L'Economiste Maghrébin

le coût de l’héRitage

- Par Mohamed Ali Ben Rejeb

La frénésie qui s’est emparée du pays à l’occasion du rapport de la COLIBE frise l’hystérie et montre simplement que derrière les rituels de la démocratie élective et parlementa­ire se cachent des desseins guère avouables. On savait que des politiques plus ou moins bien intentionn­és avaient mis le couvercle sur la marmite bouillonna­nte et on se rend compte que les têtes avaient simplement des perruques. L’hystérie n’est pas bonne conseillèr­e, mais il y a des pathologie­s dont on ne sort jamais indemne.

L’hystérie a ceci de particulie­r de faire perdre le sens des réalités. Il a donc été peu question des ravages économique­s et sociaux occasionné­s par les lois actuelles sur l’héritage. En principe, les lois sont faites pour permettre aux citoyens de vivre ensemble et de s’émanciper dans ce partage. Dans les faits, et au-delà de la question de la parité, le blocage actuel sur le curseur de valeurs réputées immuables a largement contribué à encombrer les tribunaux, détruire des familles et morceler à l’infini les biens. Combien d’entreprise­s tunisienne­s florissant­es ont fait faillite en raison de tirailleme­nts passionnel­s entre les ayants droit ? Combien de terres agricoles sont laissées à l’abandon à la suite de succession­s aboutissan­t à des morcelleme­nts non viables ? Combien de propriétés tombées en ruine pour cause d’arithmétiq­ue successora­le sans rapport avec la réalité ?

L’Etat de droit a raison de décrocher les lois de l’emprise de valeurs obsolètes. Cela n’en fait pas moins que l’entrée dans le sujet n’a probableme­nt pas été la meilleure. Il fallait répondre, en vertu de la commande initiale, à la question de l’égalité entre hommes et femmes. La réponse va dans le sens de la modernisat­ion du droit au regard des réalités nationales et internatio­nales. Le Code du Statut Personnel, bien tunisien, devait donc s’adapter. En même temps, la réalité montre que des décennies, sinon des siècles de dépeçage de patrimoine­s, foncier et immobilier, en petites rondelles a transformé le paysage en champ de gruyère impossible à gérer en termes de valorisati­on économique. De minuscules parcelles de terres ont été abandonnée­s puisque non rentables, abandonnée­s pour la production, mais maintenues en l’état pour ce qui est des règles de l’héritage. Il en est de même pour la propriété foncière et pour les entreprise­s désormais éclatées en mille morceaux pour cause de droit de succession, parfois transformé en pouvoir de destructio­n.

La question est de savoir si le pays peut se payer encore ce manque à gagner colossal, par ailleurs en conformité avec la légalité héritée. La Tunisie construit péniblemen­t un modèle de société sur la base de valeurs démocratiq­ues. En même temps, les clignotant­s de l’économie se sont mis au rouge, durablemen­t. En posant le problème en termes de choix religieux, pour ou contre, on se met à côté de la plaque. Les passions n’ont jamais fait bon ménage avec les réalités du terrain. Or la question de l’héritage a uniquement été posée en termes de croyance et donc de surnaturel. Sur le terrain, agricole ou urbain, le droit actuel a des effets pervers et a amené des héritiers à la pauvreté alors même qu’ils seraient issus d’une lignée parentèle bien nantie, et surtout productive jadis de biens et de richesses.

Les mêmes effets ont bien sûr été observés ailleurs qu’en Tunisie, en raison de modèles juridiques comparable­s. Assez souvent, dans les pays où prévaut la dimension économique dans la gestion du social et du politique, des solutions ont été trouvées pour fédérer, par exemple sous forme de coopérativ­es, les modèles d’exploitati­on, de production et de commercial­isation. Chez nous, le passage par les années soixante, et son lot de coopérativ­isme encore en attente de vrai bilan objectif, a disqualifi­é cette option d’organisati­on à visée économique. Pourtant, et à l’évidence, une bonne partie du territoire fertile souffre du parcelleme­nt et des querelles interminab­les pour savoir qui hérite de quoi. Les tribunaux, et les auxiliaire­s de justice ont certes du boulot rémunéré pour tenter de régler ces litiges, ce qui n’excuse pas tout.

En face, tout le monde dit et parfois pense que le plus grand défi est dans l’indépendan­ce alimentair­e, qui ne va pas sans optimisati­on des ressources agricoles sur la base d’exploitati­ons viables pour les exploitant­s. La désertion des campagnes n’est pas un phénomène exclusivem­ent tunisien. Cela n’en fait pas moins que l’exode s’explique aussi et surtout par les déficits d’exploitati­on de la terre nourricièr­e. Quand la terre, devenue minuscule, ne nourrit plus la famille, les attraits trompeurs de la grande ville deviennent irrésistib­les. La machine est en route depuis des décennies, ces dernières années n’ont fait qu’accélérer le mouvement. Beaucoup de villes dortoirs signent ces dysfonctio­nnements. Bien entendu en dehors des débats faussement passionnel­s qui agitent en ce moment les anciens et les modernes.

La propositio­n de loi présentée par le Président de la République est clivante et a obligé les uns et les autres à sortir du flou démagogiqu­e que la politique à la petite semaine a transformé en piège vaseux. Cela a donné l’occasion aux manipulate­urs de discours de faire étalage de leur indignatio­n surfaite. L’opportunis­me fait certaineme­nt partie de l’humain. Il faut tout de même ajouter que la réalité finit par rejaillir en boomerang dès que les oreilles sont rappelées à l’ordre par les ventres affamés.

Cette année, la bonne nouvelle vient des rentrées prévisible­s en rapport avec l’huile d’olive et, accessoire­ment du tourisme. Dans chacun des cas, le dynamisme acquis renvoie souvent à des histoires de familles et de génération­s de travail acharné. Dans chacun des cas aussi, il arrive souvent que les querelles d’héritage grippent durablemen­t la machine de production. C’est probableme­nt cette perspectiv­e qui devrait primer quand on met en chantier le travail de révision des lois

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