponse va dans le sens de la modernisation du droit au regard des réalités nationales et internationales. Le Code du Statut Personnel, bien tunisien, devait donc s’adapter. En même temps, la réalité montre que des décennies, sinon des siècles de dépeçage de patrimoines, foncier et immobilier, en petites rondelles a transformé le paysage en champ de gruyère impossible à gérer en termes de valorisation économique. De minuscules parcelles de terres ont été abandonnées puisque non rentables, abandonnées pour la production, mais maintenues en l’état pour ce qui est des règles de l’héritage. Il en est de même pour la propriété foncière et pour les entreprises désormais éclatées en mille morceaux pour cause de droit de succession, parfois transformé en pouvoir de destruction.
La question est de savoir si le pays peut se payer encore ce manque à gagner colossal, par ailleurs en conformité avec la légalité héritée. La Tunisie construit péniblement un modèle de société sur la base de valeurs démocratiques. En même temps, les clignotants de l’économie se sont mis au rouge, durablement. En posant le problème en termes de choix religieux, pour ou contre, on se met à côté de la plaque. Les passions n’ont jamais fait bon ménage avec les réalités du terrain. Or la question de l’héritage a uniquement été posée en termes de croyance et donc de surnaturel. Sur le terrain, agricole ou urbain, le droit actuel a des effets pervers et a amené des héritiers à la pauvreté alors même qu’ils seraient issus d’une lignée parentèle bien nantie, et surtout productive jadis de biens et de richesses.
Les mêmes effets ont bien sûr été observés ailleurs qu’en Tunisie, en raison de modèles juridiques comparables. Assez souvent, dans les pays où prévaut la dimension économique dans la gestion du social et du politique, des solutions ont été trouvées pour fédérer, par exemple sous forme de coopératives, les modèles d’exploitation, de production et de commercialisation. Chez nous, le passage par les années soixante, et son lot de coopérativisme encore en attente de vrai bilan objectif, a disqualifié cette option d’organisation à visée économique. Pourtant, et à l’évidence, une bonne partie du territoire fertile souffre du parcellement et des querelles interminables pour savoir qui hérite de quoi. Les tribunaux, et les auxiliaires de justice ont certes du boulot rémunéré pour tenter de régler ces litiges, ce qui n’excuse pas tout.
En face, tout le monde dit et parfois pense que le plus grand défi est dans l’indépendance alimentaire, qui ne va pas sans optimisation des ressources agricoles sur la base d’exploitations viables pour les exploitants. La désertion des campagnes n’est pas un phénomène exclusivement tunisien. Cela n’en fait pas moins que l’exode s’explique aussi et surtout par les déficits d’exploitation de la terre nourricière. Quand la terre, devenue minuscule, ne nourrit plus la famille, les attraits trompeurs de la grande ville deviennent irrésistibles. La machine est en route depuis des décennies, ces dernières années n’ont fait qu’accélérer le mouvement. Beaucoup de villes dortoirs signent ces dysfonctionnements. Bien entendu en dehors des débats faussement passionnels qui agitent en ce moment les anciens et les modernes.
La proposition de loi présentée par le Président de la République est clivante et a obligé les uns et les autres à sortir du flou démagogique que la politique à la petite semaine a transformé en piège vaseux. Cela a donné l’occasion aux manipulateurs de discours de faire étalage de leur indignation surfaite. L’opportunisme fait certainement partie de l’humain. Il faut tout de même ajouter que la réalité finit par rejaillir en boomerang dès que les oreilles sont rappelées à l’ordre par les ventres affamés.
Cette année, la bonne nouvelle vient des rentrées prévisibles en rapport avec l’huile d’olive et, accessoirement du tourisme. Dans chacun des cas, le dynamisme acquis renvoie souvent à des histoires de familles et de générations de travail acharné. Dans chacun des cas aussi, il arrive souvent que les querelles d’héritage grippent durablement la machine de production. C’est probablement cette perspective qui devrait primer quand on met en chantier le travail de révision des lois